L’un se veut l’âme ou l’esprit des 47, l’autre se veut le corps matériel et armé de gros sous d’une entité réduite à 28, pour le moment. Conseil de l’Europe (CoE) et Union européenne (UE) partagent le même combat mais l’idéal semble souvent trop lointain, à la fois dans le passé et dans l’avenir. La session d’hiver de l’APCE (Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe) à Strasbourg a été studieuse, diverse et une fois de plus intellectuellement merveilleuse pour des effets qui, vite, malheureusement, effacent les belles images, les rêves à peine ébauchés. Nous en retiendrons quelques aspects saillants, arbitrairement. Reste à espérer tout en restant pragmatique.
Justice pour le justicier Magnitski
Assez de mots et de risibles menaces ! 47 pays membres du Conseil de l’Europe, 47 frères en Droits de l’Homme et presque tous en principe en démocratie, vivent sous le même règne en droit comme en principe dans un espace apaisé. Et pourtant Segueï Magnitski, avocat, expert fiscaliste et en comptabilité est mort assassiné en 2009 dans une geôle russe. Des coups de matraque en caoutchouc avait eu raison, enfin, osera-t-on dire, de la résistance de ce sycophante, à la manière de l’Athènes antique, accusateur infatigable au service du fisc de son pays. Souffrant d’une pancréatite aiguë, laissé sans soins, abandonné et soumis aux pires traitements par des fonctionnaires, ceux là même qu’il avait osé accuser, il est mort sans que quiconque soit inquiété. « Intra muros » de cette Europe de 800 millions d’habitants qui se voudrait exemplaire et donneuse de leçons au reste de l’humanité.
Les assassins présumés ne sont pas poursuivis en Russie. Du moins pas encore, si on prête un tant soit peu de crédit aux recommandations du Conseil de l’Europe. Le juriste avait été incarcéré sous de fallacieuses accusations parce qu’il accusait des fonctionnaires qui s’étaient grassement enrichis d’avoir organisé un une gigantesque escroquerie de l’Etat russe par le reversement d’impôts indus ( 230 millions de USD) par un mécanisme complexe et la complicité de banques étrangères blanchisseuses, peut-être parfois à leur insu.
L’APCE a approuvé une résolution intitulée « Refuser l’impunité pour les meurtriers de Sergueï Magnitski » présentée par le rapporteur suisse Andréas Gross, invitant instamment les autorités russes à mener une enquête complète et sérieuse. Certains présumés coupables se sont miraculeusement grassement enrichis sans aucune exigence d’explication. L’affaire est complexe -le rapport Gross fait 60 pages –et d’autres affaires semblables seraient innombrables, le cas Magnitski devenant en quelque sorte éponyme.
Et si rien ne se concrétise ? On continuera de dénoncer l’incurie, l’impéritie, l’injustice ? Au moins, comme les Américains, les Etats Européens pourront-ils prendre des mesures ciblées à l’encontre des coupables à leurs yeux identifiés, comme le gel des avoirs ou leur confiscation et bien entendu le refus d’accéder au territoire. Pas de privation de ice-cream cependant pour ces assassins ! Eh oui, les puissants signent des chartes qu’ils n’ont pas l’obligation de respecter. Honte à eux ! On leur redira. Un effort Monsieur Poutine, vite, avant Sotchi ou pendant!
Et en Ukraine, démocratie fluctuante ?
Pas d’ingérence dans les affaires des pays souverains et démocratiques, comme l’Ukraine. Sauf que pour certaines questions comme celles concernant l’exercice réel de la démocratie et le respect des Droits de l’Homme, l’Ukraine a adhéré à la charte du Conseil de l’Europe pour en devenir membre et doit donc s’y soumettre. Le CoE a dès lors un droit d’ingérence sur les questions concernées. C’est pourquoi une résolution longuement débattue et amendée a été adoptée. Paradoxe des paradoxes, les parlementaires ukrainiens présents à Strasbourg ont voté les fameuses lois antimanifestations et leur cortège de dispositions liberticides et n’ont donc pu adopter la résolution. Si les exigences du Conseil ne sont pas respectées dans un proche avenir, les députés ukrainiens seront privés de droit de vote à la prochaine session en avril. Qu’on se le dise ! Toute la presse en a beaucoup parlé.
Mais le point de vue du Conseil de l’Europe n’ y apparaît quasiment pas. C’est dommage car c’est là que se trouve l’interface le plus « institutionnel » possible entre les membres d’une même association, librement consentie. L’APCE demande donc l’abrogation des lois antimanifestations et le choix démocratique du peuple ukrainien. Peut être feint-elle d’ignorer que les aspects sonnants et trébuchants ont souvent une portée bien plus grande que la beauté d’une belle démocratie sociale équilibrée tournée vers les valeurs de l’Occident.
Les 15 milliards de USD promis par la Russie et une réduction de 30 % du prix du gaz, sur fond de menace de fermer les frontières aux exportations ukrainiennes, font oublier forcément les aides possibles de l’UE et du FMI conjointes. Les temps sont durs chez nos amis ukrainiens et les consciences sont tourmentées. Le président Ianoukovitch ira à Sotchi !
Le rapport Bockel sur la Syrie aura-t-il plus d’effet ?
Le sénateur Jean-Marie Bockel ( France) s’est fait comme rapporteur de la Commission des Réfugiés, l’avocat de ceux qui ont fui la Syrie. Ils seraient plus de 3 millions selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, vivant dans des conditions misérables, à de rares exceptions près. Ils sont accueillis par les pays voisins sur les 800 km de frontières mais aussi en Europe et en Amérique du nord. A coté des abris insalubres, de la faim, de l’isolement, de la prostitution, des viols, des mariages forcés, le sénateur Bockel déplore surtout l’errance d’enfants seuls et souvent, dans des cas meilleurs, l’absence de scolarisation. Il délivre néanmoins un satisfecit à certains pays qui ont pris des mesures avec une énergie spontanée. Gratitude donc aux autorités turques tout particulièrement. Au camp de Hatay où les réfugiés arrivés à 250 sont aujourd’hui à 6500, convenablement hébergés et nourris, les enfants étant même scolarisés. Etonnant ?Pas tant que cela, en dépit de la volonté géopolitique de la Turquie dans la région, carde nombreux Syriens ont des parents ou alliés , d’ailleurs particulièrement dans cette province qui a connu une histoire très particulière. Remerciements aussi au Liban qui après une réticence de principe, l’expérience d’un passé assez proche l’expliquant, a cédé au principe de réalité et s’est montré généreux comme les voisins irakiens ou jordaniens.
De nombreux états du CoE ont également accueilli des réfugiés mais pas assez bien et, c’est là l’objet de la résolution-recommandation que l’ Assemblée a adoptée à l’unanimité, les Russes se targuant au passage d’avoir évité le pire en empêchant les bombardements préconisés par certains…
Les états membres sont donc invités à montrer davantage de générosité et à adopter « des politiques générales » d’accueil et à renoncer à examens longs et difficiles des demandes d’asile « de manière individuelle ». Encore une fois, le Conseil de l’Europe –ses membres - doit montrer l’exemple en mettant en pratique ses sacro-saints principes fondateurs et sa raison d’être.
Qu’on les applique aussi à l’intérieur du Conseil !
On vient d‘élire le nouvelle présidente de l’Assemblée Parlementaire dans une clarté éblouissante : majorité absolue pour Anne Brasseur, députée luxembourgeoise, polyglotte très active au Conseil depuis des années, dès le premier tour. Elle est la deuxième femme élue à ce poste.
On voit le président sortant Jean-Claude Mignon ( PPE) retourner à sa place dans l’hémicycle. Ce député français, souriant, habile, très respectueux envers tous ses confrères, a épuisé ses cartouches (1 an, renouvelable une seule fois, donc deux ). Mais on sait aussi qu’il sera candidat à une « investiture » par le Conseil des Ministres du CoE comme candidat à l’élection de Secrétaire Général du Conseil. Ce député UMP est présenté par le gouvernement français PS. Ce n’est pas une référence négligeable, en remplacement de T. Jagland, le sortant arrivé en fin du mandat de cinq ans durant lesquels le rôle du Conseil de l’Europe et de l’idéal européen n’a pas été particulièrement stimulé
Ce dernier, ancien premier ministre norvégien et président du comité Nobel de son pays, se représenterait cependant. Plus connu au sein du comité des ministres ( l’ensemble des ministres des affaires étrangères des 47), il aurait de bonnes chances de franchir la première étape avant le vote définitif des parlementaires.
Son bilan est souvent contesté sur le plan du rayonnement du Conseil. Certains vont jusqu’à lui reprocher, peut-être à juste titre, d’avoir favorisé l’Union Européenne pour le prix Nobel de la paix ( en dépit des conflits armés où elle était engagée) au détriment du Conseil de l’Europe, ancêtre de l’UE et d’un pacifisme plus avéré, bien plus ancien et plus large. Si on y ajoute les traditionnelles rumeurs dont on accable souvent les sortants comme celles de pratiques népotiques ou au profit d’un personnel féminin parfois très proche. Décidément ! Les ministres apprécieront et les députés aussi.
Une rivale de poids est présentée par l’Allemagne :
Sabine Leutheusser-Schnarrenberger qui a été membre du Bundestag en Allemagne de 1990 à 2013 et Ministre fédérale de la Justice de 1992 à 1996 et de 2009 à 2013, donc une personne chevronnée en matière de droit. En effet, elle a notamment fait partie d’une commission d’enquête auprès des Nations Unies de 1999 à 2000. Puis membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe entre 2002 et 2009, elle s’est distinguée en particulier dans le domaine des droits de l’homme. Dans plusieurs de ses publications elle a mis l’accent sur les relations du Conseil de l’Europe avec la Russie ainsi qu’avec l’Union Européenne. Cela tombe bien ou pas.
Un Kriegspiel en perspective ? Si le conseil des ministres décide d’accréditer ou de recommander démocratiquement le choix entre les trois candidats, le français, malgré le fait qu’il n’ait pas exercé de responsabilités gouvernementales ce qui n’est pas formellement requis, a toutes ses chances. Les Allemands sont souvent très bien élevés et pragmatiques. Il pourrait y avoir un candidat de Hollande et de Merckel : le même.
Par ailleurs on sait que Martin Schulz , actuel président du Parlement Européen est candidat à la présidence de la Commission . La part de l’Allemagne ne serait-elle pas un peu trop marquée ?
Antoine Spohr.