Seseña-El Quiñon
Residencial Francisco Hernando / No sólo se trata de una vivienda... Es uno estilo de vida... Lleno de comodidades... Bañarse en su piscinas... Pasear por sus jardines... Navegar por el lago... Con toda la tranqilidad... A sólo 25 minutos de Madrid... Ya no es un sueño... Ahora puede hacerlo realidad... La vivienda que si puedes comprar.
(Residencial Francisco Hernando / Ce n'est pas qu'un logement... C'est un style de vie... Entièrement équipé... Baignez vous dans ses piscines... Déambulez dans ses jardins... Naviguez sur le lac... En toute tranquillité... À 25 minutes seulement de Madrid... Ce n'est plus un rêve... Vous pouvez désormais le réaliser... Le logement que vous pouvez acheter)
Sur le site internet du Residencial Francisco Hernando, extrait de Projet El Pocero. Dans une ville fantôme de la crise espagnole, Anthony Poiraudeau.
La commune de Seseña comptait 12 500 habitants avant le début des travaux, en 2003, et la Residencial Fransisco Hernando devait accueillir 40 000 personnes, répartis dans 13 500 appartements.
Le chantier fut toutefois abandonné en 2008, au début de la crise immobilière espagnole. Conséquence de cet abandon, sur les 89 bâtiments prévus, seuls 30 ont été construits et dans les quelque 5 500 appartements finalement livrés, qui pourraient héberger 16 000 personnes, ne vivent que 3 000 habitants.
La requalification des terrains en vue de débuter les travaux fut acceptée par la mairie quinze jours seulement après que le promoteur, Fransisco Hernando, eut acquis le terrain.
La rapidité avec laquelle l'accord de la mairie fut délivré, en dépit des réserves d'un rapport de faisabilité de la région, ne cesse, encore aujourd'hui, d'alimenter les soupçons de corruption sur les autorités locales d'alors. A titre d'exemple : le maire de l'époque prétendit avoir gagné 650 000 euros à la loterie quelques jours avant la requalification et ne fut jamais en mesure de prouver l'origine des fonds qui apparurent alors sur son compte en banque.
Les bâtiments devaient disposer de grandes piscines et de nombreuses fontaines devaient rythmer les avenues. Aujourd'hui, les piscines sont vides et les fontaines sont à l'arrêt.
Francisco Hernando, très connu en Espagne sous le surnom d'El Pocero (littéralement : Le Puisatier), donna son nom à cette cité, celui de sa femme au jardin public et fit mettre une statue de ses parents sur l'un des ronds points. Il voulut également donner aux rues les noms de ses enfants et de ses petits-enfants, mais la nouvelle équipe municipale s'y opposa.
Pour parvenir sur le site, il faut emprunter l'autoroute A4 depuis Madrid, rouler une quarantaine de kilomètres, puis prendre la première sortie après avoir aperçu le complexe, dont on peine alors à évaluer les dimensions, tant il semble loin de toutes zones habitées. Il est entouré d'un immense terrain vague et n' émerge qu'au lointain.
Il faut ensuite parcourir une large zone dépeuplée au rythme des ralentisseurs. Le nombre et la hauteur de ses ralentisseurs interdisent de rouler au delà de 10 ou 15 kilomètres/heure. L'espace semble s'être dilaté. On pense à ces villages vacances dans lesquels un vide et une route sont créés entre le complexe hôtelier et la sortie afin de dissuader les touristes de s'aventurer dehors.
Enfin apparaît le premier rond-point, surmonté de son enseigne « Residencial Fransisco Hernando ».Nous n'avons aucun mal à trouver une place pour nous garer.
Ce qui frappe l'improbable promeneur, c'est la quantité d'édifices totalement vides, aux rez-de-chaussée murés et aux stores fermés.
Seule une partie de la ville est habitée, les logements ayant sans doute été vendus par tranches successives pour donner aux premiers arrivants l'illusion d'un peuplement.
Dans d'autres zones, des immeubles aux façades immenses et aux fenêtres closes surplombent des espaces en friche et écrasent le ciel de leur stature autoritaire.
Lors des prises de vue, une voiture ralentit en passant à notre hauteur, un homme en sort la tête, puis repart en nous invectivant en espagnol (ne comprenant pas cette langue, nous ne pouvons vous rapporter la teneur exacte de ce qu'il nous dit, mais le ton était dénué de toute ambiguïté).
De toute l'Europe affluent des étudiants et des chercheurs en urbanisme et en architecture. Leur présence a du finir par lasser les habitants. Ces voyageurs viennent observer, fascinés, le silence fracassant de ce rêve avorté. Ils viennent regarder ce que les habitants ne veulent plus voir et que toute l'Espagne a déjà vu.
Sur les balcons, se succèdent les banderoles et les panneaux « Alquila », « Se vende » («A louer», «A vendre»).
Il faut rembourser les prêts et les appartements ont perdu, selon les sources, au moins 40% de leur valeur. On vit ici comme enfermé, loin de tout, tenu par un crédit et par la distance qui sépare de la ville.
Le silence semble être le seul agrément à cette vie de naufragé.
Note : La plupart des données dont je me suis servi sont issues du livre « Projet El Pocero. Dans une ville fantôme de la crise espagnole », Anthony Poiraudeau. Éditions Inculte.
J'en profite pour rendre ici hommage au travail de l'auteur, qui nous livre à la fois une déambulation à la première personne, un essai documenté sur la crise immobilière espagnole et une réflexion glaçante sur l'urbanisme contemporain, travaillé par les limites du capitalisme.