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Billet de blog 6 septembre 2025

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Réponse factuelle à l'historien Jean-Pierre Filiu

Dans sa chronique du 31 août (Le Monde, « Un si Proche-Orient »), J.-P. Filiu demande des comptes aux dirigeants et mouvements palestiniens, passés et présents. Son texte s'inscrit dans une vision du « conflit » israélo-palestinien qui consiste à déresponsabiliser l'occupant israélien et à considérer les Palestiniens comme les victimes de leurs propres leaders ou organisations de résistance.

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Dans sa chronique publiée le 31 août dernier par Le Monde, Jean-Pierre Filiu pointe tout d'abord la responsabilité particulière de l’ex-grand mufti de Jérusalem (1921-1937), Amin al-Husseini, dans le refus du plan de partage de la Palestine mandataire. Faire d'Al-Husseini le seul acteur du rejet du plan de partage relève d'une approximation grossière : celui-ci a été refusé, plus précisément, par le Haut comité arabe (présidé par Al-Husseini, il réunissait un certain nombre de leaders palestiniens), ainsi que par la Ligue arabe (ses États membres avaient voté contre le texte à l'Assemblée générale des Nations unies le 29 novembre 1947). Plus grave : tout comme dans le récit sioniste, Filiu fait du refus du plan de partage de l'ONU − lequel attribuait au Yishouv plus de la moitié de la Palestine mandataire, alors que l'Agence juive, l'organisation pré-étatique créée par le mouvement sioniste, ne contrôlait que 10 % des terres − la cause de l'épuration ethnique qui a débuté quelques mois avant la déclaration d'"indépendance" de l'Etat d'Israël. Rappelons que l'idée de vider la Palestine de ses "Arabes" pour créer un Etat juif ethniquement homogène s'est manifestée dans le sionisme politique dès son émergence, et qu’on la retrouve dans l'entre-deux-guerres chez les dirigeants sionistes, en particulier David Ben Gourion*. 

Puis J.-P. Filiu énonce ce verdict sans appel : la responsabilité du Hamas dans le massacre sans fin de la population de Gaza est "écrasante". On peut détester le Hamas pour plein de raisons (idéologie, gouvernance, méthodes de lutte contre l'occupation israélienne qui n'épargnent pas les civils du camp adverse, voire les ciblent délibérément... le 7-Octobre restera une tache indélébile dans l'histoire de la résistance palestinienne), mais on ne peut en aucun cas utiliser le prétexte du 7-Octobre ou du refus des brigades Al-Qassam de désarmer pour exonérer les décisionnaires israéliens et leurs exécutants du crime de masse perpétré contre 2 millions de Palestiniens qui sont déjà pour la plupart d'entre eux issus de familles expulsées de leur patrie en 1948-49. 

Le but du gouvernement israélien et de ses prétendues forces de défense est d'en finir avec le principal foyer de résistance armée à l'occupation coloniale de la Palestine, et plus largement de liquider toute capacité de gouvernance à peu près indépendante de l'Etat occupant (en Cisjordanie, l'Autorité palestinienne est entièrement sous la coupe des autorités d'occupation) : cet objectif est validé par l'immense majorité des citoyens juifs israéliens (seul l’enjeu de la protection des otages du 7-Octobre et de la préservation de la vie des soldats réclamés par les génocidaires provoque des manifestations dignes de ce nom). Mais ce que les responsables politiques et militaires israéliens appellent l'"éradication du Hamas" ne peut passer en réalité que par l'extirpation des Palestiniens de Gaza, et l'armée d'occupation met tout en œuvre pour arriver à cette fin : déplacements forcés incessants de l'ensemble des habitants pour les réduire au dénuement le plus extrême ; démolition méthodique des quartiers vidés de leur population au bulldozer et à l'explosif ; création de zones de concentration de la population présentées comme des "zones humanitaires" ; extermination de milliers de familles par balles et sous les bombes ; famine organisée pour mettre les survivants en danger de mort ; attaque généralisée du système de santé pour interdire le soin aux blessés (40 000 enfants sont désormais des blessés de guerre, et plus de la moitié d'entre eux sont handicapés), aux femmes enceintes et aux malades chroniques ; destruction totale des lieux de vie et de mémoire de la population gazaouie... 

Si les organisations combattantes palestiniennes (que les propagandistes israéliens et leurs porte-voix occidentaux réduisent au seul Hamas) s'étaient contentées, le 7 octobre 2023, d'attaquer les bases militaires utilisées par l'occupant pour surveiller les Gazaouis dans leur réduit clôturé, sans lancer leurs troupes à l'assaut des kibboutz de la zone et des centaines de festivaliers pacifiques qui dansaient à proximité immédiate du mur de "sécurité", on peut imaginer que la "riposte" aurait été sensiblement la même. 

Exiger la capitulation des organisations militaires palestiniennes ne fait sens que si l’on considère celles-ci comme l’alibi d’Israël pour poursuivre le siège génocidaire de Gaza jusqu’au départ forcé de ses habitants survivants. Mais pour le moment, absolument aucun responsable israélien n’a mentionné une quelconque contrepartie au désarmement ou à l’exil des combattants et autres membres du Hamas, qu’il s’agisse de la fin du blocus illégal et criminel de Gaza ou de l’enterrement du projet de "délocalisation" de ses habitants. Filiu évoque l’épisode de l’évacuation négociée en 1982 du chef de l’OLP, Yasser Arafat, et de milliers de combattants palestiniens assiégés dans Beyrouth par les troupes israéliennes : une évacuation acceptée par la résistance palestinienne « pour abréger les souffrances des civils », dit-il, alors que « le Hamas, près de deux ans après avoir déclenché le conflit en cours, continue de faire passer ses intérêts de parti avant ceux d’une population aux abois. » Mais il oublie de raconter la suite : peu après que l'OLP ait quitté le Liban, les alliés chrétiens des forces d'invasion israéliennes ont assassiné 3 500 réfugiés palestiniens avec l'appui de Tsahal (massacre de Sabra et Chatila, septembre 1982).

* Cet article de Haaretz retrace l’histoire de l'idée du "transfert" des Palestiniens, de Herzl jusqu’à Ben Gourion. Joseph Weitz, le responsable du développement des terres du Fonds national juif, déclara aussi en 1940 : « Il n’y a pas de place pour les deux peuples, ensemble dans ce pays. La seule solution est la Palestine sans Arabes, et il n’y a pas d’autre moyen que de les transférer tous : pas un seul village, pas une seule tribu ne devrait rester. » [Cité dans Uri Davis, « Palestine into Israel », Journal of Palestine Studies, vol. 3 n° 1, automne 1973]

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