Covid-19, quelles conséquences pour les cinémas? Premiers constats
Le contexte de la Covid-19 et ses incidences sur l’avenir représentant une priorité pour établir des prévisions budgétaires à court-terme qui soient les plus réalistes possibles, nous nous sommes attachés à tenter de premières estimations.
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Nous appuyant sur les constats qui ont pu être effectués dans le cadre des concertations professionnelles auxquelles nous sommes associés, nous estimons qu’il n’est pas envisageable dans l’immédiat de prévoir la moindre hypothèse de reprise comme avant la crise de la covid-19.
Pour autant, la comparaison s’effectue par rapport à une année 2019 très forte. D’autre part, en terme de films porteurs, l’offre en 2020 a été plus faible jusqu’à mi-février, les prévisions de sortie étant décalées cette année fin février, début mars ▾
Entre les deux confinements, 25M d’entrées ont été enregistrées en France. D’une manière générale, tous s’accordent à dire que les mois de septembre et octobre montraient les signes d’une reprise. Voici les données extraites correspondantes ▾
Des variations importantes du différentiel 2020 / 2019, selon le type de programmation adopté
Il est encore trop tôt pour disposer d’analyses détaillées complètes. Mais d’ores et déjà, sous réserve de résultats provenant d’une véritable étude, on peut constater à partir de sondages ponctuels, que la comparaison 2020 / 2019 des entrées enregistrées en septembre et octobre laisse apparaître des variations importantes de différentiels 2020 / 2019 selon la catégorie dans laquelle se range l’établissement :
▹ Pour les exploitant.e.s à vocation «généraliste / art et essai» situés en zone verte le différentiel est supérieur au différentiel moyen (de l’ordre de -60%, -65% couvre-feu inclus à partir de fin octobre ).
▹ Pour les exploitant.e.sexclusivement «art et essai» situés en zone verte, c’est-à-dire sans couvre-feu pendant la période du 17 au 29 octobre, le différentiel est inférieur au différentiel moyen (de l’ordre de -30%,-40% couvre-feu inclus à partir de fin octobre). Si on s’appuie sur plusieurs déclarations, ceux d’entre eux qui étaient en zone rouge pendant le premier couvre-feu, bien qu’ayant eu à réaménager leurs séances en supprimant celles du soir, n’auraient pas constaté de baisses supplémentaires significatives.
▹ Quelques sondages hebdomadaires montrent que les exploitant.e.s à vocation généraliste commerciale enregistrent régulièrement des différentiels de l’ordre de -80%, -90%. Dans l’une des rares informations émanant de cette partie du secteur, Jocelyn Bouyssy, directeur général de CGR, deuxième grand groupe de France, déclare sur France-Culture avoir un différentiel global de -70% en septembre et fait part d’une réelle inquiétude : « j'ai vraiment peur que beaucoup de monde reste au bord de la route ».
Ces différences s’expliquent principalement par le fait qu’il n’y a quasiment pas eu d’offres en films porteurs populaires. Les blockbusters américains, notamment, ont été reportés ou purement et simplement diffusés directement sur les plateformes internet. Dans un tel contexte, les établissements cinématographiques dont l’essentiel voire la totalité du chiffre d'affaires repose sur ce segment sont d’autant plus fortement impactés. Les négociations engagées par l’État avec les plateformes américaines devraient permettre la reprise d’une forme de régulation, mais sans permettre d’atteindre les niveaux avant-Covid-19 (cf. plus loin).
Elles s’expliquent aussi par le fait que les séances événementielles bénéficiant d’une action culturelle, organisées autour de films «art et essai» en avant-première ont enregistré d’excellents résultats dans les établissements «art et essai». C’est le fruit d’un travail de proximité, mené depuis des années par ces exploitant.e.s en lien avec de nombreux partenaires culturels et dans le cadre d’une politique tarifaire et de fidélisation des publics.
Des expériences menées durant les confinements dont la portée reste à analyser
Nous n’avons que très peu de données concernant les expériences de séances de drive-in organisées un peu partout en France pendant le premier confinement. Pour mémoire, ces séances, qui programmaient très souvent des films populaires, ont été contestées par une partie de la profession.
Durant les confinements, un certain nombre d’exploitant.e.s «art et essai» ont tenté l’expérience d’une programmation de films «art et essai» inédits proposée par l’entremise d’une salle virtuelle, permettant d’entretenir une relation avec le public. Le 2 décembre 2020, dans un communiqué, la Vingt-cinquième heure distribution, l’un des deux prestataires fait état de l’organisation depuis mars de 3.800 séances, 358 invité.e.s avec un résultat de près de 100.000 spectateur.rice.s (soit 26 spectateur.rice.s / séance). Elle ne cite pas le nombre de films ni le nombre d’établissements concernés. On ne trouve pas de données concernant La Toile.
Une mutation profonde du secteur qui menace l'avenir des salles de cinéma
Beaucoup d’instances professionnelles font état d’une mutation profonde du secteur à l’échelle mondiale : production des films désormais financée principalement par les plateformes de streaming, repositionnement de ces dernières vers une priorité de diffusion des films sur le net, fermetures de salles.
Le cinéma est un secteur dont toutes les composantes, producteurs, ayant-droits, diffuseurs sont interdépendantes.
En France, si on s’arrête à l’exploitation en salles, on constate que la raréfaction de l’offre de films porteurs généralistes a conduit les circuits à davantage accéder aux films « art et essai». Cela s’est notamment traduit par une multiplication (exponentielle) des copies pour toutes les catégories de films « art et essai » sur les zones à concurrence, ce qui, par ricochet, fragilise les exploitant.e.s «art et essai». Alors que certain.e.s distributeur.e.s indépendant.e.s peuvent se réjouir d’avoir actuellement accès à davantage d’écrans dans le contexte de la Covid-19, les risques de dérégulations sont encore plus grands.
L’avenir de la filière de l’exploitation, et partant, celui de tout le secteur, dépendra de la suite réellement donnée dans la conduite – en concertation (difficile) avec les professionnel.le.s, des négociations entreprises par l’État avec les plateformes de streaming américaines qui devront participer à la production de films français et se verront imposer à cette occasion des paliers d’investissement d’autant moins forts qu’il respecteront une chronologie des médias, avec priorité aux exploitant.e.s. Mais, sauf erreur ou omission, cela ne concerne que les films français à la production desquels participeront ces plateformes.
Un décret, dit « décret SMAD » incluant ces dispositions a fait l’objet d’une consultation jusqu’au 10 novembre qui a soulevé de nombreuses réactions de la parte des filières de la production et de l’audiovisuel. Le gouvernement peut procéder à un ultime ajustement avant de transmettre le décret au CSA et au Conseil d’État, parallèlement à l’avancée du projet d’ordonnance SMA que pourra prendre le gouvernement après l’adoption au Parlement de la loi Ddadue.
Parallèlement, rien ne semble garantir désormais que tous les films américains de blockbusters seront proposés pour une diffusion dans les salles de cinéma, y compris en France ▾
◇ Sachant que, d’ores et déjà, «Les studios Warner Bros ont décidé, jeudi 3 décembre, que tous leurs films prévus en 2021 aux Etats-Unis, dont les très attendus Matrix 4 et Dune, seraient diffusés sur leur plate-forme de vidéo à la demande HBO Max parallèlement à leur sortie en cinéma. […] [Cela] ne s’appliquera dans l’immédiat qu’aux Etats-Unis, le service HBO Max n’étant pas disponible à ce stade dans d’autres pays, où le catalogue Warner Bros sortira normalement dans les salles de cinéma l’an prochain. Lancé en mai, HBO Max devrait être étendu à certains pays d’Amérique latine et d’Europe au second semestre 2021.»
◇ Surtout si demain, comme semble l’envisager Walt Disney par exemple, les intermédiaires français des plateformes américaines sont supprimés.
Lorsque la crise sanitaire sera derrière nous, il est plus que probable que les exploitant.e.s ne retrouveront pas la même offre en films porteurs qu’avant la Covid-19 (notamment américains) alors que ces films ont représenté 50% des entrées France enregistrées par les salles. Toute la question est de savoir jusqu’à quel point, ce que personne ne peut prévoir aujourd’hui.
Catherine Bailhache
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