Madame la députée de la cinquième circonscription d’Ille-et-Vilaine,
Je vous interpelle en votre qualité de députée de ma circonscription. Vous vous apprêtez à voter un projet de loi dit “pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration”, tel qu’il ressort des discussions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie ce jour. Nous ne connaissons pas encore le contenu exact du texte qui sera soumis à votre examen. Le Rassemblement national a toutefois indiqué qu’il le votera. Je n’ose pas imaginer l’ampleur de l‘atteinte portée aux droits des étrangers (restrictions à l’accès à une carte de séjour, durcissement des conditions d’accès aux APL, rétablissement du délit de séjour irrégulier).
Le texte de loi tel qu’il se dessine est un texte d’extrême-droite. De nombreuses ONG dénoncent déjà la “xénophobie décomplexée” qu’il porte en lui. Je sais également que, pour cette raison, de nombreux députés de votre majorité ont manifesté une réticence à l’égard des dernières versions. Je vous écris avec l’espoir sincère que ma modeste contribution puisse influencer votre décision. Après tout, en votre qualité de députée, votre vote ne vous engagera pas seule, il engagera également toute votre circonscription. Moi, y compris.
Le texte qui est en votre main est nourri d’un discours médiatique fascisant. Ne le laissez pas gouverner votre décision. Une étude sérieuse permet d’en réfuter toutes les inepties. Je vous donne trois exemples :
- A propos de la délinquance : le centre d’études prospectives et d'informations internationales, dans une lettre d’avril 2023, indique que “les études concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance” (je souligne).
- A propos du coût économique : la maîtresse de conférence en économie, Ekrame Boubtane, écrit sur le site gouvernemental “vie publique” que “au total, l'impact de l'immigration sur l'économie française et le niveau de vie moyen en France est positif. L'immigration tend à renforcer la croissance économique, notamment en soutenant l'activité de secteurs essentiels et en augmentant significativement le niveau d'emploi. Elle ne pèse pas sur les finances publiques et semble avoir contribué à réduire les inégalités salariales ainsi que les inégalités de répartition de revenus”.
- A propos de la prétendue “vague de submersion” : il est toujours bon de rappeler que la théorie du grand remplacement est une invention de théoriciens d’extrême-droite. Les travaux de nombreux démographes, au premier rang desquels François Héran, permettent, si cela est nécessaire, de la reléguer dans le monde surannée des idées racistes.
Un autre discours, qui ne trouve pas sa place dans l’espace médiatique dominant, est celui que je rencontre tous les samedis dans la permanence syndicale que je tiens à Montreuil : la vie de femmes et d’hommes étrangers en situation régulière ou irrégulière qui viennent à ma rencontre pour partager leurs problématiques liées au travail. Tous avec la même appréhension : celle de l’expulsion.
Une femme, samedi dernier, venue avec un récépissé de demande de titre de séjour qui ne l’autorise pas à travailler. Elle parle le français correctement, mais elle est un peu hésitante. Elle pleure. Elle a travaillé sans être déclarée pendant plusieurs années, mais son employeur a cessé de lui fournir du travail. Elle n’a reçu aucune lettre de licenciement. Rien. Son employeur ne lui répond plus. Elle n’a plus de revenu. Elle a deux enfants. Elle dispose pourtant d’une promesse d’embauche, signée par un autre employeur. Il suffit que la préfecture lui accorde son titre de séjour.. mais rien, toujours rien. Elle renouvelle sa demande tous les trois mois. Et attend. Elle ne sait d’ailleurs plus vraiment ce qu’elle attend : un titre de séjour ou l’expulsion, la faim aussi, la maladie, le trépas ?
Une femme encore, il y a quelque mois. En situation régulière cette fois. Elle recevait un bulletin de salaire chaque mois, depuis 15 ans. Sur sa fiche de salaire apparaît toutes les cotisations sociales nécessaires. C’était un mensonge. Elle a reçu sa première pension de retraite : 43 euros. Elle apprend par la caisse de retraite qu’elle n’a jamais été déclarée par son employeur. Elle doit maintenant vieillir avec 43 euros par mois. Et lorsque j’évoque la possibilité d’agir contre son employeur, ses angoisses surgissent : “est-ce que je risque de perdre mon titre de séjour ?”.
Un homme, cette fois. Je l’ai rencontré, il y a un an. Son souvenir m’émeut encore. Il travaille dans un kebab. De 20h le soir, jusqu’à 10h le lendemain. 14h par jour. Du lundi au dimanche. Sans jour de repos. Il n’a pas eu de vacances depuis 3 ans. Son récit me paraissait invraisemblable. Pourtant, tout était vrai. Il travaille, de nuit, 14 heures par jour, tous les jours de la semaine, toutes les semaines du mois, et tous les mois de l’année. Il m’a expliqué que sa situation ne lui permettait pas de changer de travail. Ce travail pour lui, c’était son moyen de subsistance quotidien et l’espoir d’une régularisation future. De mon point de vue, sa situation relevait de la traite des êtres humains. Je me suis indigné, et j’ai envisagé de saisir l’inspection du travail. Or, ce terme “inspection du travail” évoquait, pour lui, une institution étatique. Synonyme, à ces yeux, de rétention administrative, puis d’expulsion. Il a refusé mon aide. Avec mon syndicat, nous avons tenté de le recontacter plusieurs fois, sans succès.
Ce soir, vous choisirez ou non de lever votre main, une formalité législative pour vous, la misère aggravée pour des milliers d’entre nous.
Madame la députée, si vous votez ce texte, faites-le la main tremblante, ce sont des vies entières que vous condamnez.