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Billet de blog 6 septembre 2022

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Pour une stratégie écologique dans l'aménagement public

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Les sociétés modernes ont corrélé le confort de vie à la qualité des objets techniques et des equipments qu’elles produisent. Or il est à présent admis, du fait de la pression qu’elle exerce sur le climat, que l’échelle et les processus même de cette production rentrent en conflit avec la pérennité du confort moderne au bas mot. Si ce constat est devenu largement consensuel, les solutions permettants de résoudre la contradiction représentent des changements d’une telle ampleur qu’il est parfois décourageant d’en étudier le détail.

Pour ce problème comme pour la plupart des choses, tout est affaire d’agencement : il est question des formes que prend l’organisation de la production. Si le progrès technique est le bienvenu pour atténuer la pression qu’exerce nos systèmes économiques sur notre environnement, le solliciter sur un mode incantatoire pourrait s’avérer désastreux. Il existe néanmoins des stratégies qui ne nécessitent pas de l’attendre trop longtemps. Un exemple Français peut nous permettre de nous figurer, certes d’une façon circonscrite, des formes institutionnelles vertueuses où la production tout en répondant en premier lieu à une problématique de confort bien concrète permet également d’atténuer notre impact sur l’environnement. Cet exemple prospectif vise à montrer que des moyens d’action d’ampleur sur le changement climatique existent et qu’ils sont à la portée d’une volonté politique claire pour être mobilisés dans l’intérêt commun. Bien sûr il est loin d’épuiser la question qui porte en elle des contractions fondamentales entre accumulation sans fin et production de masse qu’il convient de régler proprement politiquement. Mais quand bien même cette condition serait remplie, l’économie ne pourra être faite de regarder en détail les formes que devront prendre ladite production pour avoir un effet positif sur la réduction des émissions carbonnées.

la filière a ainsi exporté pour 2,7 Milliards d’euros de bois en 2019 contre, à titre d’exemple, une importation de chaises à hauteur de 4,4 milliards d’euros

Ainsi, la France se trouve dans une situation particulière avec la troisième surface forestière la plus étendue d’Europe. Puits de carbone considérable, la forêt absorbe 20% des émissions du pays. Un enjeu central pour toute ambition de transition écologique. La filière bois qui exploite ces forets sur le plan productif souffre pourtant de sévères maux qui ont des conséquences directes sur l’environnement. Réservant une part toujours plus grande de sa production à l’export de matière première réimportés ensuite sous forme de produits transformés, la filière a ainsi exporté pour 2,7 Milliards d’euros de bois en 2019 contre, à titre d’exemple, une importation de chaises à hauteur de 4,4 milliards d’euros soit près du double rien que pour cette catégorie particulière1. Sans parler des produits semi finis : panneaux contreplaqués, parquets et autres. Ce décalage offre donc une marge de manoeuvre pour réduire considérablement les émissions liées à l’aménagement, l’équipement domestique et la construction en bois, en assurant une transformation locale plutôt que de transporter d’un bout à l’autre du globe successivement des grumes de feuillus et des produits transformés. D’autant plus que de ce mode d’organisation découle une gestion industrielle de la foret qui favorise pour le court-terme la plantation de monocultures de résineux qui nuisent à la biodiversité et font fi de la multi-fonctionnalité nécessaire des forets2. Si des mesures d’incitation peuvent être imaginés pour stimuler la filière, il semble peu probable d’aboutir à une sylviculture douce sans assurer des débouchés a des produits plus couteux mais mieux travaillés. 

Or, symétriquement, il existe un besoin considérable en aménagement et en ameublement dans tout le secteur public sur lequel l’état peut intervenir via notamment des guides de l’achat public et des subventions3. Bureaux d’administration, établissements publics nationaux, crèches, écoles et universités, commissariats, bibliothèques sont autant de lieux qui représentent un levier aux mains d’un état soucieux de créer une véritable filière bois française. D’autant plus qu’il est a regretter pour certains d’entre eux un équipement vétuste, dont les agencements réalisées il y a parfois plusieurs décennies sont mal adaptés aux usages contemporains et qui nuisent à la qualité des taches de service public qui y sont effectuées autant qu’au bien être des agent qui y travaillent. Ce besoin réel est une urgence pour renouer le lien qui unis les citoyens au service public qui n’est autre que leur bien commun. Ce besoin réel est en même temps l’occasion de developper un maillage d’entreprises capables de transformer le bois de la grume au meuble a grande échelle, sûres de leurs débouchés, tout en épargnant au climat les allers-retours en porte-container et les opérations effectuées aujourd’hui dans des pays où l’énergétique est plus carboné et pèse donc plus lourd dans le bilan environnemental des meubles et semi-finis d’importation. Bien d'avantage c’est l’occasion pour la puissance publique d’assortir ce vaste programme de commandes de conditions tant qualitatives quant à la provenance et la gestion des forêts d’où seront issu le bois, que quantitative en arraisonnant le rythme de la production aux nécessités du temps long et de la régénération, essentiel pour une sylviculture douce.

le mobilier national pourrait avoir comme tâche d’élaborer un catalogue de modèles de fournitures et équipements modernes en bois reproductibles par des sous-traitants, voir par ses propres ateliers.

Plus concrètement, il existe en France un service à compétence nationale rattaché au ministère de la culture qui prend en charge des questions d’aménagement : le mobilier national. Pour lors, ses missions d’ameublement se concentrent sur la haute administration et les résidences présidentielles. Ces missions sont donc naturellement intriquées avec des opérations de conservation du mobilier à caractère historique et patrimonial de l’état. Or, il possède également un département de recherche et de création contemporaine, l’ARC, mis en place par André Malraux en 1964 qui en plus de faire rayonner la création française par la réalisation de petite séries et de pièces uniques destinées aux lieux pouvoir ou de prestige, se donne comme enjeu : « l’édition de meuble en série plus large, manière de revenir aux commandes des premiers temps ainsi qu’à l’ambition sociale et démocratique dont elles étaient porteuses. » tout en soulignant l’objectif que « ses réalisations doivent profiter aux grandes institutions ainsi qu’à l’ensemble des lieux publics »4. L’existence de ce service national offre donc une base institutionnelle idéale à la mise en place d’un système d’aménagement public qui offrirait débouchés en contrepartie d’un cahier des charges environnemental à une filière bois raisonnée tout en s’adossant sur la création contemporaine. Ainsi, des pouvoirs publics soucieux de mettre en place un tel système pourraient étendre la mission d’ameublement du mobilier national a une multitude de lieux et administrations. Element clef de la production en série, le mobilier national pourrais avoir comme tâche d’élaborer un catalogue de modèles de fournitures et équipements modernes en bois reproductibles par des sous-traitants, voir par ses propres ateliers. Il centraliserait ainsi les demandes en équipement des lieux publics qui choisiraient de faire appel à lui non seulement en mandatant des créateurs industriels pour établir son catalogue mais aussi en sélectionnant des projets d’aménagement portés par des architectes d’intérieurs. Autant de projets qui auront ainsi vocation à irriguer de commandes la filière bois et les nombreux métiers qui la composent. Cette offre claire de débouchés permettrai au Mobilier National d’exiger en contrepartie le respect d’un cahier des charges ambitieux en matière de gestion et de transformation durable de la ressource en bois que pourrait par exemple élaborer  l’Office National des Forêts.

Un cahier des charges de première importance, donc, car il a vocation a être modulé dans le temps en fonction de l’évolution souhaitée ou constatée des forets françaises : accompagner le retour à une sylviculture douce en encourageant l’utilisation de feuillus et en limitant l’usage de pin Douglas issus de la monoculture, accompagner le changement d’espèces résultant du réchauffement du climat en préservant par exemple de la coupe les espèces les mieux adaptées, moduler les provenance en fonction des zones de sécheresse saisonnière, autant de stratégies qu’il est urgent d’établir précisément et de mettre en place. 

Cette offre claire de débouchés permettrait au Mobilier National d’exiger en contrepartie le respect d’un cahier des charges ambitieux en matière de gestion et de transformation durable de la ressource en bois.

Ce programme implique bien sûr de donner les moyens aux institutions concernées de mener à bien de telles tâches mais, exception faite des coûts de la mise en place d’un tel système, le gros des dépenses est déjà pris en charge par les collectivités locales qui s’approvisionnent sur des catalogues privés. Lesquels figurent de nombreux produits d’importation. L’investissement public correspondant ne représente dès lors qu’un surcout assez marginal vis-à-vis des bénéfices écologiques considérables qu’il pourrait engendrer. D’autant plus que les dépenses des collectivités locales pour l’équipement des locaux dont elles ont la charge représentent un investissement qui est dès lors finançable par le recours au crédit. Il est clair que nous ne manquons alors que d’une volonté politique forte et déterminée pour reprendre en main l’exploitation des forets, la production d’objet en bois et l’équipement des lieux publics sur une base écologiquement vertueuse et responsable.

Athime de Crécy

1 Harvard University atlas of economic complexity

2 La nécessité écologique d'une sylviculture douce est largement décrite dans les entretiens réalisée par la députée Mathilde Pannot lors de la commission d'enquête citoyenne qu'elle a mené en 2020.

3Notice du Ministère de l’education « Mobilier d’education, aide a l’elaboration d’un cahier des charges fonctionnel. »

4Le mobilier national - atelier de recherche et de création, de nouveaux enjeux. http://www.mobiliernational.culture.gouv.fr/fr/nous-connaitre/creation-de-larc/atelier-de-recherche-et-de-creation-arc

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