Après une bataille opiniâtre des avocats des victimes d’atteintes à la santé liées au travail, une décision de la cour de cassation du 20 janvier 2023, opérant un revirement de jurisprudence, a enfin ouvert la voie à une possible réparation « intégrale » des victimes d’accident du travail et maladies professionnelles. Celle-ci permettra d’indemniser l’ensemble des préjudices et souffrances endurées, comme c’est le cas pour un accident ou une maladie hors travail.
Vent debout contre cette décision, les organisations patronales ont réussi à convaincre - on ne sait pas trop comment - les cinq confédérations syndicales, de signer l’accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 relatif aux accidents du travail et aux maladies professionnelles, dans lequel il est clairement indiqué que les partenaires sociaux demandent au gouvernement que les effets de la décision du 20 janvier 2023 ne remettent pas en cause le compromis historique reposant sur la réparation forfaitaire du préjudice subi par les victimes.
S’appuyant sur cette position unanime assez incroyable, le gouvernement a prévu, dès cette année, de s’opposer de front aux décisions de la plus haute juridiction française, en introduisant un article 39 dans le Projet de Loi du Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS – 2024). Cet article oppose en quelque sorte le droit à la rente à l’action en faute inexcusable de l’employeur. Cela amputerait ainsi gravement l’indemnisation due aux victimes. Sous la pression de la mobilisation associative, syndicale et parlementaire qui a suivi, le gouvernement a renoncé à son funeste projet et retiré l’article 39.
Aujourd’hui, nous sommes indignés d’apprendre que, sans consultations des victimes du travail et des associations qui les représentent, sans débat à l’intérieur des organisations syndicales, une démarche des partenaires sociaux a été entreprise proposant au ministre du Travail, Olivier Dussopt, de réintroduire dans le PLFSS 2024 l’article 39 modifié. Ce nouveau projet est identique au précédent, la définition des notions est toujours aussi floue (renvoyé à une commission et non plus au pouvoir réglementaire). Les partenaires sociaux veulent empêcher l’indemnisation au titre de la Faute Inexcusable de l’Employeur au nom d’une prétendue revalorisation de la rente. Par courrier aux partenaires sociaux, Olivier Dussopt a opposé une fin de recevoir à cette démarche, tout en appelant les partenaires sociaux à poursuivre leurs discussions sur le sujet.
Composée de nombreux collectifs associatifs et syndicaux de victimes de l’amiante, des pesticides, de la radioactivité, et de très nombreuses substances toxiques, cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, l’association Henri Pézerat était réunie en Assemblée générale, les 17 et 18 novembre 2023. Ses membres tiennent à exprimer leur indignation devant cette initiative à laquelle participent les organisations syndicales de travailleur.es.
Parmi les militants engagés depuis des décennies dans le mouvement social des victimes de l’amiante, Josette Roudaire (Amisol) et Jean-Marie Birbès (Eternit) expriment leur indignation en ces termes : « Cette démarche est un véritable coup de poignard dans le dos des travailleuses et travailleurs victimes de crimes industriels, crimes commis en toute impunité. Que des organisations syndicales ouvrières - nos syndicats – soient engagées dans une telle démarche régressive suscite l’indignation des victimes du travail. »
Au nom des victimes de l’amiante en particulier, l’association Henri Pézerat lance cet appel solennel à toutes les organisations syndicales de travailleur.es pour qu’elles se désolidarisent de l’offensive patronale contre l’indemnisation des victimes de la faute inexcusable de leur employeur. L’association et les collectifs qui la composent sont disponibles pour les rencontrer afin de donner les éléments qui justifient cette indignation.
Il faut que le mouvement syndical s’unisse au mouvement associatif de défense des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles pour soutenir les victimes dans l’action en faute inexcusable de l’employeur, mais aussi pour mener campagne afin d’obtenir une évolution radicale des lois, de 1898 sur les accidents du travail et de 1919 sur les maladies professionnelles. Sans remettre en question l’immense progrès de la présomption d’imputabilité des maladies et accidents de travail, cette évolution doit mener à la réparation intégrale des préjudices, comme c’est le cas pour les accidents de la route, les accidents domestiques ou les victimes d’attentats.