Pour rappel, les assistants de justice sont des agents publics contractuels qui ont pour mission d’apporter leur concours aux magistrat, notamment en rédigeant des projets de jugements ou de réquisitoires définitifs. En parallèle de cette activité, ils préparent généralement les concours de la fonction publique (magistrat, greffier, directeur des services de greffe judiciaires, conseiller pénitentiaire d’insertion et probation...). Ainsi, les assistants de justice se doivent de concilier leur emploi avec la préparation extrêmement rigoureuse que nécessite les écrits, tout en anticipant la préparation des oraux.
Aux premières loges de la justice du XXIème siècle, le statut de ces agents publics d’Etat est pourtant marqué par la précarité. Les assistants de justice sont rétribués « pour le temps passé à la réalisation des travaux qui [leur] sont confiés », ils effectuent 60 vacations horaires par mois, « dans la limite de 720 par an ». Ces vacations sont usuellement organisées à raison de deux jours par semaine, soit 8 jours par mois. Elles ne peuvent excéder le nombre de 80 par mois. Surgit alors la première difficulté : ce taux mensuel est calculé pour des mois de 4 semaines. Or, nombre d’assistants de justice se voient imposer de travailler toutes les semaines lors des mois de 5 semaines. Il en résulte que les assistants de justice, pourtant rémunérés au SMIC horaire pour 60 heures mensuelles, effectuent 15 vacations horaires supplémentaires, leur statut ne prévoyant pas de rémunération pour les heures supplémentaires. En pratique, ces heures sont donc comparables à du bénévolat ou à des heures effectuées en avance, selon que l’assistant de justice ait réussi, ou non, à faire respecter son contrat. De nombreuses situations d’abus, à l’image de celle-ci, existent depuis de nombreuses années dans les juridictions.
Pourquoi vouloir prendre la parole aujourd'hui pour dénoncer la manière dont certaines juridictions nous traitent ? Tout simplement car le confinement de la justice a exacerbé ces comportements que nous considérons comme indignes des « gardiens des droits et libertés ».
En effet, du fait de l’activation des plans de continuation d'activité, les assistants de justice ont été renvoyés chez eux. Certains ont pu être placés en télétravail tandis que la majeure partie d’entre nous n’avons pu, faute de pouvoir travailler à distance, réaliser nos soixante heures mensuelles. Télétravail ou non, nos rémunérations ont été maintenues.
Cependant, dès le 7 avril, des directives ont été envoyées par certaines cours : nous devions rattraper l'ensemble des heures sous peine de voir engager à notre encontre une procédure de retenue sur salaire équivalente à la période de confinement. Nous sommes plusieurs à avoir contacté le Directeur des Services judiciaires, chargé de donner les instructions officielles. La question est devenue, au fil du confinement, d’autant plus angoissante que chaque juridiction décidait arbitrairement du sort de ses assistants de justice faisant fi de la note de la Direction des services judiciaires en date du 31 mars 2020, prescrivant aux juridictions de les placer sous le régime des autorisations spéciales d'absence.
Cet appel au Ministère de la Justice avait pour but d’obtenir notre placement sous le régime de l’autorisation spéciale d'absence, comme l'ensemble du personnel judiciaire. Ce régime permet de considérer l'agent en situation d'absence régulière. Les heures où l'agent a été placé en autorisation spéciale d'absence sont considérées dans les textes comme service fait, et sont à ce titre rémunérées.
Après de nombreuses relances téléphoniques et électroniques les juridictions continuaient d’affirmer que nous n’étions pas éligibles au régime des autorisations spéciales d'absence. Affirmant que nous devions rattraper nos vacations horaires des mois de mars et avril, elles souhaitaient, par ailleurs, que ce rattrapage s'effectue au delà des 80 heures maximales mensuelles prévues par décret.
Néanmoins, grâce à une nouvelle communication de la Direction des Services Judiciaires, nous avons cru enfin obtenir justice.
Dans un courrier électronique en date du 13 mai 2020 adressé aux chefs de cour, et non aux assistants de justice, Monsieur Peimane Ghaleh-Marzban, le Directeur des Services Judiciaires, botte en touche.
Objet : Situation des assistants de justice
Importance : Haute
Mesdames et Messieurs les premiers présidents,
Mesdames et Messieurs les procureurs généraux,
Nous avons été saisis par des assistants de Justice interrogeant leur position administrative pendant la période de confinement et l’organisation de la reprise d’activité.
Comme précisé dans la note du 31 mars, les assistants de Justice, tout comme les juristes assistant ou les assistants spécialisés, membres de l’équipe autour du magistrat, n’avaient pas vocation à être mobilisés dans les PCA. Ils ont pu effectuer leur mission en télétravail lorsque c’était possible, et à défaut, ont dû être placé en autorisation spéciale d’absence.
S’agissant des assistants de Justice qui ont été placés en autorisation spéciale d’absence, il est rappelé que la régularisation de leur situation par l’augmentation du nombre d’heures travaillées, n’est possible que dans la limite règlementaire du nombre de 80h00 par mois. Pour le surplus, les heures non effectuées ne donnent pas lieu au remboursement d’un trop perçu.
Je vous remercie de me faire remonter les difficulté concernant l’application de ces directives.
Très cordialement
Peimane Ghaleh-Marzban
Dans ce courriel électronique, Monsieur Peimane Ghaleh-Marzban rappelle que nous aurions « dû » être placés sous le régime des autorisations spéciales d'absence.
Toutefois, l'obscurité du second paragraphe a laissé la porte ouverte à de nouveaux abus. Refusant d’affirmer clairement que les heures non effectuées pendant le confinement ne peuvent être rattrapées en raison du régime de l'autorisation spéciale d'absence, il est évoqué une possible « régularisation » des heures dans la limite réglementaire des 80 heures mensuelles.
La réaction de certaines juridictions a été immédiate, s'enfonçant dans cette brèche pour exiger de leurs assistants de justice un rattrapage des heures dans des styles très différents allant de « l’incitation » à la menace d'en subir les conséquences. Est-il besoin de préciser que de tels comportements se retrouvent en partie dans de grosses juridictions et que beaucoup d’échanges se font par oral et non par courriels ?
L'administration ayant fait le choix de nous placer, à l'instar du reste du personnel des juridictions, en autorisation spéciale d'absence, les heures non effectuées par les assistants de justice pendant le confinement en raison de l'absence de télétravail sont considérées comme faites. Rattraper ces heures non effectuées contreviendrait au régime des autorisations spéciales d'absence. Ainsi, la légalité de ce procédé peut être questionnée dès lors que ces heures pourraient être assimilées à des heures non déclarées.
Que demandons nous aujourd’hui? Tout simplement le respect du droit par nos supérieurs :
- L'application légale du régime de l'autorisation spéciale d’absence aux assistants de justice de manière uniforme sur l’ensemble du territoire
- L'application pour les jours de concours du régime de l’autorisation spéciale aux assistants de justice de manière uniforme sur l’ensemble du territoire
- La communication directe aux assistants de justice de toute note ou information les concernant
- L’existence d’un interlocuteur au sein du Ministère de la Justice à qui remonter les cas de non-respect du statut des assistants de justice en juridiction
Nous sommes dévoués à une institution qui nous broie dès qu’elle en a l'occasion, nous qui sommes au bas de la chaîne alimentaire judiciaire. Cette fois-ci, cette institution est allée trop loin en cherchant à abuser de son aura.
Nombreux sont les assistants de justice craignant des représailles, tant au regard de leur poste d’assistant de justice, qu’au moment du grand oral du concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature ou lors de leur future carrière de magistrat. Toutefois, si le régime de l’autorisation spéciale d'absence ne nous est pas réellement appliqué et que des juridictions continuent de nous réclamer le rattrapage des heures considérées comme faites, nous sommes prêts, après l’ironie d’un recours gracieux préalable, à saisir le tribunal administratif compétent pour faire cesser cette illégalité.
Nous tenions à remercier les magistrats qui s’opposent à cette injustice en ne faisant pas rattraper ces heures à leurs assistants de justice, ainsi que ceux qui se battent pour nous défendre.
Enfin, à ceux qui souhaitent nous faire rattraper nos heures au détriment de nos études, de notre avenir, il est évident qu’au milieu d’une justice devenue une usine où les statistiques et les stocks sont plus importants que le justiciable, vous vous êtes égarés puisque vous ne respectez même plus les droits de vos collaborateurs.
Nous préparons majoritairement un concours dans l’espoir de devenir demain les collègues des personnes qui aujourd’hui font peu de cas de nous. Serions-nous atteint du syndrome de Stockholm?
Des assistants de justice en colère qui ne souhaitent plus se taire.