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Billet de blog 12 décembre 2024

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10% du budget pour une recherche responsable à la hauteur des enjeux

Cet article s’inscrit dans le plaidoyer porté depuis 2019 par le collectif Horizon TERRE (HT), visant à promouvoir une recherche scientifique alternative, moins centrée sur les intérêts industriels de quelques-un·es et davantage orientée vers les besoins de l’ensemble de la société.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

par Jérémie Cavé (IRD), Marc Deconchat (INRAE), Michel Duru (INRAE), Laurence Huc (INRAE)

Les orientations de la recherche au niveau européen sont très peu débattues et les citoyen.ne.s complètement mis à l’écart de leur définition. Cet enjeu est renforcé par les urgences imposées par les bouleversements environnementaux en cours. C’est au travers des programmes de recherche d’aujourd’hui que se définissent les travaux et les connaissances scientifiques de demain et par conséquent les choix de société à venir. La recherche oriente aussi le contenu des enseignements et par conséquent les compétences des communautés étudiantes.

Actuellement, les orientations de recherche en Europe misent principalement sur des solutions technologiques qui restent hypothétiques et présentent des risques non évalués. Nous proposons de sortir de la position hégémonique de l’humain exploitant la Terre tel un gisement de ressources, pour centrer la recherche sur la communauté des vivants.

Horizon-Terre : une alternative à la « croissance verte » promue par l’UE

La communauté scientifique (GIEC, IPBES) alerte sur l’ampleur des ravages écologiques en cours qui met en péril la pérennité des sociétés contemporaines.

Ce consensus scientifique a été pris en compte dans l’accord de Paris en 2015, au moins en ce qui concerne le péril climatique, et se traduit législativement en Europe par un objectif de diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050.

La Commission et le Parlement européens proposent des orientations de recherche ayant pour vocation de résoudre ces problèmes, mais aussi d’en faire une opportunité pour renouveler le moteur de la croissance économique en se passant des énergies fossiles grâce à des solutions technologiques nouvelles. C’est ce que l’on appelle le « découplage » : briser la corrélation historique entre produit intérieur brut et émissions de GES. Ce programme de recherche définissant les orientations pour la période 2021-2027, intitulé « Horizon Europe », continue ainsi de mettre la recherche scientifique au service de la croissance économique. Le découplage nécessaire pour que cet objectif économique soit compatible avec l’accord climatique de Paris serait réalisé principalement grâce au développement de technologies numériques, notamment de l’intelligence artificielle.

À notre avis, Horizon Europe n’est pas à la hauteur de l’alerte lancée par le GIEC et l’IPBES en 2021, qui implique une mutation sans précédent et urgente du fonctionnement socio-économique des sociétés occidentales :  « L'ampleur et de la portée du changement transformateur nécessaire […] repose sur des actions rapides et de grande envergure d'un type jamais tenté auparavant. [Cela peut impliquer] un changement collectif des valeurs individuelles et partagées […]. Un exemple est de s'éloigner d'une conception du progrès économique basée uniquement sur la croissance du PIB ». C’est pourquoi le projet Horizon Europe, rempli de promesses « win-win » a interpellé bon nombre de scientifiques. De cette indignation est né la démarche Horizon TERRE  qui a rassemblé plus d’une quarantaine d’étudiant·es, académiques et associatifs autour des axes de recherche qu’il conviendrait de privilégier pour préserver l’habitabilité de notre planète.

Ce projet constitue une contribution citoyenne solide destinée à tracer des orientations de recherche en rupture avec les propositions à forte dominante techniciste qui sous-évaluent systématiquement l’ampleur et la nature des changements à opérer.

Pour faire ces propositions, Horizon TERRE en appelle à une gouvernance démocratisée de la recherche et à un renouvellement des rapports entre science et société. En effet, aujourd’hui, la négociation des choix de recherche et des options technologiques se joue entre responsables scientifiques, hauts fonctionnaires et dirigeant·es d’entreprises. Il semble entendu que seuls l’État et les communautés savantes, publiques et privées, peuvent juger de l’intérêt, de la faisabilité et de l’utilité des projets de recherche. Nous défendons la position inverse : ouvrir le débat à l’ensemble des citoyen.ne.s dans une démocratie s’appropriant les choix scientifiques.

Horizon TERRE plaide pour l’invention de nouvelles formes de mise en débat des options techno-scientifiques, comme une convention citoyenne pour décider des orientations de la recherche et des types d’innovation à privilégier. Mais c’est également pour la production de savoirs que les co-auteurs et co-autrices appellent à sortir des espaces confinés des institutions spécialisées, en s’appuyant aussi sur les savoirs extra-universitaires : professionnels, organisationnels, expérientiels, traditionnels, associatifs, autochtones, etc. Le but est de reconnaître pleinement ces savoirs, leur importance dans les enjeux actuels et l’intérêt d’associer la société civile à la co-production de connaissances, en vue de respecter les limites de notre planète et les besoins de ses habitant.e.s humains et non humains.

Chacun des axes de recherche envisagés dans Horizon TERRE a vocation à agréger recherche associative, expertise citoyenne et à être mené en co-construction avec des organisations à but non lucratif et des laboratoires publics. Outre la démarche scientifique et l’évaluation par les pairs, il s’agit aussi de croiser les savoirs pour enrichir l’ensemble du processus de recherche. Ce programme de recherche peut être engagé à un coût financier très inférieur aux stratégies actuelles de recherche et propulser la recherche participative pour en faire une modalité centrale de production de connaissances. Les membres d’Horizon TERRE ont produit une version alternative du programme Horizon Europe en adoptant le même découpage en comités (Santé ; Agriculture et alimentation ; Énergie-Habitat-Mobilité) et en y adjoignant des thématiques transversales (Numérique, Épuisement des ressources, Économie, Démocratie). À titre d’exemples, nous présentons ici les réflexions des deux premiers comités.

Santé : passer du curatif au préventif

Dans Horizon Europe, l’accès à la santé apparaît réduit à une approche individualisée, principalement médicale et technique à visée thérapeutique, ancrant le soin dans le « cure » plus que dans le « care ». Cette vision met en avant les progrès réalisés, alors que d’autres analyses s’inquiètent plutôt d’une dégradation de la santé, dont témoignent les épidémies de cancers, le boum des maladies mentales ou les maladies infectieuses émergentes (COVID-19 entre autres). Horizon Europe promeut les innovations technologiques en santé (big data, intelligence artificielle) pour stimuler « une industrie compétitive »1. Les « solutions numériques »2 sont ainsi présentées davantage comme une fin en soi que comme un moyen. Les propositions conduisent à une concentration de moyens pour un système de santé marqué par la prédominance du secteur industriel à caractère lucratif et par l’influence du secteur privé, comme en témoignent les 22 milliards de dollars de bénéfice net réalisés par Pfizer en 2021. Les recherches en santé soutiennent ainsi les logiques du modèle productiviste et consumériste.

De par son approche holistique, H-TERRE Santé entend donner au moins autant d’importance à la préservation et à la promotion de la santé qu’au traitement des maladies. Si le développement et la mise en place de traitements de soins efficaces et accessibles à tout le monde reste bien sûr essentiel, il apparaît également fondamental de miser sur une démarche efficace et proactive de prévention des pathologies, dont l’incidence pourrait être réduite par la restauration de cadres de vie sains dépourvus de pollutions et dans un contexte social plus égalitaire.

Les programmes de recherche en santé doivent répondre à trois grands défis en interaction : faire face aux effets sanitaires du dérèglement du climat ; évaluer les impacts sanitaires des choix technologiques et socio-économiques ; répondre aux conséquences sanitaires, physiques et mentales de la perte de biodiversité.

Penser l’agriculture et l’alimentation pour la santé et l’environnement

Les systèmes alimentaires, c’est-à-dire la façon dont les sociétés s’organisent pour produire, distribuer et consommer leur nourriture, font face à des crises profondes interconnectées et à des dégradations graduelles : énergétique, écologique, sociale, sanitaire et politique.

Dans les pays occidentaux, les révolutions industrielles et énergétiques du siècle dernier ont transformé radicalement la structuration de notre société : exode rural massif (35 % de la population était paysanne en 1950, moins de 3 % aujourd’hui), métropolisation entrainant une disparition des meilleures terres agricoles, utilisation massive de la chimie et son cortège d’impacts sanitaires et environnementaux, fort développement de l’agro-industrie et de la grande distribution qui dictent leurs lois économiques. Ces changements s’accompagnent d’une progressive concentration des pouvoirs des acteurs économiques et financiers, en amont et en aval de l’agriculture. Les filières sont caractérisées par une répartition inégale de la valeur produite, au détriment du maillon agricole, aboutissant à une précarisation des agriculteurs et des ouvriers des industries d’amont et d’aval.

Face à un système rendu vulnérable à ses propres impacts (dégradation des sols, réduction des régulations biologiques du fait de l’érosion de la biodiversité et baisse du rendement des cultures), de nouveaux discours prennent place dans les politiques publiques, ainsi que dans la recherche (cf. H-Europe). La sphère dirigeante, politique et économique cherche à faire évoluer le modèle agricole à la marge, sans changer le modèle d’innovation qui repose sur des économies d’échelles associées à une agriculture très spécialisée (quatre cultures ultradominantes : blé, maïs, colza, tournesol) et technologique (satellites, robots…). Ces stratégies s’inscrivent dans une vision extractiviste de l’agriculture fournissant un petit nombre de matières premières standardisées à une industrie agroalimentaire qui met sur le marché une grande quantité d’aliments ultra-transformés, qui sont une des causes de l’augmentation des maladies chroniques.

H-Terre Agriculture propose une vision systémique, multi-enjeux et évitant le risque de déplacement des problèmes. Nous rejoignons ainsi les demandes de multiples scientifiques, d’associations et de mouvements sociaux. Elles œuvrent déjà pour répondre aux besoins de sociétés résilientes en imaginant, projetant et expérimentant des modèles alternatifs capables de renforcer les économies locales et la souveraineté alimentaire, tout en réduisant la dépendance aux énergies fossiles. Nos recherches doivent porter sur un changement de modèle alimentaire, des modes de production, de transformation et de distribution, et inclure l’eau, l’air, la biodiversité et les sols qui sont des biens communs.

10% pour impulser le changement de paradigme dans la recherche

La crise globale que nous traversons depuis la fin du 20ème siècle vient révéler la faillite de la vision dominante de l’agriculture, de l’alimentation et de la santé. L’approche d’H-Europe basée sur le succès proclamé des innovations technologiques pour l’agriculture et la santé amène à privilégier ce que l’on pourrait critiquer comme un « solutionnisme technologique », où les sciences humaines et sociales n’apparaissent convoquées que pour promouvoir l’acceptation sociale des innovations. À l’inverse, H-Terre propose un double changement de paradigme :

  • dans l’orientation des recherches vers la prévention et la biodiversité ;
  • dans la procédure d’élaboration des orientations de recherche en associant les citoyen.ne.s.

À cet effet, nous proposons dans une pétition accessible en ligne que 10% des budgets de recherche publique soient consacrés à une programmation définie par une/des Conventions Citoyennes, aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne.

Nous remercions les personnes qui se sont engagées à imaginer de nouveaux horizons en termes de thématiques et de dispositifs pour déployer une recherche à la hauteur des enjeux.

1https://www.horizon-europe.gouv.fr/l-industrie-dans-horizon-europe-29495
2 https://www.horizon-europe.gouv.fr/le-numerique-dans-horizon-europe-28187

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