De très belles choses comme aussi des œuvres qui suscitent quelque réticence. Des grands noms mais aussi de véritables talents en voie de révélation.
Forcément, l'une est à Paris, l'autre en province. Et comme il n'est de bon bec qu'à Paris, il n'est de bons événements artistiques que dans la capitale, surtout dans l'art contemporain et même dans le lot complet de tous les arts. Allons enfants... !
Sauf que les mêmes galeristes les plus audacieux et les plus avisés vont en province et même «à l'étranger», parfois à Strasbourg, que certains considèrent d'ailleurs comme une ville plutôt germanique à l'instar de ses voisines, Bâle, Karlsruhe ou Francfort. Peut-être, tant mieux !
On a dit province? On aurait dû dire plutôt capitale européenne des peuples comme en témoigne le billet d'introduction au catalogue de l'exposition de Thorbjorn Jagland, secrétaire général du Conseil de l'Europe (l'Europe des 47 Etats), qui siège à Strasbourg.
Pour la seizième édition de ST-ART, on trouve de tout comme à l'accoutumée : Abstractions, Figurations, Nouveau Réalisme, Art Brut, Pop Art, Street Art... De très belles choses comme aussi des œuvres qui suscitent quelque réticence. Des grands noms (Andy Warhol, Christo, Arman, Vasarelli...et bien d'autres reconnus) mais aussi de véritables talents confirmés ou en voie de révélation.
Dans le parc des expositions, le gigantesque hall Rhénus héberge ce labyrinthe enchanteur d'allées rectilignes dans lequel s'opposent pacifiquement ou cohabitent dans une joyeuse confrontation près d'une centaine de galeries venues de toute l'Europe et même du Canada et du Japon. Quelques dizaines de milliers de visiteurs rendront leur sentence durant les cinq jours.
Dans l'impossibilité de faire une présentation exhaustive, nous choisissons délibérément et avec une injustice consciente, un thème bien limité qui pourrait, à lui seul, faire le thème d'une grande exposition: la peinture et le livre (ou réciproquement).
Merveilleuse idée que Guillaume Bourquin a su condenser sur la toile. «Deux en un» , le livre et le tableau. Cet ancien professeur de philosophie se dit d'ailleurs «peintrécriteur», joli trouvaille qui dit son œuvre.
Le choix des livres est évidemment pertinent quand on sait qu'à l'origine le philosophe-peintre était préoccupé par la menace de la disparition du livre. Les œuvres choisies seront donc celles, dans l'urgence, les plus grandes du patrimoine de l'humanité. Le texte est copié minutieusement sur la toile d'une écriture fine, régulière mais disposée de telle sorte qu'en jouant sur les interlignes, sur la verticalité succédant à l'horizontalité ou des diagonales, des sinusoïdes harmonieuses créant du mouvement, on se trouve devant de superbes tableaux, œuvres intellectuelles, sensuelles désormais. Un travail de bénédictin, enluminures comprises. Plusieurs mois pour une toile. La Divine Comédie ( notre photo) devrait se retrouver bientôt sur un carré Hermès. Sera-t-elle aussi lisible sur l'encolure d'une diva que sur la toile? Ce serait merveilleux.
Autre livre qui entrera sans doute dans le patrimoine de l'humanité, La Route de Cormac McCarthy, prix Pulitzer 2007.
Denis Jully a été littéralement envoûté, ensorcelé jusqu'à l'obsession. Le travail qu'il en a tiré tient du prodige, d'un miracle dans cette transfusion de l'écrit vers la toile du peintre. Sujet: le cataclysme vient d'avoir lieu. On n'en connaît pas l'origine mais le paysage qu'il laisse et dans lequel errent un père et son fils est apocalyptique. Pour traduire cette désolation pathétique tout au long d'un douloureux périple vers la survie, vers la mer, le peintre confectionne ses propres couleurs comme par exemple la couleur rouille obtenue en intégrant de l'oxyde de fer. Ceux qui ont lu le livre restent tout aussi libres dans l'interprétation de cette trentaine de tableaux qu'ils l'ont été au cours de leur lecture mais quand même... souvent Denis Jully est dans une telle adéquation qu'on aurait pu imaginer de joindre au roman, un mini-catalogue de ses visions, peut -être à la fin seulement. Formidable, même au sens étymologique ! (voir photo)
De son côté, un peu plus loin, Dan Steffan, une peintresse –je crois qu'on peut, dans son cas utiliser, opportunément ce néologisme– dont l'œuvre, empreinte de féminité énigmatique, reconnaissable entre mille, flirte avec l'illustration de bouteilles de vin qui contiennent sans doute des milliers de romans à naître et disparaître. Mais elle tient sa place dans notre propos, car non seulement elle se nourrit avec avidité de littérature mais elle projette de participer à une exposition qui aura pour thème ce que nous suggérions plus haut. Elle illustre également un livre du poète Albert Strickler. Etrange encore!
Ainsi depuis seize ans, Start a gardé globalement un très haut niveau d'exigence et peut rivaliser avec la Fiac, Karlsruhe, Bâle ou Francfort et d'autres, encore que, très souvent, il ne s'agisse en fait que de répétitions où les amateurs comme les professionnels retrouvent ou recherchent l'œuvre désirée... avant acquisition, si possible.
Antoine Spohr.