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Billet de blog 19 septembre 2025

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Canari, une cicatrice industrielle et sanitaire

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Déconstruction de l’usine d’amiante de Canari : La mémoire ne doit pas être enterrée avec les murs

Par Augustin VINALS, CAPER AMP 42 LOIRE

Le 16 septembre dernier, les premiers travaux de déconstruction de l’ancienne usine d’amiante de Canari, en Haute-Corse, ont été lancés. Sur place, on installe les dispositifs de brumisation d’eau pour contenir les poussières et on organise la circulation routière en contrebas du site.     

Le mois prochain commencera la première phase de démolition, prévue jusqu’en décembre.

Pas de foudroyage spectaculaire aucune explosion ne retentira dans la vallée. La raison est simple : impossible de maîtriser le nuage de poussière qui aurait charrié avec lui des fibres d’amiante. À la place, une pince à béton grignotera, morceau par morceau, les structures de l’ancienne Société Minière de l’Amiante (SMA).

Un chantier de six millions d’euros, financé intégralement par l’État via l’ADEME, qui doit aboutir à la mise en sécurité du site.

Cette usine, qui domine la mer Tyrrhénienne, n’est pas une ruine comme les autres. C’est une cicatrice. Pendant des décennies, on y a exploité et transformé l’amiante, ce “minéral miracle” présenté comme une richesse, un gisement d’emplois, une promesse de développement. En réalité, c’était une mine de la mort.

Les ouvriers, leurs familles, les habitants du village ont respiré les fibres invisibles, qui s’infiltraient partout : dans les ateliers, les maisons, jusque dans le linge lavé par les épouses. On sait aujourd’hui qu’une seule fibre peut suffire à provoquer, des dizaines d’années plus tard, un mésothéliome incurable.

L’usine disparaîtra du paysage, mais les maladies, elles, continuent leur chemin. Le temps de l’amiante n’est pas révolu. Il est encore là, dans nos écoles, nos hôpitaux, nos logements, nos réseaux d’eau, nos usines.

On pourrait se réjouir de voir l’État prendre ses responsabilités financières pour sécuriser Canari. Mais la question centrale reste sans réponse et la justice ?

Car si l’on déconstruit les murs, on n’a toujours pas déconstruit l’impunité. Les industriels savaient, l’État savait, et pourtant la production a continué. Les ouvriers ont été sacrifiés au nom du profit, dans un silence complice. Aujourd’hui, les victimes et leurs familles se heurtent encore aux lenteurs judiciaires, aux non-lieux, aux procédures interminables.

L’amiante demeure le plus grand scandale sanitaire du XXᵉ siècle, et il reste en grande partie impuni.

L’exemple de Canari ne doit pas faire illusion. Si le chantier est sécurisé, combien de milliers d’autres bâtiments amiantés en France restent en attente, avec des interventions souvent réalisées à la va-vite, sans les moyens suffisants ?

Au CAPER AMP 42 LOIRE, aux côtés de nos camarades de la CAVAM, nous affirmons que la prévention doit être absolue.                         

Nous exigeons : le strict respect des protocoles de sécurité et de surveillance sanitaire ; des moyens renforcés pour les travailleurs du désamiantage, qui risquent leur santé au quotidien ; la mise en place d’une véritable politique publique d’éradication de l’amiante, avec un calendrier clair et des priorités : écoles, hôpitaux, logements sociaux ; un suivi médical systématique pour toutes les personnes exposées, directement ou indirectement.  

La déconstruction de Canari est une page qui se tourne. Mais il ne faut pas que cette page se referme dans l’oubli.

Derrière les blocs de béton qu’on grignote aujourd’hui, il y a les visages de nos camarades disparus, il y a les souffrances des familles, il y a une mémoire que nous devons transmettre.

Car l’amiante n’est pas seulement une tragédie du passé. Elle nous alerte sur ce qui peut se reproduire demain avec d’autres substances, d’autres produits, d’autres technologies : pesticides, perturbateurs endocriniens, nanomatériaux. Toujours la même logique : produire, vendre, engranger les profits, et faire semblant de ne pas voir les dégâts sanitaires et environnementaux.

Oui, l’usine de Canari sera bientôt réduite à un tas de gravats. Mais notre combat, lui, reste entier.

Nous continuons de nous battre pour la mémoire des morts, pour la justice des vivants, et pour la protection des générations à venir.

Mettre en sécurité des murs, c’est une étape. Mettre en sécurité des vies, c’est notre devoir.

Canari doit devenir un symbole : celui de la détermination collective à agir maintenant pour éviter les drames sanitaires de demain.

Je m’exprime ici au nom du CAPER AMP 42 LOIRE, association de défense et de mémoire des victimes de l’amiante et des maladies dues au travail que j'ai créée en février 2002 . Mais je parle aussi en tant que militant. Voilà maintenant un demi siècle que je milite à la CGT sur les problématiques Santé / Travail et Enronnementales dans la métallurgie, aux côtés des travailleurs.                                                                                                   

J’ai vu des camarades partir, trop tôt, la gorge brûlée par l’amiante, les poumons saturés de fibres invisibles. J’ai entendu leurs souffles, leurs colères contenues, leurs angoisses dans les couloirs d’hôpital.                                                                                                                               

J’ai accompagné leurs familles dans le deuil, des femmes, des enfants, des petits-enfants qui n’ont jamais compris pourquoi un simple travailleur devait mourir pour avoir simplement gagné sa vie.

J’ai participé aux combats judiciaires, avec cette rage sourde face aux non-lieux et aux lenteurs 

J’ai marché dans les manifestations, avec les photos de nos disparus brandies comme des drapeaux.                                                                 

J’ai animé des réunions de sensibilisation, parfois devant des jeunes qui découvraient avec effroi ce qu’avait été et ce qu’est encore l’amiante.

Chaque visage, chaque voix, chaque silence reste gravé en moi. Et c’est pour eux, pour toutes celles et ceux que l’amiante a détruits, que je continue le combat.

Ce combat est une grosse part de ma vie, et il se poursuit tant que justice et prévention ne seront pas au rendez-vous.

L’amiante m’a appris une chose essentielle ne jamais croire qu’un scandale sanitaire appartient au passé.

Il nous oblige à rester vigilants, solidaires, combatifs. Pour les victimes, pour leurs familles, pour les jeunes générations.

Augustin VINALS Président du CAPER AMP 42 LOIRE

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