Atenco

Abonné·e de Mediapart

29 Billets

1 Éditions

Billet de blog 22 décembre 2010

Atenco

Abonné·e de Mediapart

DELICES ORIENTAUX

Atenco

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quand le dentiste parvint à saisir avec sa pince d'acier chromé ultra fine le petit objet dur, il le retira brusquement, jeta un coup d'œil, et le montra triomphalement à son patient. Il était trop minuscule pour que l'on puisse l'identifier à coup sûr, et l'odeur qui s'en dégageait, après un séjour aussi prolongé dans une région propice au développement des bactéries et autres microbes, les tenait à une distance respectueuse du corps du délit. Celui-ci fut donc soigneusement aspergé de liquide désinfectant, séché à l'air comprimé, délicatement posé sur la plaque de verre aseptisée du binoculaire, et enfin examiné avec tout le confort et toute l'attention nécessaires.

Une semaine auparavant, à l'occasion du première anniversaire de leur rencontre, Pierre et Marie-José s'étaient offert un repas au restaurant. Par curiosité, et en dépit des bruits qui couraient sur les mœurs culinaires et gastronomiques des niaqués, ils avaient choisi un chinois. Le nombre tout à fait anormal de boîtes d'aliments pour chiens et chat trouvés, disait-on, dans leurs poubelles, les couleurs et les saveurs étranges de la plupart des mets qu'ils servaient avec leurs sourires et leurs salamalecs, des plats affublés par dessus le marché de noms incompréhensibles et quasiment intraduisibles, et beaucoup de choses encore, vues, entendues et rapportées par des témoins de toute confiance, les en avait jusqu'alors prudemment éloignés. Mais il faut dire que les prix tout à fait raisonnables affichés sous les lanternes rouges et or du « Jardin du Paradis Pékinois », probablement liés au fait que cette race est particulièrement douée pour faire travailler enfants, vieillards et même les invalides, avait achevé de lever leurs dernières réticences.

Le repas ne leur avait pas déplu. Après une salade de nems à la crevette, qu'ils avaient dû renoncer à manger avec les baguettes de faux bambou, et donc terminer à l'aide d'instruments plus civilisés, fourchettes et même cuillers parce qu'il y avait un jus ma foi pas désagréable, et comment le saucer s'ils ne connaissent pas le pain dans ces pays, ils avaient dégusté le fameux canard laqué. Le tout, arrosé d'un rosé d'Anjou qui avait mis des couleurs sur les joues de Marie José, et ravivé la flamme jamais complètement éteinte de son amoureux.

La musique, les voix stridentes et mijaurées des chanteuses enfarinées de l'Empire du Milieu, n'avaient aucunement entamé leur bonne disposition. Après s'être envoyé des bananes flambées dont les auréoles bleues avaient allumé une lubricité nouvelle dans les yeux de la jeune femme, il avait réglé la note, avant de l'emmener dans son lit, excité comme un mandarin du Tonkin, prêt à se livrer à tous les raffinements orientaux imaginables... Seul un taux légèrement excessif d'alcoolémie l'empêcha de concrétiser totalement ses belles ambitions.

Et ce n'est que le lendemain, alors qu'il se rendait à son travail au Conseil Général de la Haute Garonne, où grâce à un Contrat Emploi Solidarité il s'activait 20 heures par semaine devant une énorme et capricieuse photocopieuse-trieuse-agrafeuse japonaise, que Pierre ressentit une gêne au niveau de la molaire creuse, celle qu'il avait négligé de soigner depuis la fin de son service militaire.

L'analyse détaillée de l'objet dur extirpé par l' odontologiste révéla l'incroyable .

Il s'agissait purement et simplement, et aucun doute ne subsista une fois que l'objet eût été dûment nettoyé et authentifié par les meilleurs experts régionaux, d'un fragment de vase Ming de l'époque Song, fabriqué avec la technique dite des « 5 couleurs ».

mai 2000 Jean-Pierre Petit-Gras

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.