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Billet de blog 15 mai 2018

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« Les habitant·es refusaient ce qu’il se passait » 8/8

Treize personnes directement touchées par la violence policière sont venues témoigner devant la cour à l’occasion du procès du 8 juillet. À moins d’une semaine de l’appel du jugement, nous publions deux à deux, huit de ces prises de paroles. Dabo, ancien membre du Collectif de Montreuil pour les droits des sans-papiers.

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Les sept années qui ont précédé ce premier procès, nous avons rencontré de nombreux collectifs constitués suite à une blessure, à un mort. Partageant nos histoires, nous avons acquis une connaissance précise des mécanismes de la violence policière. Nous avons les pleurs, mais aussi l’expérience, nous avons la rage, mais aussi le savoir. Nos vécus, nos luttes ont fait de nous des experts. Le mercredi 24 et le jeudi 25 novembre 2016, c’est cette expertise sensible que nous avons convoquée à l’intérieur du tribunal, Il n’était plus question pour nous de demander la vérité, mais de la faire surgir depuis le réel de nos histoires, et de l’imposer là où elle est continuellement effacée et déniée.

Dabo, ancien membre du Collectif de Montreuil pour les droits des sans-papiers

Je m’appelle Dabo. Je suis là aujourd’hui pour raconter ma vie de sans-papiers à Montreuil à l’époque des faits. Quand je suis arrivé à Montreuil, j’ai habité dans un foyer de travailleur immigré censé accueillir 420 personnes, mais en réalité, nous étions 1200. En arrivant en France, ce qui m’a frappé est de ne plus avoir d’identité. Face à cela, j’ai essayé de rencontrer des personnes qui étaient dans la même situation ,et aussi des gens qui pouvaient me soutenir. J’ai rencontré le collectif de Montreuil pour le droit des sans-papiers, créé en 1997 suite à l’expulsion de l’église Saint-Bernard. J’ai fini par adhérer à ce collectif parce qu’on y partageait les mêmes rêves de liberté. Il y avait aussi une permanence juridique hebdomadaire le samedi, qui aidait à faire des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière et à constituer des demandes de régularisation auprès de la préfecture. J’ai aussi été obligé de trouver un autre logement que le foyer. À 32 ans, je dormais dans le couloir du foyer par défaut de place. J’ai donc occupé une maison vide dans laquelle j’ai habité pendant 7 ans.

À l’époque, il fallait attendre 10 ans en France pour avoir la possibilité d’être régularisé. Pendant ce temps, il fallait espérer ne pas être expulsé. En 2006, le gouvernement a mis en place le Code d’entrée de séjour des étrangers et des demandeurs d’asile (Ceseda), qui a empêché toute possibilité pour les étrangers et étrangères d’être régularisé·es. Cela s’est ressenti à Montreuil. Tous les jours, partout, il y avait des arrestations, surtout aux alentours des foyers, où il y avait aussi des perquisitions. Je connais des gens avec qui j’ai passé du temps, qui un jour sont sortis pour aller prendre le métro ou acheter leur baguette et ne sont jamais revenus. On les a retrouvés au centre de rétention ou au Mali. C’est à ce moment que j’ai pris conscience qu’on avait tout perdu. En arrivant en France, on vient avec l’espoir qu’on va s’en sortir. C’est cet espoir qui s’est envolé pour moi ce jour-là. Je ne pouvais plus sortir de chez moi. Je ne pouvais plus rencontrer qui que ce soit. On pouvait se faire arrêter à n’importe quel moment.

À Montreuil, il y a sept foyers de travailleurs immigrés. La police pouvait facilement « faire du chiffre » en matière d’arrestations de sans-papiers. Face à ça, des habitant·es de Montreuil et le collectif de Montreuil pour les droits des sans-papiers ont créé un groupe pour prévenir les sans-papiers en cas de contrôle de police. On a créé l’Assemblée contre les expulsions. Il y avait des personnes qui venaient de tous les bords, de partis politiques, de syndicats, d’associations et des habitant·es de la ville de Montreuil. La première initiative a été de rédiger un tract qui expliquait ce qu’il faut faire en cas d’arrestation ou d’expulsion. Puis, l’assemblée a décidé aussi de faire une déambulation tous les mercredis à Montreuil. Le rendez-vous était donné devant un foyer de la ville pour aller vers un autre, etc. Ça permettait d’expliquer aux gens qui ne voyaient pas ce qu’il se passait pour nous, d’être informés.

Le 4 juin 2008, le départ était donné devant le foyer Rochebrune. Une heure avant, deux personnes ont été arrêtées : la première dans une cabine téléphonique à la sortie du foyer, elle appelait sa famille en Afrique. La seconde sortait du foyer pour aller jouer au foot avec ses camarades. Des gens du foyer nous ont appelé·es et on est venus discuter avec les gens qui avaient assisté à ces arrestations. Ils nous ont répondu que la police était de passage, et qu’elle les avaient contrôlés et embarqués. Nous étions une vingtaine et nous avons décidé d’aller au commissariat pour demander la libération de nos camarades. En arrivant devant le commissariat, les policiers sont sortis armés, avec des matraques et des chiens. Ils et elles se sont mis à nous pousser, nous ont frappé·es et nous ont tiré dessus au Flash-Ball. Deux personnes ont été blessées. Parmi la vingtaine de personnes qui étaient là, il y avait une dizaine de sans-papiers. La seule chose que nous pouvions faire ce jour-là, c’était essayer de se sauver.

Entre-temps, la maire de Montreuil est venue devant le commissariat pour discuter avec la police. Elle nous a dit que la violence à laquelle elle avait assisté n’était pas justifiée. Il y a eu parmi nous plusieurs arrestations. En même temps, au moins 300 personnes se sont rassemblées devant le commissariat après avoir appris ce qu’il s’était passé, pour demander la libération des gens arrêtés. Tous ceux qui avaient des papiers ont été libérés. Trois personnes qui n’avaient pas de papiers ont été gardées. On a appris par la suite que l’une d’entre elles avait été grièvement blessée au Flash-Ball au niveau des testicules et qu’une autre avait eu un problème asthmatique. Les pompiers sont intervenus. La scène avait été filmée par une personne qui s’est aussi fait arrêter. Cette personne a été jugée quelques mois plus tard. Elle a été condamnée à payer 1000 euros d’amende pour violence sur agent alors qu’elle ne faisait que filmer. Les trois sans-papiers ont été gardés à vue pendant 48 heures. Ils sont aussi passés en procès et ont été relaxés pour les faits de violence sur agent. Entre-temps, la CNDS[1] a sorti un rapport attestant qu’il n’y avait pas eu de violence de la part des manifestant·es. En revanche, ce rapport a mis en avant que la police avait utilisé tous les moyens pour faire, de son côté, usage de la violence.

Si je vous raconte tout ça aujourd’hui, c’est pour vous dire que lorsque je suis arrivé en France j’avais un rêve, j’avais de l’espoir. Lorsque la loi Ceseda est passée en 2006, il n’y avait plus ni espoir, ni rêve. L’image de la France depuis l’Afrique est celle d’une terre d’accueil. Nous rêvions d’être ici parce que nous pensions y trouver de la liberté et de la justice. Mais en arrivant, on est devenu sans-papiers, on a perdu notre identité. On nous a poussé vers le faux. J’ai été sans-papiers et la réalité, c’est que nous devions aussi aller travailler pour pouvoir vivre. Nous ne sommes payés que 5 euros de l’heure. Et si les sans-papiers sont toujours là, c’est parce qu’on a besoin d’eux. On les laisse utiliser les papiers d’autres personnes. On les laisse cotiser à la Sécurité sociale. Mais on ne leur laisse pas le droit d’exister. Lorsque j’ai occupé une maison, ce n’était pas pour le plaisir. Il fallait que je trouve un endroit où dormir, sinon je mourrais dehors. Le passage de la loi Ceseda en 2006 m’a bouleversé. Comment peut-on assister à des rafles en 2006 ? Des camions entiers ont été remplis de noir·es et d’arabes qui se sont retrouvé·es en centre de rétention.

Je l’ai personnellement vécu. Et aujourd’hui, j’ai l’occasion d’être devant vous pour vous raconter ce que j’ai vécu. Jusqu’à aujourd’hui, les seules fois où je me suis retrouvé devant un juge, c’était sous la menace d’être amené en centre de rétention ou reconduit à la frontière. Par chance, je n’ai jamais été expulsé.

Pour moi ce qui s’est passé ce 4 juin à Montreuil, est le reflet de la politique de l’État. À l’époque, l’objectif de 30 000 expulsions par an avait été fixé. À Montreuil, il y a beaucoup de foyers. Beaucoup d’immigré·es habitent Montreuil. La police applique la loi et y met tous les moyens. Seulement, là, la police s’est retrouvée devant des habitant·es qui refusaient ce qu’il se passait. Ce jour-là, la police voulait sans aucun doute provoquer les gens en arrêtant des sans-papiers devant le foyer, juste une heure avant l’appel d’une manifestation contre les rafles et les expulsions… Lorsqu’on est arrivé devant le commissariat, ce n’était pas pour en découdre. Nous n’étions qu’une vingtaine et parmi nous, une dizaine de sans-papiers. La police était déjà prête et bien équipée. Comme s’ils nous attendaient…

Après cette histoire, la répression a continué. En tant que sans-papiers, on ne sait plus comment se comporter avec les gens. On devient marginal. Je suis en France depuis 17 ans et j’ai toujours l’impression d’être arrivé hier. Tout est fait pour nous rappeler que nous ne sommes pas chez nous. La preuve en est ce qu’il s’est passé lundi matin, quand je suis arrivé au Palais de justice. L’agent de sécurité me bloque. J’essaie de lui expliquer que je suis témoin dans ce procès. Deux policiers avancent vers moi. L’un d’eux me pousse. Je redis que je suis convoqué pour témoigner. L’agent me demande ma convocation. Mais même en l’ayant lu, il ne pouvait pas se raconter que, moi, un étranger noir, je puisse être convoqué pour témoigner dans ce procès. Il m’a remis ma convocation en me disant qu’il ne pouvait pas s’agir de ce procès. Seule l’intervention de mes camarades pour dire que nous étions tous ensemble, m’a permis de passer. Et lorsque je suis sorti, pendant le rassemblement devant le tribunal, un agent de sécurité est venu me retrouver pour s’excuser en disant que lui venait du Sénégal et moi du Mali. Ce qui m’a choqué, c’est qu’il ait pris le temps de lire ma nationalité et ma date de naissance, mais pas l’objet de ma présence. Il ne pouvait pas admettre que je vienne témoigner dans ce procès. Qu’est ce que ça raconte ?

Je peux vous raconter des histoires comme ça jusqu’à demain. Mais même demain, ce sera encore comme ça. Pourtant je suis content d’être venu devant vous, vous raconter ce que j’ai vécu pendant ces années en tant que sans-papiers.

[1] La Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) était une autorité administrative indépendante créée par le gouvernement Jospin. Depuis sa disparition en mai 2011, ses missions, notamment concernant la déontologie dans le domaine de la police et de la sécurité, ont été confiées au Défenseur des droits.

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