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Billet de blog 24 juillet 2015

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De la liberté Grecque

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De quelle liberté parle-t-on ?

J’ai déjà proposé quelques réflexions sur la question, depuis octobre 2014, dans ce billet tout d’abord "question de liberté". Puis, rattrapé par l’attentat contre Charlie, la question est devenue plus brûlante, et j’ai commis celui-ci, à cette occasion : "celui qui était Charlie, celui qui ne l’était pas".

Pas étonnant, donc, que la crise Grecque me replonge dans mes réflexions à propos de la liberté.

Or, qu’entendons-nous, ici, en particulier sur Mediapart ? En gros que l’Europe a bafoué la liberté des Grecs, qui se sont exprimé dans leur vote pour porter aux affaires un parti politique : Syriza. Et nous avons vu se débattre comme de beaux diables Tsipras et Varoufakis contre ce qu’il convient de nommer "la troïka".

Oui, certes, les Grecs ont décidé que leur dette était intolérable et qu’ils voulaient arrêter d’être étranglés par les Européens…

Laissons un moment de côté toute discussion sur la légitimité ou non de cette dette et des obligations qui en résultent ou pas, ce qui serait un autre débat, auquel je participe assez longuement par ailleurs pour me dispenser d’y revenir ici.

Concentrons-nous un instant sur cet "argument" assez facilement brandit de la "liberté bafouée" des Grecs. Voui, voui, voui.

Demain, je vais chez mon banquier pour lui annoncer qu’après concertation avec ma femme et les enfants, nous avons décidé que nous ne pouvions pas supporter davantage le poids de mes remboursements, qui d’ailleurs ne signifient rien, puisqu’il a créé l’argent qu’il me prête (ce qui est techniquement exact, mais là n’est pas le débat).

Autrement dit : il y a 5 ans j’avais décidé d’emprunter, à l’issu d’un autre conseil de famille, et maintenant, je change d’avis, parce qu’en réalité, cet emprunt n’était pas une bonne idée. Car après tout, j’ai la liberté de changer d’avis. Voilà, la messe est dite : vous, banquier, n’avez pas à vous opposer à ma liberté sacrée. Droit d’autant plus irréfragabe, que j’ai là, consigné dans le carnet de ménage que tient mon épouse, que la résolution a été entérinée par 5 voix pour et une abstention, celle du grand-père sourd comme un pot qui ne savait à qui donner la sienne.

Que signifierait une telle liberté dans l’instant, sans mémoire du passé ? C’est la mémoire du poisson rouge, qui tourne dans son bocal sans souvenir de la veille (mémoire limitée à 5 minutes, le temps de faire 10 tours). On voit bien que ce n’est pas soutenable.

Il y a un autre aspect, plus délicat à aborder : nous parlons de la liberté de qui précisément ? Quel est le sujet de cette liberté dont on parle ? Répondre "les Grecs" n’est pas suffisant. Si l’on parle d’un "ensemble d’individus" ayant chacun exprimé sa volonté, et si par liberté on entend celle d’appliquer la volonté de la majorité des grecs participant au vote, il faut convenir que nous passons sous silence toute une minorité que cette majorité fait taire.

Autrement dit, cette "volonté" Grecque qui cherche à exprimer son refus des contraintes imposées, est celle d’un "groupe constitué", et non pas la simple agrégation des volontés individuelles, avec les jeux politiques, les alliances et les frustrations individuelles qui accompagnent cette construction d’une volonté commune.

Mais alors, si l’on peut ainsi passer d’une volonté individuelle à l’expression d’une volonté commune, à la taille d’une nation, pourquoi arrêter notre agrégat à la seule nation ?

On peut dire qu’un jeu similaire s’établit au sein de cette communauté de nations qu’est l’Europe et dont la Grèce n’est qu’un élément.

Mais alors, pourquoi la liberté de la Grèce (qui réprime certaines libertés individuelles dans son expression) serait-elle plus légitime que celle de l’Europe qui réprime celle d’un de ses membres : la Grèce en question ? Cet effet miroir, met en lumière la pensée implicite : soit, en disant que l’Europe bafoue la liberté de la Grèce,

1  on nie toute légitimité à l’existence de cette Europe. C’est l’attitude radicale des souverainistes, sceptre très large sur l’échiquier politique, qui va de Chevênement à Marine Le Pen. C’est une stratégie de rupture.

2  ou bien que les instances Européennes qui ont négocié avec Athènes ne sont pas légitimes. Qu’elles ne sont pas représentatives, ou n’ont pas été mandatées démocratiquement pour conduire ces négociations. C’est un appel à une lutte au sein même de cette Europe mal dirigée, pour en contrôler l’appareil. Ce qui s’appelle faire de la politique au niveau Européen...

Je n’irai pas plus loin dans la discussion, mon objectif étant avant tout de montrer la relativité du concept de liberté.

  • Relativité par rapport à l’autre (je n’en ai pas parlé ici, car tout le monde sait que "ta liberté de jouer à l’épée s’arrête au bout de mon nez") ;
  • Rémanence dans le temps : ma liberté dans l’instant, est conditionnée par la situation passée. Il y a une sorte de "viscosité" se traduisant par des contraintes ;
  • Relativité d’échelle : individu / nation / Europe / Humanité / Terre. La nécessité écologique, par exemple limite (ou limitera), conditionne notre liberté à toute échelle d’organisation, jusqu’à notre comportement individuel.

Rappel : la crise Grecque, n’est ici utilisée qu’à titre l’exemple. Le sujet étant la liberté.

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