Augustin Brillatz

Étudiant

Abonné·e de Mediapart

2 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 mars 2023

Augustin Brillatz

Étudiant

Abonné·e de Mediapart

La République est morte, vive la République

Alors que le passage en force de la réforme des retraites via l’activation de l’article 49-3 de la Constitution par le gouvernement a provoqué un vent de révolte parmi la population française, la gauche doit impérativement s’emparer de la question de la réforme de nos institutions.

Augustin Brillatz

Étudiant

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après avoir annoncé le recours de son gouvernement à l’article 49.3 de la constitution sous les huées et les chants des députés de gauche, Elisabeth Borne quittait la tribune de l’Assemblée nationale avec un léger sourire en coin. Il en dit sans doute long sur le sentiment de puissance qu’a dû éprouver la Première Ministre en faisant passer en force son projet de réforme des retraites, au nez et à la barbe d’une intersyndicale plus unie que jamais, de millions de travailleurs qui battent le pavé depuis plus de deux mois et de l’écrasante majorité des Français, opposés à cette réforme.

Le constat est là, implacable : après plusieurs semaines d’un débat parlementaire déjà vicié par le gouvernement et d’un mouvement social massif, l’une des réformes les plus contestée de ces dernières décennies a été adoptée ce lundi après l’échec de la motion de censure transpartisane, à seulement neuf voix près.

Pas dupes, de nombreux citoyens continuent de manifester dans les rues de nombreuses villes de France, avant une nouvelle journée de mobilisation sans doute massive en fin de semaine. Parfois, la colère s’exprime avec violence, mais comment ne pas la comprendre tant le pouvoir de M. Macron n’a eu de cesse, depuis 2017, d’imposer à son peuple un rapport de force brutal et constant.

A court terme, le rapport de force semble être la seule issue possible à ce déni de démocratie majeure. Sur le long terme, cette crise, symptôme de maux beaucoup plus profonds, doit être l’occasion pour la gauche française de s’emparer de la question de la réforme de nos institutions et de notre système politique.

Un système à bout de souffle

En 1958, alors que la France traverse l’une de ses crises politiques les plus graves, le général de Gaulle est rappelé de sa retraite pour prendre la tête du gouvernement et redresser la situation. Profitant de la crise, il fait adopter une nouvelle constitution taillée sur mesure pour lui. Cela suffit à illustrer le problème de notre système politique : il a été adopté il y a 65 ans pour satisfaire les désirs autoritaires d’un général en retraite âgé de presque 70 ans à l’époque. Malgré des ajustements à la marge au gré des diverses réformes constitutionnelles, le président de la République conserve toujours des pouvoirs étendus. Et puisque le pouvoir aime se comparer à ses voisins, il convient de rappeler à M. Macron et Mme Borne qu’aucun chef d’État ou de gouvernement ne possède autant de pouvoir qu’eux en Europe occidentale. 

Face à ce power couple exécutif, le Parlement apparaît comme un enfant turbulent dont il faut maîtriser les ardeurs. D’où la mise en place d’un « parlementarisme rationalisé », fantastique novlangue visant à masquer les velléités autoritaires du pouvoir exécutif. Sans doute rarement une « séquence » politique n’aura aussi bien mis en lumière cette rationalisation du Parlement. Le gouvernement a utilisé tous les instruments en son pouvoir pour minorer le rôle de l’Assemblée nationale et du Sénat, de la procédure accélérée (article 47.1) au vote bloqué (article 44.3) jusqu’à l’apothéose, le passage en force avec l’utilisation de l’article 49.3. Si le Parlement peut en théorie renverser le gouvernement, la situation actuelle montre bien que la pratique réelle du pouvoir tend à faire de ce dispositif une fiction juridique, en tout cas une menace bien faible à opposer aux gros sabots de l’exécutif. Paralysés par la peur de l’instabilité politique – ou par celle de perdre son précieux siège en cas de dissolution ? – les députés rechignent le plus souvent à voter les motions de censure.

Les rares recours légaux restants laissent peu d’espoirs. Les conditions nécessaires à la mise en place d’un référendum d’initiative partagée (RIP) sont tellement restrictives qu’elles semblent avoir été instaurées pour n’être jamais appliquées. Quant au conseil constitutionnel, il remplit fidèlement depuis sa création en 1958 son rôle de chien de garde de l’exécutif. Face à ce gouvernement de plus en plus sourd à son propre peuple, seuls le bruit et la fureur pourront faire basculer le rapport de force.  

 Imposer son récit

Et pourtant, toute la procédure gouvernementale est constitutionnelle. Le gouvernement est parfaitement dans son droit. La constitution de la Ve république permet au pouvoir exécutif de gouverner sans le peuple, contre le peuple. Les rues de Paris sont en feu, plus de deux tiers des Français lui sont opposés, mais le gouvernement est dans son droit. L’enjeu principal pour la gauche est là : le système démocratique est à bout de souffle, il est à refonder sur de nouvelles bases. Au lieu de proposer de simples mesures d’ajustement et de rattrapages, comme c’est trop souvent le cas ces dernières années, la gauche doit se doter d’un projet ambitieux de refonte du système démocratique. La 6ème république doit être le cœur du récit, de l’horizon proposé par la gauche lors des échéances politiques à venir.

Ce projet doit trancher avec la pratique autoritaire du pouvoir de la Ve république. Réduire les pouvoirs étendus du président et affirmer la primauté du législatif sur l’exécutif semblent être les deux lignes directrices de la redéfinition du système politique. Plus largement, l’inclusion des citoyens dans le processus de délibération doit être accrue, et les modalités de la participation politique doivent être redéfinis, car le seul vote pour une élection présidentielle tous les cinq ans ne peut plus être considéré comme l’alpha et l’oméga de la vie citoyenne. Au-delà de ces considérations pratiques, la proclamation d’une nouvelle république doit être aussi l’occasion pour la gauche de graver dans le marbre constitutionnel un certain nombre de symboles forts. Attaquée dans de nombreux pays, la garantie du droit à l’IVG – par ailleurs voté par l’Assemblée il y a peu – doit évidemment prendre une valeur constitutionnelle, tout comme le droit au mariage pour tous et à la PMA. L’obligation pour le gouvernement d’agir pour l’environnement et contre la crise climatique pourraient également prendre une valeur constitutionnelle.

Bien d’autres éléments sont à discuter et doivent faire l’objet d’un débat important au sein de la gauche. Mais face à la menace fasciste qui s’accroît à mesure que Mme Borne et ses ministres s’expriment, la gauche se doit de prendre ses responsabilités et de proposer une alternative crédible et ambitieuse à un système désormais à bout de souffle.

La République est morte, Vive la République.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.