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Billet de blog 18 février 2021

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Intrusion de militants sur l’aéroport de Bordeaux: la note d’information de l’Atécopol

Le 22 février a lieu le procès de militants qui se sont introduits sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux en octobre 2020. L’Atécopol a rédigé une note d’information qui constituera une pièce du dossier. Elle éclaire les motivations des militants au vu de l’urgence climatique, et apporte des informations sur le transport aérien issues de la littérature scientifique, ainsi que quelques analyses.

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Note d’information par l'Atécopol

Procès du 22 février 2021

Collectif créé en 2018, l'Atelier d'écologie politique (Atécopol), regroupe à ce jour 143 scientifiques de la région toulousaine, issus de toutes les disciplines et travaillant pour divers établissements (universités, écoles d'ingénieurs) ou indépendants. Nous documentons les enjeux liés au réchauffement climatique et à la crise écologique, avons le statut de plateforme d'expertise de la Maison des sciences de l'homme et de la société de Toulouse, et accompagnons les acteurs œuvrant dans une perspective de transition socio-écologique.

Nous souhaitons ici témoigner du fait qu’il est aujourd’hui légitime de considérer que l’urgence de baisser drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre passe, entre autres, par la réduction du trafic aérien, ce qui a motivé l’action non-violente menée en France le 3 octobre 2020, et a conduit certains manifestants à s’introduire sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux, mais également de Paris Charles-de-Gaulle.

Rappelons que l'enjeu n'est rien moins que l'habitabilité de notre planète : les récentes projections publiées par Météo France montrent que si rien n'est fait pour réduire fortement et dans un délai très court les émissions de gaz à effet de serre, nous pourrions avoir 35 jours de canicule en moyenne en France à la fin du siècle avec des pointes journalières supérieures à 50 degrés (Météo France, 2020).

Si l’on regarde au dehors de nos frontières, de nombreuses publications scientifiques ces dernières années soulignent le fait que, à l’horizon 2100, des zones entières de la planète deviendraient à proprement parler inhabitables, car devenant sujettes à une combinaison de températures et de taux d’humidité encore jamais atteinte sur Terre, rendant mortel le simple fait d’être à l’extérieur. Ces zones, qui ont actuellement un climat tropical, sont présentes en Asie, en Afrique, en Amérique et en Océanie, et sont très densément peuplées (Russo, 2017 ; Suarez‑Gutierrez, 2020).

Par ailleurs, les rapports du GIEC parlent explicitement de « grands risques pour la sécurité alimentaire, tant au niveau mondial que régional » si nos émissions continuent de suivre leur tendance historique depuis la révolution industrielle (GIEC, 2014). Également, la montée des eaux menace les zones côtières, qui sont dans de nombreuses régions du monde extrêmement peuplées.

Tous les secteurs d'activité sont concernés par la nécessaire baisse des émissions de gaz à effet de serre. En 2018 l’aviation a franchi la barre symbolique d’un milliard de tonnes de CO2 émis par la combustion du kérosène, ce qui représentait 2,4 % des émissions mondiales de CO2 la même année. Par ailleurs, ces émissions augmentent de plus en plus vite : alors qu’entre 1970 et 2012, elles ont augmenté de 2,2 %/an, entre 2013 et 2018 elles ont cru deux fois plus vite, à un taux de 5 %/an. Outre ces effets dits « CO2 », l’aviation contribue au dérèglement climatique par des effets « non-CO2 », principalement à cause des traînées de condensation induites et d’autres émissions (NOx).

En l’état actuel des connaissances scientifiques, on estime que ces effets « non-CO2 » sont deux fois plus importants que les effets « CO2 » (Lee, 2021), ce qui fait que l’impact climatique de l’aviation est beaucoup plus important que les 2,4 % mentionnés ci-dessus. L’association Stay Grounded, avec le soutien de l’institut de recherche Oko-Institut l’a évalué à 5,9 %. Ces chiffres moyennés à l’échelle mondiale cachent le fait que, dans les pays développés, la part de l’aviation est plus importante. En 2018, elle était ainsi en France de 6,4%, auxquels il faut là encore ajouter les effets « non-CO2 » (DGAC, 2019).

Conscient de ce problème, le secteur aéronautique s’est fixé l’objectif de réduire ses émissions de 50 % en 2050 par rapport à leur niveau de 2005. Bien sûr, la crise sanitaire a de fait provoqué une baisse du trafic et des émissions, mais le gouvernement français a engagé un plan de relance en juin 2020 dans le but de permettre au trafic aérien de poursuivre sur une trajectoire de croissance, comme avant la crise, mais également de limiter les conséquences sur l’emploi.

Or, soutenir cette croissance est problématique, car aucune solution technologique ne peut répondre à l’urgence de la situation : au rythme actuel des émissions, le budget carbone pour limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C, conformément à l’accord de Paris, sera consommé en moins de 15 ans.

C’est précisément l’horizon promis par les industriels, et repris dans le plan de relance gouvernemental français, pour développer un avion « vert ». D’ici là, les trajectoires reposent sur une utilisation d’agrocarburants : or, ils ne représentent aujourd’hui que 0,004 % de la consommation de l’aviation, et selon les prévisions de l’International Civil Aviation Organization, ils ne représenteront qu’au plus quelques pourcents en 2032 (ICAO, 2019).

Il est donc essentiel de poser la question du contrôle de la croissance du trafic aérien, voire de sa décroissance, ce à quoi voulaient contribuer les militant.e.s aujourd’hui jugé.e.s (Sup'aéro-décarbo 2020, Atécopol 2020).

Basés à Toulouse, capitale européenne de l'aéronautique, nous sommes nous-mêmes très engagés sur le sujet.

Plusieurs d'entre nous ont fait le choix de ne plus prendre l'avion et nous avons animé plusieurs « forums de la recherche » auxquels tous les scientifiques de Toulouse étaient invités à réfléchir à quelles mesures prendre pour limiter les déplacements en avion. Nous avons sollicité différents organismes de recherches toulousains et nationaux pour qu'ils estiment et réduisent leurs émissions de CO2 et participons également à ces estimations au sein de nos laboratoires respectifs.

Enfin, nous avons, dès le début de la crise sanitaire, entamé une action auprès des salarié.e.s du secteur aéronautique pour les accompagner dans la nécessaire reconversion de l'outil de production et parfois de leur profession. Suite à notre lettre aux salariés publiée en mai 2020, un collectif de salariés de l'aéronautique nommé ICARE s'est constitué et nous participons ensemble au collectif « Pensons l'aéronautique pour demain (PAD) » qui regroupe divers acteurs du secteur, dont un syndicat et des associations et ONG. Notre objectif est d'alimenter la réflexion sur l'avenir du secteur en prenant acte de la nécessaire baisse du trafic aérien (Atécopol, 2020).

Si l’on revient à l’impératif de la baisse globale des émissions de CO2, nous constatons que l’avancée des connaissances scientifiques n’est pas suffisante pour conduire à infléchir les trajectoires et les décisions politiques. Ainsi, dès 1965, un rapport remis au président des États-Unis Johnson mentionnait « les changements climatiques qui pourraient être produits par l'augmentation de la teneur en CO2 pourraient être délétères du point de vue des êtres humains ».

Mais la publication régulière des rapports du GIEC - de plus en plus précis et alarmants - n’a pas conduit à un quelconque infléchissement de la courbe des émissions mondiales de CO2. Si les émissions ont certes un peu baissé en France, passant de 431 MtCO2 en 2015 lors de la signature de l’accord de Paris à 415 MtCO2 en 2019, cette baisse reste insuffisante pour satisfaire les engagements climatiques de la France et cache par ailleurs une délocalisation des émissions de nombreuses activités productives. Ainsi, l’empreinte carbone, qui prend en compte les importations, est stable depuis 1995 (SDES, 2020).

En parallèle des alertes des scientifiques, les jeunes et de nombreuses associations organisent depuis plusieurs années des marches pour le climat, et alertent nos dirigeants. Cela n’a pas suffi pour que ces derniers prennent des décisions à la hauteur des enjeux, les COPs s’enchaînant avec des engagements mais sans mesures suffisantes pour les tenir. Le tribunal administratif a ainsi reconnu le 3 février 2021 la « carence fautive » de l’État dans la lutte contre le changement climatique.

En effet, la politique telle que définie par la stratégie nationale bas carbone, s'éloigne, année après année, de la trajectoire qui pourrait nous mener à une neutralité carbone dans la deuxième moitié du XXIe siècle, objectif sur lequel s'est pourtant engagée la France en signant les accords de Paris en 2016.

Cette marche nationale du 3 octobre, avec l'irruption de certains manifestants sur les tarmacs, s'inscrit donc dans la perspective de faire entendre un peu plus la voix de ceux qui s'inquiètent de l'avenir du vivant sur Terre, et souhaitent agir pour l'intérêt supérieur, à savoir l'avenir à moyen terme de l'humanité, et ce pour des motifs scientifiquement fondés.

Références :

Météo France, 2020 : « Les nouvelles projections de référence pour la métropole », Météo France (2020)

Russo, 2017 : « Humid heat waves at different warming levels », S. Russo et al., Scientific Report 7, 7477 (2017)

Suarez‑Gutierrez, 2020 : « Hotspots of extreme heat under global warming », L. Suarez‑Gutierrez et al., Climate Dynamics 55, 429 (2020)

GIEC, 2014 : « Climate Change 2014 - Synthesis Report », IPCC (2014)

Lee, 2021 :  « The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018 »,  D.S. Lee et al., Atmospheric Environment 244, 117834 (2021).

DGAC, 2019 : « Les émissions gazeuses liées au trafic aérien en France en 2019 », DGAC (2019)

ICAO, 2019 : « ICAO global environmental trends – present and future aircraft noise and emissions », ICAO (2019)

Supaéro-décarbo, 2020 : « ZEROe et le monde de demain », Supaéro-décarbo (2020)

Atécopol, 2020 : « Lettre aux salariées et salariés de l’aéronautique toulousaine », site web de l’Atécopol (2020) et « Avion à hydrogène: quelques éléments de désenfumage », Atécopol, Médiapart 29 septembre 2020.

SDES, 2020 : « Chiffres-clé du climat. France, Europe et Monde », Service de la donnée et des études statistiques (2020).

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