Il y a comme ça parfois, au détour d’une conversation, souvent énoncée très tendrement, une réflexion qui vient escamoter mes raisonnements :
- Le capitalisme est le seul système économique viable car les humains sont naturellement individualistes.
- Les pauvres sont pauvres car ils ont des capacités intellectuelles inférieures aux autres, c’est l’application seine de la sélection naturelle.
- L’antispécisme est une utopie car, à bien y regarder, dans la nature les animaux prédatent d’autres animaux.
- La domination masculine existe parce que les hommes, et c’est la nature, sont plus forts que les femmes.
- L’homosexualité n’est pas naturelle puisque les hommes et les femmes ont été crées pour être complémentaires.
- La nature distingue les mâles et les femelles, ce qui fait de la transidentité une anomalie, une maladie mentale.
Et voilà, comment en une bêtise, on déduit tout et n’importe quoi de la nature, sans apercevoir le paradoxe qu’il y a dans l’emploi d’une notion descriptive à des fins prescriptives.
- Le capitalisme crée la misère qui conduit à sa propre négation, et constitue donc par nature un système économique précaire.
- Le rejet du spécisme et de la domination masculine sont les conséquences naturelles de la capacité de l’humain à interroger sa propre éthique.
- L’homosexualité et la transidentité existent, et appartiennent, sur ce seul fondement, à la nature.
L’argument de la nature témoigne également souvent d’une méconnaissance de ce qui relève du social et du biologique :
- Quelle misère de l’esprit d’expliquer la pauvreté par les capacités naturelles de chacun.
- De nombreuses recherches ont pu mettre en évidence les facteurs sociaux qui ont produit les différences biologiques entre les hommes et les femmes : en ce domaine, et sous certains aspects, le social précède le biologique.
- La bicatégorisation mâle/femelle n’est pas un fait biologique, mais une construction sociale destinée à décrire un fait biologique. Construction sociale elle-même très controversée en raison des nombreuses incohérences qu’elle suscite. A ce titre, historiquement, le genre social n’a pas été déduit du sexe biologique. Le sexe biologique est une construction postérieure pour légitimer les différences de genre. Le genre précède le sexe.
- L’hétérosexualité n’est pas davantage un fait biologique, mais un régime politique destiné à organiser les rapports sociaux entre les genres : l’hétéorsexualité précède le genre qui précède le sexe.
La nature joue contre nous, et parfois malgré nous, en ce sens qu’elle affecte subrepticement nos propres syllogismes, et permet à la fin de légitimer l’organisation sociale, et la violence qu’elle produit.
Elle est une réduction de l’esprit qui annihile toute réflexion, qui interdit toute déduction alternative, et qui nie à la fin la controverse politique.
Elle opprime la liberté de penser et celle encore de s’exprimer, puisque nos raisonnements seront toujours escamotés par un “mais c’est la nature”.
Elle est une insulte à l’intelligence qui altère la démocratie :
Il faut donc détruire la nature.