« Écrivain n’a pas de correspondant féminin. […] Écrivaine est du style ironique. » (Thomas)
Dans sa brève Introduction, c’est avec le martinet prêt à s’abattre sur les phalanges du mauvais élève que Thomas nous rappelle la mission démocratique qu’il s’est donnée : « remettre en mémoire des règles oubliées ou attirer l’attention sur des fautes qui, pour être courantes, n’en sont pas moins grossières », car « il suffit souvent d’un seul mot employé à contresens, d’une construction fautive ou d’une prononciation barbare pour marquer définitivement l’auteur de l’une de ses inconséquences ». On trépigne de plaisir devant un tel enthousiasme pour la maîtrise de la langue française. Et ce que Thomas ne dit pas, mais que l’on aura bien compris, c’est qu’il sera le premier d’entre tous à « marquer l’auteur », à jeter l’opprobre sur quiconque commettra une « faute », faute qui, évidemment, aura été consignée et entérinée comme telle dans son dictionnaire (exemple du premier billet : successeure est une faute et non une forme oubliée à « remettre en mémoire »), acte préalable à toute entreprise d’humiliation publique, car il faut bien une bibliographie sur laquelle s’appuyer.
« Docteur s’emploie pour les deux genres : Mme X… est mon docteur attitré […]. » (Thomas)
Entre le « bon usage » et la « faute grossière », Thomas nous évoque les « finesses insoupçonnées » du français qu’il aura patiemment retenues dans son dictionnaire, car Thomas aime les tautologies spécieuses et les purs effets d’autorité, comme tout bon défenseur d’un ordre hiérarchique immuable. On résumera ainsi comme suit le raisonnement circulaire de la Préface et de l’Introduction : ce que nous nommons « faute grossière », c’est ce qui est en dehors du bon usage ; le bon usage, c’est le parler et l’écrire de ceux qui ont le pouvoir d’imposer leur usage (et qui devient de facto le bon usage), lequel, par construction, ne peut donc plus comporter en lui-même de « fautes grossières » puisqu’il est la vérité toute pure ; et de fait, les fautes grossières, c’est tout ce qui est en dehors du bon usage, etc., etc., etc. (retourner plus haut). Un bon usage plein donc de finesses insoupçonnées, qui stigmatise et limite d’autres manières de parler et d’écrire qui portaient peut-être, elles aussi, des finesses insoupçonnées, mais qui malheureusement (déso pas déso), seront jugées comme des barbarismes insoutenables.
« […] un médecin dira à une doctoresse : Mon cher confrère, Mon confrère Mme Une telle » (Thomas)
Enfin, dans un esprit de chevalier blanc, d’une blanchité inquiète et blessée cependant, Thomas nous dévoile sa vision du pacte national : « notre but : maintenir la pureté de la langue des “honnêtes gens” » — le Youtubeur d’extrême droite ne veut pas autre chose quand il en appelle à sauver la France, ses traditions et ses églises, en s’adressant aux « honnêtes patriotes » pour l’aider à la protéger.
« Sa mère est un orateur de talent » (cité dans Thomas)
Difficile de ne pas voir dans nos confectionneurs de dictionnaire une pure préfiguration du troll : perturber toute discussion, empêcher la libre expression, telle est ma mission.
« Sculpteur n’a pas d’équivalent féminin. On dit : […] : Sa femme est un sculpteur de talent. » (Thomas)
Pour résumer : méfiez-vous des écrivains, encore plus des écrivaines, et de toute personne qui s’apprête à parler et à corrompre la pureté du français. Méfiez-vous de vous-même, quand vous verrez votre sale reflet dans une fenêtre. La peur qu’inspire ce chef-d’œuvre qu’est la langue française sera bonne conseillère. Tremblez avant de parler.
« Chef n'a pas de féminin. On dit le chef même s'il s'agit d'une femme […] (et non ma chef ou ma cheffesse !) » (Thomas)
Le temps est peccamineux : depuis sa naissance, le français ne cesse de péricliter, rendant douloureux le souvenir d'un temps où on le parlait correctement (on ne sait pas vraiment quand par contre, mais nos historiens académiciens sont sur le coup).
« un honnête homme [se dit] d'un homme joignant à la distinction de la culture et de l'esprit la politesse des manières. (Au pluriel on dit des honnêtes gens.) Une honnête femme, une honnête fille, se dit d'une femme, d'une fille irréprochable dans sa conduite. » (Thomas)
Nous sommes tous pécheurs. Mais certains le sont beaucoup plus que d’autres. Grâce au dictionnaire d'Alphonse V. Thomas, un étroit sentier s’ouvre vers la repentance. Vers la langue des honnêtes gens, les vrais, ceux qui portent des vestes en tweed et fument la pipe, qui accordent instinctivement à l'oral le participe passé des verbes pronominaux non réfléchis, car s'ils ne le faisaient pas, leur interlocuteur ne comprendrait pas ce qu'ils veulent dire, la communication serait empêchée, et sans parole, le malentendu n'est jamais loin, ni les coups, donc la violence, la barbarie, la fin du monde.
Quant aux femmes, après tout ce qui vient d’être dit, il n'y a probablement qu'une seule solution si elles veulent maîtriser à leur tour la langue de l'honnête homme : changer de genre.
Vive la France, vive Macron, gloire à la censure républicaine !