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Billet de blog 6 novembre 2023

Etats généraux de l’information : l’Etat doit aussi se poser des questions

Alors que le gouvernement lance les États généraux de l’information, il faut rappeler que la France est à la traîne en matière de droit à l’information et de transparence : la loi française, déjà très restrictive et peu appliquée, est rognée par plusieurs décisions de justice.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En introduction de son discours de lancement des Etats généraux de l’information en juillet dernier, Emmanuel Macron a insisté sur l’importance du droit à l’information : « Nous avons le devoir collectif de permettre aux citoyens d’avoir accès à cette information et de préserver ce droit », rappelant que celui-ci trouvait « son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».

Mais dans son esprit, ce droit à l’information semble ne concerner que les journalistes et pas du tout l’administration. Pourtant, au delà des discours, dans notre pratique quotidienne de journalistes, nous constatons les blocages incessants dès qu’il s’agit de faire la transparence sur les décisions des ministères, collectivités locales ou organismes publics. D’ailleurs, sans surprise, rien dans le programme des Etats généraux ne concerne ce droit à l’information, qui reste un impensé de l’administration. Et ce, malgré la présence dans le comité d'organisation de Bruno Lasserre, président de la commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Il y aurait pourtant matière à débattre.

Une course d'obstacles

L’obtention d’un simple rapport auprès de l’administration peut se transformer en véritable parcours du combattant. Si un journaliste peut saisir une commission indépendante, la Cada, elle ne rend que de simples avis consultatifs. Il faut alors débuter de longues et coûteuses procédures judiciaires. Ainsi pour obtenir les notes de frais de la mairie de Paris, un premier journaliste a dû aller au Conseil d’État et passer quatre ans de coûteux recours.

Au quotidien, les demandeurs font face à l’obstruction des administrations, à l’image du ministère de l’Education qui a attendu la décision du tribunal administratif, trois ans après la demande initiale, pour publier les indices de positionnement social des collèges – indices de la ségrégation scolaire. Un autre journaliste souhaitant obtenir la liste des participants aux chasses présidentielles dans le domaine de Chambord a, pour sa part, dû saisir la Cour européenne des droits de l’homme – une procédure à ce stade toujours en cours, cinq ans après la demande initiale.

Pire, du fait d’une loi favorable à l’opacité de l’administration, la justice devient souvent l’allié des secrets du pouvoir et du secret des affaires, bien loin du « droit à l’information ».

Ainsi, le 22 novembre 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne a mis un coup d’arrêt à la transparence du registre des bénéficiaires effectifs. Ce registre permet, dans tous les pays de l’Union européenne, de connaître les réels possesseurs d’une entreprise. A la suite duscandale des Panama papers, la publicité de ce registre avait été imposée par une directive européenne anti-blanchiment (2018).

Cette publicité avait permis à des journalistes différents médias de lever le voile sur des scandales immobiliers, sur les OpenLux ou les avoirs d’oligarques russes. Mais cela allait trop loin pour la Cour de justice de l'Union européenne qui a imposé le black-out, au nom du respect de la vie privée.

Le Conseil d’État au secours de la vie privée des entreprises

Deux décisions du Conseil d’État l’an dernier sont allés dans le même sens, rendant plus complexe l’accès aux documents administratifs. Par une décision du 17 mars 2022, il a poussé à l’application du secret des affaires pour les factures des collectivités locales. Surtout, dans un arrêt du 7 octobre 2022, il a consacré la « vie privée des personnes morales ». De longue date, la loi sur la transparence des documents administratifs protège la vie privée. Mais, dans l’esprit du législateur, seul les personnes physiques avaient eu une vie privée. Hélas, le Conseil d’État a considéré que les entreprises et les associations avaient elles aussi une vie privée. Pour les demandes de documents administratifs concernant les entreprises, les journalistes étaient déjà bloqués par le secret des affaires. Ils le seront dorénavant par un nouvel obstacle : la vie privée des personnes morales.

Or, le Conseil d’État n’a pas précisé ce que recouvrait exactement cette notion, qui est potentiellement très large. Les citoyens pourront-ils encore interroger les relations entre une commune et une association ? Étudier le fonctionnement des sociétés d’économie mixte ? Interroger les liens de lobbying que subit un ministère ? Pour l’instant, le juge judiciaire et le juge constitutionnel n’ont pas suivi le Conseil d’État. Mais qu’en sera-t-il demain ?

Cette décision du Conseil d’État est venue d’un recours concernant l’association Anticor qui souhaitait pouvoir consulter les comptes de la Fondation Louis Vuitton. Pour construire sa fondation, Louis Vuitton a déjà bénéficié de 518 millions d'euros de réduction d’impôts sur les sociétés. Jamais le Parlement n’a décidé une telle dépense fiscale pour cette fondation. Si nous connaissons ce chiffre, c’est parce que la Cour des comptes l’a rendu public. Mais pour le Conseil d’État il relève de la vie privée.

Garantir le droit à l’information

Face à cela, la loi doit garantir le droit à l’information. Des solutions existent : la Cour européenne des droits de l’homme pousse, pour qu’au nom du droit à la liberté d’expression, des garanties supplémentaires soient offertes aux journalistes, chercheurs et ONG quand l’administration leur refuse un document. Car protéger le droit à l’information commence aussi par garantir, pour les journalistes comme pour les citoyens, la transparence de l’administration et un juste équilibre entre secrets des affaires et liberté d’informer.

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