This is my people
Tu sais, j'appartiens à une tribu.
Ça peut paraître chelou comme ça.
Mais j'appartiens vraiment à une tribu.
Cet ensemble qui fait sens et qui donne sens à ta vie.
Ce groupe de gens dont tu te sens faire part et pour lequel tu te lèves
tous les matins, même si ça te fait chier. Entre pouilleux, on se
connaît, on se (re) connaît. C'est peut être même à ça qu'on se
reconnaît. Cette conscience de classe. Une classe particulière. Celle
des renégats.
Car c'est ce que l'on est, dans le 9.3,
Des renégats.
Même si l'on ne se considère pas tout à fait ainsi.
On ne naît pas renégats, on le devient.
Même si ce sont les autres qui nous projettent en pleine face cette
idée là.
Alors je vois le truc venir, tu vas me dire « tu as un complexe
d'infériorité », ou « c'est toi qui projete des stéréotypes, dont tu
n'as qu'à te défaire ».
Putain les stéréotypes, ils ont bon dos.
C'est peut être dans ma tête tout ça, j'avoue.
Mais ceux qui se lèvent à 5h30 tous les matins,
qui ne voient pas leurs gosses grandir,
qui se lèvent pour aller récurer les chiottes que tu n'es pas capable
de laver toi-même,
qui se lèvent pour aller conduire le bus dont tu as besoin pour aller
taffer,
que tu maudis d'ailleurs quand il n'est pas à l'heure (sans te poser la
question de savoir pourquoi y a un problème, genre des travaux merdiques
sur la chaussée pour des JO tout aussi merdiques qui vont conduire à ce
que, sans doute, les voisins que tu aimes bien quand même malgré le
bruit de leurs gosses, se fassent tej car ils n'auront pas assez de
caillasses pour payer des loyers qui vont tripler et que des bourgeois
nouvellement arrivés vont, quant à eux, pouvoir se payer),
Ou la jeune femme là de 16 ans tu sais, elle est toute jeune toute belle
toute apprêtée, une lycéenne qui sort des cours tu te dis elle va peut être
en soirée, s'amuser, faire des trucs de son âge,
en fait tu la regardes et tu te rends compte que la poussette à côté
d'elle, ben c'est la sienne en fait. Et le bébé bien sûr, ça va avec.
La môme elle est tombée amoureuse du lascar du coin y a 18 mois.
Et le petit, ben il est là maintenant.
Et c'est la prunelle de ses yeux.
Et elle gère, grave.
Les cours, c'est peut être pas son truc. Enfin peut être que si. J'en
sais rien.
En attendant, elle gère, grave.
Elle tient tête aux babos qui montent dans le bus et se plaignent qu'il
n'y a pas de place à cause de sa poussette.
Elle tient plus généralement tête aux mecs, qui eux ne montent pas dans
le bus avec la poussette.
Qui n'ont pas de poussette, d'ailleurs.
Y en a parmi eux, ils s'assoient direct sur les places
handicapées ou pour femmes enceintes, les jambes bien écartées au cas où
on ne les avait déjà pas suffisamment remarqués.
Là aussi, tu vas me dire, tu généralises.
Ben ouais, peut être.
Car cette jeune fille est admirable.
C'est la même dont on va dire au collège ou au lycée qu'elle taffe pas
assez chez elle.
Qu'elle devrait s'y mettre.
Qu'elle devrait penser à son futur.
Putain de stéréotype, de préjugé.
Elle regarde son petit avec un amour inconditionnel.
Et nous on juge quoi, en fait, d'où l'on n'est ?
Alors que nous ne serions pas en capacité de faire ce qu'elle est en
train de faire, une seconde durant.
Le portrait est un peu noir là, j'avoue.
Car ça me fatigue.
Ce rapport aux autres perpétuel.
Ça me fatigue comment on maltraite mon peuple.
Oui, mon peuple.
C'est les gens du 9.3.
Ceux qui peuvent pas vivre sans se faire emmerder.
Ceux pour qui aller d'une banlieue à une autre prend les allures d'un
voyage autour du monde tellement c'est long.
Car y a pas de moyens de transport.
Y a pas de moyens pour les transports.
Et même quand t'as réussi à prendre ton fucking bus,
ben tu te retrouves dans un collège ou un lycée qui n'a pas de moyens
non plus.
Tu sors le matin de ta boîte et tu rentres dans une nouvelle boite
bondée qui pue la transpi.
Et ensuite tu rentres dans une nouvelle énième boite qui pue le moisi.
Car le batîment est insalubre.
Sérieusement ?
Des familles entières manquent de cramer tous les jours dans le 9.3., à
cause d'ascenseurs non entretenus ou de travaux de réfection pourris mal
conduits.
Les bâtiments prennent l'eau tandis que les écoles se font bouffées par
les termites.
Ça pue chez nous, mais l'odeur, ça fédère.
Heureusement ici, on aime les gens, on s'aime nous même déjà, et ça
aide.
Regarde le métro parisien, tout le monde tire la gueule en mode blasé de
la vie.
Alors y en a qui ont de quoi l'être, blasés de la vie.
Mais sérieux.
Pourquoi dans les quartiers les gens se parlent-ils dans les
transports ?
Même quand des fois ça gueule un peu.
Y a le sourire.
La discussion.
La conversation.
Le dialogue.
La petite de 16 ans avec son môme, celle de tout à l'heure là, elle a
discuté avec un couple de sdf tout le long du trajet en mode vous êtes
sûrs que vous n'avez pas besoin d'aide ?
Le jeune au fond du bus, il a pris la défense de la conductrice qui avait osé mettre du zouk un peu fort, quitte à se prendre une claque
dans la gueule sans broncher,
et, l'autre gars là, il a jeté dehors un mec qui avait mal parlé à une
meuf.
C'était un peu violent, et la violence c'est pas bien, on est d'accord.
Mais c'est quoi le plus violent en fait ?
Le fait que les gamins trouvent des souris au cdi ?
Le fait qu'ils manquent de s'électrocuter dans leur salle de classe car
de l'eau coule sur les infrastructures électriques ?
Le fait que tes parents puissent cramer dans un incendie car les travaux
de leurs immeubles ont tellement été mal foutus qu'il y a des pannes de
courant auxquelles personnes ne trouvent de solution ?
Le 9.3. c'est ça.
Et pourtant, c'est chaleureux.
Tu m'étonnes, que ça le soit.
Personne peut survivre seul à ce truc.
Etat de merde.
Services départementaux de merde.
On est les renégats de la Nation.
Alors c'est pas étonnant qu'on se serre les coudes quand vous tuez un
des nôtres.
Le petit Nahel, c'est une victime de cet Etat bourgeois, condescendant
et répressif de merde.
Quand tu vois un gosse se faire assassiner parce que jeune et arabe,
forcément ça réveille des pulsions vénères chez les gamins de nos
quartiers. Même si les petits font à leur tour un peu de merde. Trop
c'est trop.
Y a pas de transports,
Y a pas d'électricité,
Y a pas d'écoles viables,
Y a pas de profs,
Y a pas de moyens,
Mais y a la tribu.
Mais y a nous.
Et ce nous là, this is, my people.