Je veux vous parler aujourd’hui d’un homme. Un homme que j’ai bien connu, un camarade, un frère de lutte. Je veux vous parler de Christian Cervantès, ouvrier verrier à Givors, militant CGT, lanceur d’alerte bien avant que le mot ne devienne à la mode, homme de cœur et de colère, de dignité et de justice.
Christian, c’est un de ces visages qu’on n’oublie pas. De ceux qui regardent droit dans les yeux, qui n’élèvent la voix que pour dénoncer l’injustice, et qui portent en eux la mémoire des souffrances, mais aussi la force de ne jamais se résigner. Il a passé sa vie à la verrerie de Givors, comme des centaines d’autres, dans un univers de chaleur, de poussières, de fumées toxiques. Il y a respiré chaque jour, sans masque, sans alerte, sans que personne ne lui dise ce qu’on lui infligeait : de l’arsenic, du benzène, de l’amiante, des hydrocarbures cancérogènes…
Pendant des décennies, les ouvriers de Givors ont été empoisonnés en silence, comme tant d’autres dans notre pays. On les a exposés sans scrupule à des produits hautement toxiques. Et puis, les cancers ont commencé à tomber, comme une malédiction industrielle. Christian a été l’un des premiers à faire le lien entre sa maladie et son travail. Il a été l’un des premiers à dire tout haut ce que l’entreprise voulait taire : "nos morts ne sont pas naturelles, elles sont criminelles."
Et il s’est battu. Pas pour lui seulement, mais pour tous les autres. Pour que justice soit faite, pour que les responsabilités soient reconnues, pour que le silence soit brisé. Il a porté plainte, il a témoigné, il a médiatisé, il a mobilisé. Il a organisé les anciens verriers, il a rassemblé les familles, il a multiplié les démarches. Il l’a fait alors même que la maladie le rongeait. Deux cancers, dont le deuxième — celui qui l’a emporté — a été reconnu comme lié au travail. Et la Cour d’appel de Lyon a reconnu ce que nous savions déjà : la faute inexcusable de l’employeur.
C’est une victoire. Tardive. Amère. Car Christian n’est plus là pour l’entendre. Cela fait maintenant 13 ans qu’il nous a quittés. Mais cette reconnaissance, ce n’est pas seulement une ligne sur un jugement. C’est une défaite pour ceux qui pensaient que le temps ferait oublier. Et c’est une victoire pour toutes celles et ceux qui refusent de laisser l’impunité dominer les lieux de travail.
OI Manufacturing, la société responsable, ne se pourvoira pas en cassation. Le combat judiciaire s’arrête là. Mais le combat syndical, lui, continue.
Parce que le cas des verriers de Givors, c’est celui de dizaines d’autres métiers. C’est celui de l’amiante à Jussieu, des pesticides dans les vignes, des ouvriers de la chimie, des fondeurs, des salariés du nucléaire, des égoutiers, des soudeurs, des travailleurs de l’entretien, de la logistique, du nettoyage, des déchets…
Ce sont les invisibles de la santé publique, les oubliés des grands discours, ceux qui meurent plus jeunes, plus souvent, dans la plus grande indifférence. Ceux dont la mort n’intéresse personne parce qu’ils n’ont pas de capital, pas de lobby, pas de tribune à la télé. Mais nous, à la CGT, nous les connaissons, nous les écoutons, nous les défendons.
Et c’est pour ça que nous sommes là. Pour exiger :
Que les tableaux de maladies professionnelles soient élargis et simplifiés.
Que les fautes inacceptables soient punies et non ignorées.
Que les travailleurs soient protégés, informés, formés, pas sacrifiés.
Que les médecines du travail aient les moyens d’agir et d’alerter.
Que les comités sociaux aient un droit d’expertise étendu, y compris après fermeture des sites.
Et surtout, que plus jamais on ne mette des hommes et des femmes dans des conditions de travail qui les tuent à petit feu.
Camarades, la vie de Christian Cervantès est un appel. Un appel à la mémoire, mais surtout un appel à l’action. Sa voix, je l’entends encore. Elle disait : "Ce n’est pas moi que je défends. C’est tous les autres. C’est ceux qu’on fait taire."
Alors ne le laissons pas seul. Soyons à la hauteur. Portons ses combats, dans nos syndicats, dans nos réunions, dans les CSE, dans les CHSCT d’hier et les CSSCT d’aujourd’hui. Refusons que l’on sépare la lutte pour l’emploi de celle pour la santé. Refusons qu’on nous dise que la mort au travail est le prix à payer.
Nous voulons travailler pour vivre, pas pour mourir.
Et à ceux qui aujourd’hui encore prétendent que les cancers professionnels seraient des aléas, des destins individuels, des coïncidences, nous répondons comme Christian l’aurait fait : Ce qui tue, ce n’est pas la fatalité. Ce qui tue, c’est le silence.
À Christian, à sa famille, à ses camarades, aux verriers de Givors, respect, solidarité, et engagement. On ne vous oubliera jamais. Et on ne cessera jamais de lutter.
Vive la mémoire ouvrière ! Vive la lutte des travailleurs pour leur santé ! Vive la CGT ! Augustin VINALS Président du CAPER AMP 42 LOIRE - Militant CGT depuis un demi siècle