On me pardonnera cette métaphore religieuse en ces temps où la laïcité est convoquée à tout bout de champ, urbi et orbi. Mais il y a du missionnaire dans cet homme.
Tout de noir vêtu, tignasse et moustache comprises, la chemise blanche rappelant le col blanc à bavette des clercs de jadis, de prédicateur à la Savonarole, après inquisition qu'on voudra bien lire ici comme «enquête soignée, intransigeante», l'homme est devenu procureur, sycophante sans retenue à moins qu'il en reste sous sa plume ou derrière sa glotte.
Je connaissais Edwy Plenel à l'écrit et par quelques brèves interventions à la radio ou à la télévision, mais ce tribun là, non. Aurais-je pu l'imaginer sous cet autre jour si je ne l'avais point vu et entendu ?
La semaine dernière, en quelques heures en Alsace (Strasbourg et Mulhouse), il est venu pour simplement présenter son dernier livre, «Le président de trop», dont on parlera, pour ne pas dépasser l'intention première de ce billet, comme d'un réquisitoire après instruction bien menée, de mise en garde. Creuser profond pour traquer le mal et implicitement suggérer les remèdes.
Dans la prestigieuse salle blanche (plus de deux cents places) de la librairie Kléber, débordante d'un auditoire hétéroclite, l'ancien directeur du Monde, le patron de Mediapart a littéralement fasciné tout le monde.
A Strasbourg et en Alsace en général, se tenir au centre de l'échiquier politique (un Centre d'ailleurs jadis puissant et productif avant l'UMP) était déjà une marque de progressisme, un glissement vers la gauche modérée qui elle-même, penche souvent vers un centre-gauche. Bref a priori, pas de terreau révolutionnaire surtout dans cette assistance que je connais assez bien.
Alors chapeau M. Plenel !
Un silence religieux pour écouter l'exposé de la situation, débité presque recto tono avec des fins de phrases suspensives, invitant à la réflexion. Une gestuelle sobre avec parfois un sourire irradiant de quelques rides des yeux malicieux.
A côté de moi, une dame conquise n'hésite pas: «Voilà quelqu'un qui devrait se présenter, il parle bien, a fière allure et il est sincère...» Fermez le ban ou «la messe est dite»! Tonnerre d'applaudissements!
La campagne continue et en route pour Mulhouse avec Jean-Luc Fournier son sherpa/présentateur et journaliste, directeur d'une agence de presse (ASP).
Et bis repetita placent en Alsace du sud. Puis retour à Strasbourg.
Le lendemain matin, petit-déjeuner/conférence à partir d'une estrade dans une vaste salle du Hilton. J'allais dire chaire mais la table était abondamment garnie, inutilement d'ailleurs, devant une dizaine de tables où les convives-auditeurs purent de leur côté librement se sustenter en silence. Même flamme dans ce flux oratoire de grand tribun chez l'invité qui lui, ne prit pas le temps de consommer grand chose, si ce n'est cette extraordinaire attention d'un public là encore très divers.
Ainsi, le personnage a priori un peu distant, devient familier, sympathique et même chaleureux.
En terre d'Alsace, réputée de droite, Edwy Plenel a fait un tabac. Etonnant ?
Non, quand on sait que lorsque la qualité est exceptionnelle, elle impose un grand respect, ici comme ailleurs.
Antoine Spohr