Il y a des signes que l’on reconnaît à force de les avoir croisés dans les livres d’histoire, mais que l’on refuse de voir dans le présent. Aujourd’hui, le fascisme gronde de nouveau au loin. Pas encore au pas cadencé des bottes dans les rues, pas encore dans la brutalité nue des coups, mais déjà dans un climat de résignation collective, dans l’acceptation silencieuse que nos protections s’effritent, et que l’État se replie, laissant les forces du marché et de la peur régner sans contrepoids.
On nous parle de dérégulation comme d’une promesse de modernité. Mais en réalité, c’est le désarmement organisé des peuples face aux puissances financières et technologiques. Quand on détricote les normes bancaires, on livre les épargnants et les travailleurs aux requins de la spéculation. Quand on libère les logiques de l’IA sans garde-fous, on laisse une machine froide et sans conscience définir ce que nous sommes et ce que nous valons. Quand on abandonne la régulation des cryptomonnaies et des flux, on crée des zones opaques où prospèrent les mafias, les marchands de haine et les corrupteurs.
Derrière tout cela, ce n’est pas seulement une logique économique. C’est une logique politique. Quand la société n’a plus de règles protectrices, quand l’État n’assume plus d’être garant de justice sociale, il ne reste qu’un vide. Et ce vide, l’histoire nous l’enseigne, est toujours comblé par la force brute. Les fascismes ne grandissent pas seulement dans la violence : ils naissent dans le désordre voulu, dans l’épuisement des citoyens, dans cette impression que « personne ne protège plus rien ».
Ainsi, la dérégulation est bien plus qu’une technocratie de marché : elle est le prélude à l’autoritarisme. À force de fragiliser les corps sociaux, à force d’éroder les protections collectives au nom de la liberté des plus puissants, on prépare la scène pour l’homme providentiel, celui qui promettra l’ordre après le chaos – mais un ordre de fer, fondé sur l’exclusion, la peur et la domination.
Face à ce danger, notre responsabilité est immense. Ne pas céder à la tentation du repli, ne pas accepter l’idée qu’il n’y aurait que deux options : le chaos libéral ou l’autoritarisme ultra-nationaliste. Une autre voie existe, faite de solidarité, de sobriété, de règles justes qui ne musèlent pas mais protègent, qui n’étouffent pas les libertés mais garantissent l’égalité réelle.
Le fascisme n’est pas une fatalité. Il est un piège tendu dans les brumes de la peur et du désespoir. Le voir, le nommer, refuser sa logique avant qu’elle ne nous ronge de l’intérieur : c’est là notre devoir.
Car l’Histoire nous observe, et demain nul ne pourra dire : « Nous ne savions pas. »