Il y a 51 ans, le 6 février 1973, l’incendie du C.E.S. Edouard Pailleron dans le 19ème arrondissement de Paris, causait la mort de 20 personnes, 16 enfants, trois professeurs et la gardienne. L’Association des Familles des Victimes, créée au lendemain de l’incendie et formée uniquement des parents et des familles des victimes, s’était donnée pour tâche de faire toute la lumière sur les causes de l’incendie, de poursuivre en justice les responsables, d’œuvrer pour que pareil drame ne puisse se reproduire.
Malgré les tentatives de blocage du ministre de l’Education Nationale de l’époque, qui tentait, dès le lendemain, de faire disparaître les restes du C.E.S. afin d’effacer toute trace, et malgré les tentatives d’intervention de psychologues pour nous démotiver dans notre lutte, l’enquête des Familles des Victimes et de la Justice fait apparaître que les jeunes incendiaires, qui ont versé du white spirit dans la corbeille à papier d’une salle du rez-de-chaussée du collège, ne sont pas les seuls responsables. Dans une construction traditionnelle, l'incendie n'aurait détruit qu'une salle de classe et l’arrivée des pompiers aurait arrêté le sinistre. Les vices du système de construction sont clairement mis en évidence.
Les C.E.S. de type Pailleron (constructions modulaires) sont constitués d’une ossature métallique, incomplètement ou pas du tout protégée, qui s’affaisse en cas d’incendie, provoquant l’effondrement du bâtiment. A cette structure sont accrochés des panneaux d’agglomérés de bois de type SOPALAND, combustibles et dégageant, en cas d’incendie, des gaz mortels et une fumée opaque. A tous les niveaux, des vides multiples, non recoupés, communiquent entre eux et permettent une propagation fulgurante de l’incendie. Pour couronner le tout, du polystyrène expansé est utilisé comme isolant.
Les familles se demandent alors comment de tels bâtiments peuvent être légalement construits. Elles s’aperçoivent avec stupéfaction que la loi sur la sécurité des établissements recevant du public (LIVRE ROUGE) a été modifiée pour permettre leur construction, créant tout un système de passe-droits applicables à l’Administration (pas d’obligation de permis de construire, articles dérogatoires limitant la durée exigible de résistance au feu, avis des commissions de sécurité uniquement consultatif). En outre, l’Etat étant son propre assureur, il échappe à tout contrôle imposé par les compagnies d’assurance.
L’Association obtient alors la nomination par le Sénat d’une commission d’enquête dont le rapport sera “expurgé” tant il met en cause l’Administration et les procédures administratives douteuses. Grâce à la complicité de certains parlementaires écoeurés, les familles obtiendront néanmoins le texte intégral, qu’elles diffuseront à la presse. Les députés, ainsi alertés, modifieront la loi de façon que l’Education Nationale, comme tout constructeur, soit astreinte aux règles générales de sécurité applicables aux établissements recevant du public (permis de construire, respect des normes, contrôle...).
Toutes ces constatations vont peser lourd dans l’action judiciaire entreprise par les familles et leurs avocats contre les constructeurs. L’Association parviendra à démontrer que le C.E.S. Pailleron n’était pas un cas isolé, mais faisait partie d’une série de bâtiments programmée par des responsables qui en connaissaient parfaitement les dangers.
L’architecte, les constructeurs, et le Directeur des Constructions du Ministère de l’Education Nationale seront condamnés à des peines de prison, réduites en appel pour faire bénéficier les hauts fonctionnaires de l’amnistie présidentielle. Néanmoins, ces condamnations, exceptionnelles à ce niveau, resteront une victoire sur la toute-puissance de l’Administration. Ce précédent aura sans doute joué dans les décisions ultérieures d’inculpation de hauts fonctionnaires, comme par exemple dans l’affaire du sang contaminé.
Parallèlement, l’Association intervient dans toute la France au côté des parents d’élèves et des enseignants des C.E.S. de même type (55 “Pailleron” en France) et des établissements de même famille de construction (plus de 900 écoles) afin d’obtenir des amélioration de sécurité à court terme, et le remplacement des bâtiments par des constructions en dur à plus longue échéance. Afin de sensibiliser l’opinion, l’Association réalise elle-même, avec l’aide du service audiovisuel de la CGT, un film de dix minutes, expliquant, à partir de l’exemple de Pailleron, les dangers de ce type de construction. Là encore, au lieu de reconnaître la réalité des dangers et de tenter d’y faire face, l’Education Nationale se contente, au mépris de la sécurité des enfants, de tout faire pour discréditer l’action de l’Association auprès des parents, des enseignants et de la presse, sans heureusement y parvenir.
Grâce à l’Association et à son soutien par l’ensemble des médias, de nombreux C.E.S. de type Pailleron ou assimilés ont été remplacés par des bâtiments en dur. Il est cependant scandaleux que tous ne l’aient pas été et que, 51 ans après le drame, il existe encore, dans toute la France, des établissements dangereux. Ainsi le collège de Royan a été en 1999 complètement détruit en quelques minutes par un incendie. Les flammes ont gagné l’ensemble du bâtiment sans que nous n’y puissions rien, déclarait le commandant des pompiers, ajoutant que la structure métallique n’avait pas résisté longtemps à la chaleur et que les murs étaient tombés comme un château de cartes. Le collège avait pourtant fait l’objet de travaux de sécurité. L’Association continue à sensibiliser les médias sur ces problèmes et à aider les parents d’élèves qui le souhaitent.
Les organismes constructeurs ont désormais l’obligation de se soumettre aux règles de sécurité en usage dans les locaux recevant du public. Les utilisateurs sont consultés ou interviennent lors des décisions de nouvelle construction, prises désormais au niveau de la région. Il n’est donc plus possible, en théorie, de construire des établissements de type Pailleron. Néanmoins, l’Association reste vigilante, en particulier lorsqu’elle voit s’ériger des constructions à ossature métallique, ou quand François Bayrou, le ministre de l’Education, déclare que les bâtiments type Pailleron n’était pas si dangereux que cela, alors que son prédécesseur à la mairie de Pau, André Labarrère avait sur notre conseil détruit un collège de type Pailleron pour reconstruire un bâtiment en dur. Elle a aussi pris position sur le problème de l’amiante en mettant en garde l’Administration et les constructeurs contre les risques encourus en cas de suppression pure et simple du matériau, et en invitant les utilisateurs à exiger son remplacement par un matériau anti-feu de substitution, indispensable pour assurer la sécurité en cas d’incendie. Elle a enfin fait remarquer que, bien que la protection anti-feu en ait été exemplaire, les Twin Towers ne se seraient sans doute pas effondrées si elles avaient été construites en béton, épargnant ainsi la vie de plusieurs centaines de sauveteurs.
Depuis le drame, aucune victime d’incendie dans les établissements scolaires n’a été à déplorer. Néanmoins l’Association n’oublie pas que l’Administration a parfois la mémoire courte et reste attentive à tous les problèmes de sécurité dans les établissements scolaires et universitaires afin que pareil drame ne puisse se reproduire.