Le discours sioniste hégémonique lie le destin des Juifs non-israéliens d’Europe et d’Amérique à celui de la nation juive israélienne. Par ailleurs, il présente Israël comme l’unique représentant étatique et historique des Juifs malgré la diversité interne au monde juif en termes d’identités, de cultures, d’opinions et de pratiques religieuses, d’affiliations politiques aussi. Cet "israélo-centrisme" a tellement infusé dans les esprits qu'il est devenu difficile de dissocier les 15 à 20 millions de Juifs de l'Etat autodéfini comme celui du peuple juif. Et c'est particulièrement préoccupant, car dans le contexte actuel, tout une masse de personnes incapables de remettre en cause cette identification forcée des Juifs à Israël sont amenées à rendre les citoyens juifs de leurs pays respectifs comptables des actes génocidaires d'Israël, ou à réclamer de leur part une condamnation en règle du crime de masse perpétré en direct depuis bientôt 2 ans. Ainsi, l'israélo-centrisme renforce l’amalgame antisémite Juif-sioniste-Israélien.
Nos concitoyens musulmans ont déjà eu droit, lors de chaque attentat d'Al Qaïda ou de Daesh commis en Occident, à cette stigmatisation collective et à cette exigence de leur part d'une amende honorable. Mais là, on ne parle pas de terrorisme : on parle d'un crime de génocide. Voir nos concitoyens juifs traités de sionistes génocidaires ou soupçonnés de soutenir la mise à mort du peuple gazaoui en raison uniquement de leurs noms de famille, de leurs signes d’appartenance religieuse, ou de leur attachement à Israël pour des raisons culturelles, religieuses ou familiales, cela se produit déjà, et le phénomène risque de s’amplifier dans les mois à venir. L’antisémitisme, c’est bien cela, ce n’est pas le fait de critiquer − résolument, en se fondant sur l’histoire israélo-palestinienne et sur la réalité de ce que les sujets palestiniens du régime colonial israélien subissent au quotidien − un Etat ethnique qui s’est construit sur la négation de l’existence d’un autre peuple, lequel est désormais livré, après 58 ans d’occupation militaire brutale et d’apartheid, à des exterminateurs qu’aucun Etat occidental ni arabe (il faut le souligner) ne cherche à arrêter.
Une chose que ceux des antisémites qui se prétendent solidaires des Palestiniens préfèrent ignorer : l’Etat génocidaire israélien a infiniment plus de partisans non-juifs (adeptes de la théorie du choc des civilisations, racistes anti-musulmans, pourfendeurs de l’"islamo-gauchisme", sionistes chrétiens évangéliques qui se comptent par millions aux Etats-Unis, néo-fascistes européens et nord-américains qui affichent leur soutien à Israël − confondu encore une fois avec l’ensemble des Juifs − pour mieux faire oublier le vieux fond antisémite, voire néo-nazi, des idéologies d’extrême-droite et rendre leurs discours anti-immigrés et anti-étrangers plus tolérables) que de partisans juifs, et ses opérations d’extermination ne peuvent se dérouler qu’avec la complicité active de la quasi-totalité des gouvernements occidentaux, dont certains − Washington et Berlin − sont des co-auteurs du génocide puisqu’ils fournissent du matériel militaire aux forces d'occupation israéliennes.
Par ailleurs, il faut rappeler que l’opposition au nationalisme ethnique (prônant la séparation entre juifs et non-juifs et la construction d’une nation sur une terre qui aurait appartenu de toute éternité au peuple juif) qu’on appelle sionisme, de même qu’au projet colonial d’effacement de la présence palestinienne et de repeuplement de la Palestine qui en découle, est apparue précisément dans le monde juif, tant dans les milieux laïques que religieux (une vision aussi tenace que grossière de l’antisionisme juif consiste à l’associer uniquement à des mouvements hassidiques comme le Satmar ou, pire, à des groupuscules ultra-orthodoxes comme les Neturei Karta, alors que dans la première moitié du XXe s., l’opposition au sionisme politique réunissait nombre de rabbins du judaïsme réformé, mais aussi l’ensemble des Juifs communistes et des socialistes du Bund). Et plus largement, comme le dit très justement Simone Zimmermann, cofondatrice d’IfNotNow, une organisation dont l’ambition est de représenter les Juifs américains qui luttent contre l’occupation militaire et coloniale des Palestiniens : « Il y a toujours eu des Juifs en dissidence vis-à-vis du sionisme. Il y a toujours eu de profonds débats au sujet d’Israël et de la nature de la relation des Juifs du monde entier envers l’Etat [d’Israël]. Et de profonds désaccords au sujet de la politique du gouvernement israélien. L’idée qu’Israël est un Etat d’apartheid est quelque chose dont les Israéliens parlent entre eux. Et à l’étranger, c’est présenté comme un acte de trahison, pour ainsi dire. »