Mon père avait 89 ans, il souffrait d’une insuffisance respiratoire grave, d’une insuffisance cardiaque, d’une anémie sévère chronique et une tache, plus que suspecte, était apparue sur ses poumons il y a quelques mois.
Il vivait toujours à domicile avec sa femme, et souhaitait pouvoir y mourir.
Début février un test de dépistage de la COVID se révèle positif.
Le 3 février 2022, il fait une chute au cours de la nuit et se fracture la hanche. Il est alors envoyé à l’hôpital Durkheim d’Epinal. Entre autres soins, une personne de l’équipe soignante lui pose une sonde urinaire et lui met une couche. L’opération ne pourra se faire à Epinal, il n'y a plus de service traumatologique, il sera alors transféré 10 heures plus tard à l’hôpital de Remiremont.
Il est mis à jeun 3 matins consécutifs, car l’opération est systématiquement reportée.
Le 10 février, mon père est enfin opéré sous péridurale et tout se passe bien.
Pendant ces 8 jours, mon père a souffert intensément et son insuffisance respiratoire s’est aggravée. Nous (sa femme et ses 5 filles) étions désemparées de le voir souffrir, d’être impuissantes à pouvoir l’aider et étions persuadées que cette attente l’amenait progressivement vers la mort. Nous avons sans doute appelé de l’aide trop souvent, fait trop pression pour que les soins avancent, toujours est-il que la communication avec l’équipe soignante était devenue très difficile.
Le 16 février, le chirurgien autorise Papa à rentrer à son domicile.
Il faut organiser son retour. Papa a maigri, il est très faible et a perdu son autonomie. Nous établissons un planning pour que deux de ses filles soient présentes jour et nuit. Il faut obtenir le matériel nécessaire (lit médicalisé, matelas à air, fauteuil roulant, chaise-pot, lève-malade…). Nous contactons ses infirmières libérales, son médecin traitant, le kinésithérapeute et des auxiliaires de vie pour la toilette. Nous aménageons la maison pour créer de l’espace.
16h30 : Notre père arrive en ambulance avec une forte douleur au ventre, qui se révèlera être un globe vésical, la sonde ayant été enlevée à l’hôpital.
19h30 : Le médecin et l’infirmière acceptent de faire le nécessaire pour lui reposer une sonde à domicile, sinon il fallait le renvoyer à l’hôpital. Sonde qu’il gardera jusqu’à sa mort.
Le 24 février Papa est envoyé provisoirement à l’EHPAD de Rambervillers.
La santé de Papa décline, la rééducation ne peut se faire car Papa est trop fatigué. L’équipe soignante du secteur ne pourra répondre aux besoins croissants de soins de Papa car ils sont surchargés de travail. Le secteur est un désert médical. Il faut réorienter Papa vers un centre de soins et de rééducation, en suivant une procédure.
Le 1er mars Papa est hospitalisé à Durkheim à Epinal, car son état respiratoire, cardiaque et sanguin s’est encore dégradé.
Les professionnels de santé (médecins et infirmières) manquent également cruellement à l’EHPAD.
Le 4 mars Papa tombe de son lit pendant la nuit, il a mal dans le bas du dos. Il doit attendre de l’aide pour le relever.
Le 5 mars les dernières agrafes de sa hanche sont enlevées, plus de 20 jours après son opération.
Le 7 mars, nous obtenons un matelas à air, Papa a très mal aux fesses.
Le 9 mars, Papa meurt à l’hôpital, seul, la nuit.
J’ai rencontré le médecin interne du service le 5 mars. Je lui ai demandé de donner des médicaments à mon père pour calmer sa douleur et son angoisse que nous ne pouvions plus supporter, car c’était insupportable ! Ses yeux reflétaient l’incompréhension. Il m’expliqua que ces médicaments pouvaient amplifier ses difficultés respiratoires (refrains que nous avions souvent entendus), qu’ils soignaient Papa et qu’il irait en convalescence dès que son état s’améliorerait. C’était à mon tour de manifester de l’incompréhension. Nous n’étions pas, à l’évidence, sur la même longueur d’onde. Je lui demandais d’adoucir, autant que possible, l’agonie de Papa et lui me parlait de le soigner…
Une nouvelle fois, nous ne nous sommes pas faits beaucoup d’amis parmi l’équipe soignante : trop de demandes d’aide, trop de prises d’initiatives pour soulager Papa, trop de visites pour lui dire « au revoir », trop de petites douceurs apportées : gâteaux, boissons et même du bon vin (interdit) que Papa consommait avec parcimonie mais plaisir…
Quand j’ai quitté Papa pour la dernière fois, j’ai rencontré une infirmière de nuit avec un bon regard souriant, qui est allée voir Papa pour l’aider et m’a apporté du réconfort par ses paroles bienveillantes. Je la remercie et garderai son souvenir.
A chaque transfert de Papa, les médecins nous ont demandé de reconstituer, tout ou partie, de son dossier médical, car ils leur manquaient des informations.
Papa avait sans cesse besoin d’aide, il souffrait, il étouffait. Nous n’avons pas pu adoucir sa fin de vie autant que nous l’aurions souhaité. Nous n’avons pas trouvé d’endroits dotés de personnels et de moyens suffisants pour prendre en charge humainement, dignement, un grand malade en fin de vie.