Auguste V

Défenseur syndical CGT / Doctorant en Droit

Abonné·e de Mediapart

17 Billets

0 Édition

Billet de blog 30 août 2023

Auguste V

Défenseur syndical CGT / Doctorant en Droit

Abonné·e de Mediapart

Logique universaliste à la CGT

Je suis militant à la CGT. Je dénonce fermement les propos tenus par Sophie Binet hier sur France inter. Et, je tente d'en clarifier les soubassements idéologiques pour mieux les combattre.

Auguste V

Défenseur syndical CGT / Doctorant en Droit

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je m’exprime en qualité de militant et de syndiqué de la CGT. J’anime une permanence juridique dans une union locale depuis octobre 2019. Et, je me suis syndiqué à la Ferc-sup l’année dernière. J’ai, comme beaucoup de lecteurs de Mediapart, découvert avec effroi l’interview donnée par Sophie Binet à France inter hier matin.

Elle indique clairement être favorable à l’interdiction de l’abaya à l’école. Elle considère plus généralement qu’aucun signe religieux n’y a sa place. Pire, elle affirme que cette décision n’est pas « politique », mais seulement « technique ». Elle serait une simple déclinaison des dispositions de la loi de 2004 qui interdisent le port de signes ou tenus par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.  

Je réfute vivement cette position. D’abord, parce que l’abaya n’est pas un vêtement religieux. Surtout, parce qu’elle témoigne de l’influence de l’universalisme dans les milieux de gauche. J'affirme que la CGT n’a rien à gagner en se revendiquant de la loi de 2004.

La traduction juridique de la logique universaliste consiste à dire que la loi doit être la même pour tous, et que cela suffit à assurer l’égalité entre tous les citoyens. Elle refuse en revanche que la loi prévoit des aménagements pour certains groupes sociaux spécifiques. Or, malgré son apparent bon sens, la logique universaliste me semble produire des effets qu’il faut vivement dénoncer.

Pousser dans ses retranchements, elle a conduit certains opposants au mariage pour tous à considérer que l’interdiction du mariage des personnes homosexuelles ne contrevenait pas à l’égalité entre les citoyens, puisque rien n’interdisait aux personnes homosexuelles de se marier. De fait, la loi antérieure à 2013 n’excluait pas les personnes homosexuelles du mariage, seulement ceux-ci devaient se marier avec une personne du sexe opposé. Au regard de la loi, ils étaient traités de la même manière que les personnes hétérosexuelles.

Seulement, chacun le comprend, cette logique n’est pas satisfaisante. Si la loi est ici la même pour tous, elle produit des effets différents selon que l’on soit homo ou hétéro. Les hétéros ont le droit de se marier avec l’être aimé, les homos eux ne peuvent pas.

Finalement, les tenants de l’universalisme s’assurent de l’égalité devant la loi (tout le monde peut se marier qu’il soit hétéro ou homo), mais négligent l’égalité réelle (les personnes homosexuelles ne peuvent pas se marier avec l’être aimé).

La logique universaliste est mieux admise encore en matière religieuse. Elle doit son essor au climat islamophobe qui gangrène la société. Pour elle, si tous les vêtements religieux sont interdits dans la rue, en entreprise ou à l’école, alors la règle est la même pour tous, et tous les citoyens se trouvent dans une situation d’égalité.

Toutes les religions néanmoins fonctionnent selon des règles différentes. Certaines exigent, ou du moins incitent (je ne me permets d’entrer dans une controverse théologique qu’il ne m’appartient pas de trancher), le port d’un signe religieux, ou bien d’une manifestation quelconque de sa foi (ex. le port d’un foulard). D’autres, au contraire, ne l’exigent pas. Si bien qu’interdire le port de signe religieux, en entreprise ou à l’école ne produit d’effet que sur les croyants de certaines religions.  

Autre exemple : comment ne pas s’apercevoir de l’avantage que procure une règle qui énonce que le jour chômé est nécessairement le dimanche ? Si cette règle s’applique à tous de la même manière, elle avantage les catholiques au détriment d’autres religions.

L’application d’une règle neutre, qui s’applique de la même manière à tous, ne permet pas toujours de s’assurer de l’égalité réelle. Pire, elle fait parfois naître une situation d’inégalité réelle. L’universalisme n’a d’universel que le nom.

 Si bien qu’à mon sens, une situation d’inégalité peut être constatée si :

  • Deux personnes sont traitées différemment alors qu’elles sont placées dans une même situation.
  • Deux personnes sont traitées de la même manière alors qu’elles sont placées dans des situations différentes.

Je considère donc que l’interdiction de porter des signes religieux produit, en réalité, une situation d’inégalité qui touche en particulier les jeunes filles musulmanes (ou, plus largement puisque ce vêtement n’est pas religieux, de tradition arabe). Les réactionnaires ne s’en cachent pas. Ils dénoncent, non pas le port de signes religieux dans l’abstrait, mais bien les signes religieux portés par les femmes musulmanes (le foulard hier, et l’abaya aujourd’hui). Fort de ce constat, il est impératif de s’opposer à cette interdiction.

Peu à peu dans notre pays, les femmes musulmanes sont privées, en fait, de l’accès à l’espace public, au marché de l’emploi, à l’éducation… Je refuse que mon syndicat prenne part à ce mouvement. J’enjoins la CGT de clarifier, sans délai, sa position. J’envisage de cesser mon adhésion.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.