Les comptes fantastiques de Paulette de la Brosse (1)
Le conte se passe dans cette grande banque franco-belge spécialisée dans le crédit aux collectivités, qui fut si sévèrement touchée par la crise dite des sub-primes, que les Etats furent contraints de la recapitaliser lourdement pour éviter sa faillite.
Cette banque finance de très nombreuses villes en France, parmi lesquelles certaines ont durement subi les effets de ses montages fondés sur des variables exotiques, et tentent désespérément de les renégocier.
La grande Ville de l’Ouest parisien dont il est question ici, métropole majeure de l’Ile de France, n’a jamais accepté ces offres exotiques et toxiques, seulement des financements aux bases traditionnelles, un peu décalés dans la folie des années précédentes .
Ce jour là, l’adjointe aux finances de cette ville, Paulette de la Brosse, a pris rendez-vous avec le directeur du département Bernard Dupondt, pour « étudier tous les prêts en cours ». Auparavant, la banque traitait directement avec le maire, et Bernard Dupondt se souvient avec quelques frissons de l’ancien ministre qui jonglait avec les taux, le Pibor, la BCE et face à qui il fut de maintes fois en péril, ou de son successeur, haut fonctionnaire des chiffres, qui devait avoir un ordinateur à la place du cerveau tant il calculait vite et sans erreur.
Avec eux pas de fantaisie ou d’exotisme, de la rigueur jusqu’à l’austérité, le cauchemar des banquiers !
Bernard Dupondt n’a jamais encore rencontré la nouvelle adjointe aux finances, Paulette de la Bosse.
Elle se présenta à l’heure, et Bernard Dupondt vint l’accueillir pour prendre l’ascenseur qui menait au 37eme étage de le tour, celui des réceptions VIP. Dès entrés dans l’ascenseur, Paulette de la Bosse l’entreprit sur les prêts à taux variables toxiques tueurs de banques et de collectivités. Bernard Dupont vit là une dure entrée en matière : l’adjointe était manifestement au fait des turpitudes financières de son établissement.
Dans le salon de la réunion, Paulette de la Brosse poursuivit sa diatribe contre tous les prêts à taux variables et les crédits « rivoleving » (prononçait-elle), tous assimilés à des variables toxiques, qui portaient en eux des risques mortels. Sa revendication était impérieuse et péremptoire : certains prêts contractés par sa Ville étaient à taux variables, il fallait les changer.
Bernard Dupondt n’en revenait pas !
Les prêts variables accordés à cette ville étaient indexés sur le TBB ou le PIBOR, en €uros, à des taux avantageux pour elle, et l’évolution annoncée de l’inflation et des taux de la BCE permettait d’envisager une baisse réelle de leurs coûts.
Il eut un mouvement de surprise. Paulette de la Brosse expliqua alors que la Ville était au bord de la faillite à cause de la gestion précédente, et qu’une mise sous tutelle par le Préfet n’était pas à exclure ; dans ces circonstances, la Ville devait se défaire de tous ses prêts à taux variables, toxiques, et leur substituer de solides prêts à taux fixes que sa compétence de comptable permettait de comprendre et de gérer.
Etouffé d’un rire intérieur, Bernard Dupondt s’excusa quelques minutes pour conter l’histoire à ses collaborateurs.
Décidemment le métier de banquier réservait bien des surprises, pas seulement mauvaises.
C’est ainsi que la grande banque franco-belge accepta la renégociation inespérée des prêts variables en taux fixes, plus chers d’un demi-point pour le débiteur. Pour faire bonne mesure et conforter Paulette de la Brosse dans ses certitudes, Bernard Dupondt ne lâcha rien sur le dédit, avec une mine résignée. Paulette exultait : s’il fallait payer un dédit, c’est bien que la banque perdait au change, non ? Et donc, en toute logique comptable, que sa Ville y gagnait ? Magnanime, elle versa le dédit, ce qui lui permit en outre de se répandre sur les conséquences désastreuses de la gestion précédente.
Ainsi, tout le monde était content. Après tout, le métier de Bernard Dupondt était de vendre de l’argent, dans les meilleures conditions pour sa banque,
pas d’enseigner la finance à une comptable.
Les comptes fantastiques de Paulette de la Brosse (2)
Ce matin, Paulette de la Brosse est inquiète.
Son maire lui a confié la mission de renflouer la Société d’Aménagement dont la ville possède 13%. La trésorerie de cette Société mixte, chargée de l’aménagement de la Grande Terre, va à vau-l’eau depuis les dernières élections et sa reprise en main par le nouveau maire : quelque 30 millions d’€uros attendus n’ont pas été versés à la ville, les promoteurs ayant incompréhensiblement refusé de payer alors que tout le projet engagé est bloqué depuis les élections.
André Squali, le vrai patron de tout, avait été net avec le maire de cette ville, dans le langage fleuri qu’il adore:
« Je vous ai laissé 13% et la présidence de la Société, ça te fait une ligne sur ta carte de visite, tu vois que je suis bon. Mais maintenant, ou bien vous payez, ou bien vous virez ! »
Comment trouver 30 millions quand les charges foncières n’ont plus d’acheteur, et que le budget global est grevé par les dépenses?
Toutes les constructions prévues par les maires précédents ont été annulées ou remises en cause, les ventes et recettes afférentes renvoyées sine die, et l’immobilier d’entreprise est en baisse de 75%, alors que son maire venait d’en faire son axe de développement privilégié.
Paulette de la Brosse est face à son destin :
Qu’il est long, le chemin parcouru, depuis les chiffres des bilans et comptes des entreprises, qu’elle étudiait du temps où elle travaillait, il y a longtemps, et ses responsabilités actuelles !
Elle doit maintenant prendre des décisions et des risques financiers, et elle est seule.
Son maire ne comprend rien aux finances, et ses collègues ne font pas la différence entre investissement et amortissement.
Elle fait alors appel à son nouvel ami le banquier Bernard Dupondt, qui lui propose la solution-miracle :
« Je vais faire appel à deux confrères et constituer un pool bancaire, qui prêtera les 30 millions que vous devez à la Société d’Aménagement, plus ceux que vous devrez bientôt, soit 110 millions en tout ».
« Mais il faudra les rembourser ! « dit Paulette, effarée.
« Certes, mais cela s’aménage : on va monter un remboursement différé du capital, par exemple in fine à 5 ou 6 ans, et d’ici-là vous ne paierez que les intérêts » susurre Bernard Dupondt.
« Bien sûr pas de taux variables » assène Paulette, un peu rassurée.
« Non ! non ! ne vous inquiétez pas ! Sourit Dupondt. Jamais nous ne vous ferions une chose pareille. On va établir un montage spécial, rien que pour vous, parce que nous tenons vraiment à vous et que nous sommes prêts à tous les sacrifices pour vous garder. Il s’agira d’un taux variable sur Euribor, mais le taux ne sera fixé que le jour de la mobilisation des fonds ; c’est vous qui choisissez ! … » (« … à quelle sauce vous voulez être mangée », acheva-t-il dans sa barbe).
Paulette, conquise, sort de la tour d’un pas altier.
Son maire est enthousiaste ;
« Un remboursement après 2014, après les prochaines élections ? Ce sera le problème de ceux qui nous survivront, on prend ! »
Paulette explique que les gentilles banques si empressées de leur rendre service n’émettent qu’une toute petite exigence : la garantie de la ville, adossée à une cession des créances qui leur donnerait le pouvoir effectif sur la gestion de la ville en cas de problème. Son maire n’écoute déjà plus : il a un besoin pressant d’argent, pour clouer le bec à ceux qui doutent de sa gestion, et pour se maintenir aux yeux d’André Squali, il l’a trouvé, le reste n’est que littérature – ou finances.
Un de ses importants collègues, Timor Lalune, connu pour une agilité financière dont il tire le meilleur profit, lui dit qu’il fera son affaire de la garantie du conseil des conseillers en conseils, avant de partir déjeuner.
Paulette de la Brosse est heureuse ; la chrysalide est devenue papillon,
et elle fait désormais partie des cadors de la finance, ce que son ami Bernard Dupondt lui a confirmé. Un brave homme, ce Dupondt : juste avant de quitter son département pour un étage plus élevé de la tour, il lui a confié, tout sourire, qu’il lui doit à elle, et à elle seule, la juste promotion de ceux qui réalisent l’impossible.