Les sept années qui ont précédé ce premier procès, nous avons rencontré de nombreux collectifs constitués suite à une blessure, à un mort. Partageant nos histoires, nous avons acquis une connaissance précise des mécanismes de la violence policière. Nous avons les pleurs, mais aussi l’expérience, nous avons la rage, mais aussi le savoir. Nos vécus, nos luttes ont fait de nous des experts. Le mercredi 24 et le jeudi 25 novembre 2016, c’est cette expertise sensible que nous avons convoquée à l’intérieur du tribunal, Il n’était plus question pour nous de demander la vérité, mais de la faire surgir depuis le réel de nos histoires, et de l’imposer là où elle est continuellement effacée et déniée.
Nathalie Torselli, mère de Quentin Torselli, blessé au LBD 40 à Nantes le 22 février 2014, lors d’une manifestation pour la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes
À Nantes, le 22 février 2014, à la fin d’une énorme manifestation réunissant des milliers de personnes venues dire non au projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un jeune homme a perdu un œil.
Il a été éborgné, marqué à vie, atteint dans son intégrité par un policier qui, armé d’un Flash-Ball ou d’une grenade, l’a visé alors qu’il ne présentait aucun danger pour personne et certainement pas pour des policier·es suréquipé·es et surarmé·es qui tirent au hasard dans la foule pour créer la panique, instaurer la peur et museler toute contestation.
Ils sont plus de quarante aujourd’hui en France à avoir traversé cette épreuve, dont quatre Nantais, faisant de Nantes la capitale européenne des jeunes mutilé·es par la police, dont les armes ne se contentent pas de blesser physiquement un seul individu. Elles éborgnent et mutilent également familles et entourage.
À la douleur de voir son enfant démoli s’ajoutent l’incompréhension (comment cela peut-il se produire dans un pays qui se dit civilisé ?) et la rage (on ne peut pas, on ne doit pas se taire, ceci doit être dénoncé avec force).
Une blessure reçue dans de telles circonstances n’a rien à voir avec un accident de bricolage ou un malencontreux hasard.
Les parents, les frères et sœurs, les proches, sont touché·es au plus profond d’elles et eux-mêmes. Elles et eux aussi sont abîmé·es, enveloppé·es par une sensation glauque, poisseuse, collante qui ne les lâche plus et les transforme irrémédiablement. Pour elles et eux aussi, il y a désormais un « avant » et un « après » la mutilation.
Tous·tes vont devoir vivre avec le ressenti très net que leur fils, leur frère, leur ami·e, est désormais perçu·e comme un individu dangereux, selon l’idée largement répandue et entretenue par la police, les responsables politiques, et les grands médias, que « s’il a été blessé par la police, c’est qu’il l’a bien cherché et qu’il l’a mérité ».
Les blessé·es vont devoir entamer un marathon judiciaire aboutissant généralement à un non-lieu ou à la relaxe du policier tireur. La lenteur étudiée de la procédure suspend le temps, empêche la réparation, ralentit la reconstruction et pérennise l’impunité policière.
La plainte de notre fils a été classée sans suite par la procureure de Nantes, Brigitte Lamy, pour le motif suivant : « Les faits ou les circonstances des faits dont vous vous êtes plaint n’ont pu être clairement établis par l’enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l’affaire soit jugée par un tribunal ».
L’enquête menée par l’IGPN a pourtant clairement établi qu’il a été blessé par un tir policier, alors qu’il n’avait pris part à aucun affrontement pendant toute la manifestation. Les agents des forces de l’ordre présents au moment du tir sont connus. Il aurait donc été possible d’identifier le tireur. Il n’en a rien été, et c’est une nouvelle violence infligée à notre fils.
Avant ce drame, nous ignorions tout des violences policières en manifestation. Nous avons appris. Nous étions naïf·ves et confiant·es envers la justice de notre pays, nous avions tort. Nous n’étions pas révolté·es, nous le sommes devenu·es.
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