Pour certains, c’est une ligne budgétaire.
Pour moi et pour toutes celles et ceux que j’ai rencontrés en cinquante ans de militantisme , c’est une question de vie ou de mort, au sens le plus littéral du terme.
Ce que je veux dire ici, dans les colonnes de Mediapart, c’est simple le sous-financement du régime AT/MP n’est pas une erreur technique.
C’est un système politique volontaire, pensé, organisé, destiné à protéger les employeurs et à invisibiliser les victimes.
Et ce système tue, lentement, silencieusement, méthodiquement.
Lorsque le régime AT/MP a été créé, en 1946, le principe était clair, limpide : celui qui blesse ou rend malade doit payer.
Pollueur-payeur.
Teneur de profits = teneur de responsabilités. Mais dans les faits, la réalité a été dévoyée. Contestations systématiques des employeurs.
Refus de reconnaître les maladies d’origine professionnelle.
Détournement d’une partie des excédents vers d’autres branches de la Sécurité sociale.
Pressions administratives pour réduire les coûts.
Barèmes restrictifs.
Le résultat ?
Des milliers de victimes sont laissées sur le bord du chemin, tandis que les employeurs continuent à bénéficier d’un système qui les protège plutôt qu’il ne les responsabilise. Je n’écris pas ces lignes depuis un bureau.
Je les écris depuis une vie passée dans les ateliers, dans les fumées, à réparer les machines, dans les réunions du CHSCT, dans les assemblées CGT, dans les couloirs des prud’hommes, dans les salles où les familles attendent un verdict, dans les cimetières où trop de camarades reposent trop tôt.
J’ai commencé à travailler à 17 ans et demi en juillet 1973 dans l'entreprise Les Forges Stéphanoises à L’Horme das la Loire, après avoir obtenu mon CAP d'ajusteur mécanicien J’y ai réparé des pilons, des presses, des fours.J’ai vu les ateliers vibrer, les métaux chauffer, les hommes s’user..J’ai vu des collègues tomber un par un.
D’abord des bronches, puis les épaules, puis les poumons ,etc ......
Puis un jour le diagnostic tombait : « maladie grave », « suspicion d’exposition », « origine multifactorielle ».
Alors oui, quand je parle du régime AT/MP, ce n’est pas abstrait. C’est de la chair, du sang, des visages, des prénoms, des familles.
S’il existe un symbole de cette injustice inscrite dans les structures mêmes du financement AT/MP, c’est l’amiante.
J’ai vu l’amiante tuer des camarades comme d’autres voient une guerre emporter des soldats.
Par vagues.
De manière prévisible.
De manière connue.
De manière organisée.
Nous sommes nombreux à la CGT, dans les Associations des victimes de l'amiante, à la CAVAM, à alerter, à écrire, à manifester, à hurler.
Nous avons marché aux côtés de victimes.
Nous avons débattu avec des médecins, des experts, des juristes.
Nous avons accompagné des camarades dans leurs derniers instants.
Nous avons vu des familles brisées par un poison industriel que l’on savait mortel dès les années 1930.
Nous avons été auditionnés à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Et je veux le dire clairement si nous y allons, ce n’est pas pour serrer des mains ni faire semblant de participer à la « démocratie sociale ».
Nous y allons parce que nous avons derrière nous des vies, des visages, des camarades, des familles qui attendent justice.
Quand nous entrons dans ces salles aux lambris dorés, nous portons avec nous les ateliers, les hauts-fourneaux, les presses, les chantiers, les mineurs, les vignes, les usines où l’amiante, les solvants, les pesticides, les poussières, les cadences et les mensonges ont laissé des cicatrices profondes.
Nous portons les noms de ceux qui sont tombés.
Nous portons les souffrances de ceux qui se battent encore.
Nous portons la colère de ceux qui ne veulent plus mourir en silence.
À chaque audition, nous avons répété la même chose : ce n’est pas un débat théorique, c’est une question de vies humaines.
Ce n’est pas un sujet comptable, c’est un sujet vital.
Et nous avons dit sans trembler que le financement AT/MP actuel n’est pas à la hauteur des drames que nous avons vécus et que nous continuons de vivre.
Nous avons rappelé que la prévention, la réparation, la reconnaissance n’avancent que lorsque les travailleurs et les associations de victimes hurlent la vérité que d’autres voudraient étouffer.
Nous avons rappelé les cancers de l’amiante, les leucémies des exposés aux pesticides, les maladies respiratoires, les plaies invisibles et les vies écourtées.
Et qu’a fait l’État rien?
Qu’ont fait les employeurs rien ?
Qu’a fait le régime AT/MP pas grand chose ?
Qu’ont fait la majorité les Députés et les Sénateurs pas grand chose ?
Sur ce terrain précis, beaucoup de militants et victimes ont le sentiment que la majorité des députés et sénateurs ont effectivement peu fait.
Concrètement :
Pas de renforcement significatif des droits
Les dispositifs de reconnaissance des maladies professionnelles restent très restrictifs. Les listes de maladies professionnelles n’ont pas été élargies suffisamment pour couvrir les pathologies liées à l’amiante, aux pesticides, aux travaux dans le bâtiment, etc.
Peu de moyens pour les victimes
Les compensations financières restent faibles et compliquées à obtenir.
Les procédures sont lourdes et longues, décourageant beaucoup de victimes.
Manque de contrôle et prévention
Les inspections du travail et la prévention dans certaines entreprises ont été insuffisamment financées.
Les mesures pour protéger les travailleurs exposés aux substances dangereuses (amiante, produits chimiques…) n’ont pas été réellement renforcées.
Des lois votées mais peu appliquées
Certains textes existent sur le papier, mais leur application reste laxiste ou lente.
Parfois, des amendements favorables aux travailleurs sont rejetés ou vidés de leur substance.
En résumé, sur le sujet AT/MP, la majorité des parlementaires ont fait beaucoup trop peu pour protéger les travailleurs et faciliter la vie des victimes. Le combat reste largement porté par les associations des victimes de l'amiante et autre maladies dues au travail, la CAVAM, l'ANDEVA , Asbestos France , les syndicats (comme la CGT) et militants.
Une reconnaissance longue, dure, arrachée.
Une indemnisation qui ne couvre jamais la souffrance.
Des procédures humiliantes.
Des expertises qui traînent.
Oui, sur ce terrain précis, beaucoup de militants et victimes ont le sentiment que la majorité des députés et sénateurs ont effectivement peu fait.
Concrètement : Comment peut-on accepter qu’en 2025, encore, des cancers de l’amiante ne soient pas reconnus automatiquement ?
Comment peut-on admettre que certaines victimes doivent encore se battre pour prouver ce qui est évident ?
Le sous-financement AT/MP n’est pas une erreur c’est une stratégie pour ne pas reconnaître.
Ce que vous avons vu dans les entreprises, nous le retrouve dans l’agriculture d’aujourd’hui.
Les maladies des travailleurs exposés aux pesticides sont une bombe sanitaire.
Les leucémies, les maladies neurodégénératives, les cancers.
Tout cela est documenté, prouvé, reconnu par les scientifiques. Mais le régime AT/MP, lui, restreint, complique, conteste.
Parce que reconnaître massivement ces maladies, ce serait mettre le projecteur sur un modèle agricole chimiqué, soutenu par des géants industriels, et qui fait des dégâts humains considérables. Et là encore, qui paie ?
Les travailleurs.
Les familles.
Les malades.
Jamais les donneurs d’ordre.
Ce que nous avons vécu avec l’amiante « on ne savait pas » on le revit aujourd’hui avec les pesticides.
N’attendons pas 30 000 morts pour ouvrir les yeux.
N’attendons pas un nouveau scandale amiante.
Les employeurs ne paient pas le coût réel des ravages qu’ils provoquent
Ce que peu de gens savent, c’est que la majorité des maladies professionnelles finissent dans la branche maladie de la Sécurité sociale.
Autrement dit :
Ce n’est pas l’employeur qui paie.
C’est la société.
C’est vous.
C’est moi.
Ce sont les travailleurs eux-mêmes.
Un exemple simple : le nombre de cancers professionnels est officiellement estimé à environ 14 000 par an.. Les scientifiques parlent eux de 30 000, voire 40 000 cas.
Mais combien sont reconnus ? Une infime partie.
Résultat :
Les employeurs ne voient pas leurs cotisations augmenter.
Le régime AT/MP ne reflète pas la réalité des risques.
Les victimes ne sont pas reconnues.
Le système de prévention ne peut pas être financé correctement.
C’est un système pensé pour ne pas rendre visible ce qu’il coûte réellement d’exposer les gens au danger.
Le gouvernement et le patronat disent : « Le régime est pauvres, il manque d’argent. » Faux - Mensonge - Enfumage.
Le régime AT/MP dégage des excédents depuis des années.
Des excédents qui devraient être dédiés à la prévention, aux indemnisations, aux études épidémiologiques, au renforcement des CPAM et de l’inspection du travail.
Mais que fait l’État ?
Il prélève.
Il compense.
Il siphonne pour équilibrer d’autres branches.
Résultat :
● Moins de prévention
● Moins de contrôles
● Moins de reconnaissance
● Moins d’indemnisation
● Plus de drames
● Plus de victimes invisibles
Comment appeler cela autrement que du sabotage social ?
Stop immédiat au siphonnage du régime AT/MP
Chaque euro doit revenir aux victimes et à la prévention.
Revalorisation massive des cotisations patronales
Quand les expositions augmentent, les cotisations doivent suivre.
Reconnaissance automatique des cancers professionnels
Amiante, pesticides, solvants, métaux lourds assez de suspicion contre les victimes.
Un plan national de prévention
Avec : des inspecteurs du travail en nombre, des ingénieurs de prévention, des moyens pour les CSE, le retour d’une instance dédiée type CHSCT.
Une transparence totaledes risques professionnels
Ce que les travailleurs respirent, manipulent, endurent doit être connu, écrit noir sur blanc, public.
J’écris ce texte aujourd’hui parce que je n’en peux plus.
Je n’en peux plus de voir des camarades, des travailleurs, des hommes et des femmes perdre leur vie à vouloir la gagner.
Je n’en peux plus de ces hommages trop tardifs, de ces minutes de silence qui se répètent, de ces réunions où l’on nous explique que « c’est compliqué », que « les moyens manquent », que « la prévention viendra plus tard ».
Je n’en peux plus de voir des vies brisées, des familles détruites, des collègues qui s’éteignent à petits feux, de l’amiante qui continue de tuer, des pesticides qui empoisonnent en silence, des maladies professionnelles qu’on nie par habitude, par confort ou par intérêt.
Je n’en peux plus de voir des rapports s’empiler pendant que les cercueils se succèdent.
Je n’en peux plus de voir des dirigeants parler de coûts, de charges, d’équilibres budgétaires, alors que le vrai coût, la vraie charge, ce sont nos morts, nos handicapés, nos malades, nos jeunes retraités qui n’auront jamais le temps de profiter de quoi que ce soit.
J’écris ce texte aujourd’hui parce que je refuse que nos morts ne servent à rien.
Parce que chaque camarade tombé, chaque collègue parti trop tôt, chaque victime de l’amiante, des pesticides, des métaux lourds, des cadences infernales, mérite mieux que le silence, mieux que l’indifférence, mieux que la résignation.
J’écris parce que je veux que tout cela cesse.
Parce que je veux que les drames d’hier servent enfin à protéger les travailleurs d’aujourd’hui et de demain.
Parce que je veux que la responsabilité remplace la lâcheté, que la prévention remplace le cynisme, que la santé remplace les profits.
Ma vie militante à la CGT et au CAPER AMP 42 LOIRE m’a appris une chose rien ne change si on ne se bat pas.
Aujourd’hui, nous nous battons pour que plus personne n’ait à mourir pour un salaire.
Ce texte est pour eux.
Ce texte est pour ceux qui arrivent.
Ce texte est pour celles et ceux qui ne doivent plus jamais vivre ce que nous avons vécu.
L’histoire nous regarde. Agir maintenant, c’est empêcher les drames de demain.
Nous ne sommes pas condamnés à revivre l’amiante avec les pesticides.
Nous ne sommes pas condamnés à laisser les travailleurs financer eux-mêmes leurs maladies.
Nous ne sommes pas condamnés à laisser les employeurs agir en toute impunité.
Mais pour changer cela, il faut décider. Il faut affirmer. Il faut se battre.
Agir maintenant, c’est refuser le silence.
Agir maintenant, c’est refuser l’oubli.
Agir maintenant, c’est dire : plus jamais ça.
Augustin VINALS Militant CGT depuis un demi siècle dans la Métallurgie de la Loire
Président de l'Association des victimes de l'amiante et autres maladies dues au travail ( CAPER AMP 42 LOIRE)