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Billet de blog 28 juin 2025

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Comment estimer le vrai bilan des opérations d'extermination israéliennes ?

Un article de Nir Hasson publié le 26 juin dans HAARETZ permet d'y voir plus clair. Le journaliste israélien se base essentiellement sur une étude menée par le Pr. Michael Spagat, un spécialiste mondialement reconnu de la mortalité dans les conflits armés.

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Sur les plus de 55 000 Gazaouis tués en 20 mois par l'armée israélienne − ceux dont les corps ont pu être apportés et identifiés dans les hôpitaux −, près de 1 000 sont des enfants de moins d'un an. Un recueil de 1 227 pages révélé au public le 23 juin dernier donne l'identité exacte de 17 121 enfants. Comme le confirme cet article de Haaretz, ces chiffres du ministère de la Santé "du Hamas" sont bien en deçà de la réalité, d'abord parce qu'ils ne prennent en compte ni les corps restés sous les décombres, ni les personnes "volatilisées" dans les explosions, ni les morts inhumés sans être passés au préalable par les morgues des hôpitaux. Deux études citées par le journaliste israélien Nir Hasson ont montré que le bilan réel des décès dus à des lésions traumatiques est supérieur de 40 % : l'une couvre la période octobre 2023 - juin 2024 et a été publiée en janvier dernier dans la revue médicale britannique The Lancet ; l'autre étude, conduite par le Pr. Michael Spagat, un spécialiste mondialement reconnu de la mortalité dans les conflits armés, couvre une période plus étendue, jusqu'en janvier 2025, et vient tout juste de sortir.

La seconde étude traite de la question des morts "indirectes" dues à la malnutrition, à la déshydratation, au froid ou encore aux maladies qui n'ont pu être traitées par des hôpitaux submergés de blessés, assiégés, bombardés et à court de fournitures médicales (bloquées par l’occupant). Elle a établi le chiffre de 8 540 morts "non-violentes" au cours des 15 premiers mois de la prétendue riposte au 7-Octobre, donc un bilan très en-deçà des diverses estimations produites auparavant par des chercheurs et des médecins : ce nombre relativement faible serait lié aux structures familiales très solides qui caractérisent la société palestinienne de Gaza, lesquelles ont pu atténuer l’impact de la famine et du dénuement extrême, ou encore à la mobilisation sur le terrain des agences de l'ONU et des organisations humanitaires internationales, malgré le blocage de la plus grande partie de l'aide par les forces d’occupation. Mais le Pr. Spagat fait l'hypothèse d'une augmentation inéluctable du ratio morts non-violentes/morts violentes au cours des six derniers mois : « Toutes ces protections, souligne Spagat, n'ont été efficaces que durant [la première année de la guerre]. Au cours du dernier semestre, il est apparu clairement que la population de Gaza était de plus en plus incapable de se protéger contre la surmortalité. D'une part, le déplacement de 90 % des habitants de la bande de Gaza et l'effondrement du système de santé ont entraîné une baisse du taux de vaccination. D’autre part, l'exposition au froid, à la chaleur, aux accidents, à la promiscuité et aux maladies dans les camps de tentes où vit désormais la majorité des habitants de Gaza les a rendus de plus en plus vulnérables. La pénurie alimentaire et la neutralisation d'une grande partie de l'activité de l'ONU à Gaza, causées par le siège total de 78 jours [du 2 mars au 19 mai], puis par le siège partiel qui dure maintenant depuis plus d'un mois, entraînent une carence en vitamines, minéraux et protéines affectant le système immunitaire des Gazaouis. La destruction continue des hôpitaux et du reste des infrastructures médicales de la bande de Gaza s'est considérablement accrue depuis la reprise des hostilités [le 18 mars, après deux mois de cessez-le-feu]. La conclusion que l’on peut tirer est qu'il est très probable que Gaza continue de connaître des vagues de surmortalité dans un avenir proche. »

Au bout de 21 mois de "guerre", le bilan des morts directes et "indirectes" serait donc de l'ordre de 100 000. Pour obtenir un bilan exclusivement civil, on ne peut en aucun cas soustraire à ces 100 000 morts le chiffre de 20 000 "terroristes" tués régulièrement cité par les porte-parole de l'armée israélienne. Celui-ci ne fait sens que dans la propagande de guerre israélienne. Il est pour le moins erroné, et ce pour trois raisons : si l’on applique le ratio de deux combattants blessés pour un tué, cela signifierait que les organisations militaires palestiniennes auraient déjà perdu 60 000 combattants, alors même qu'elles n'ont jamais aligné un tel nombre de miliciens valides ; les forces d'occupation comptabilisent comme "terroristes" tous les fonctionnaires civils qui travaillent pour le gouvernement "du Hamas" ; comme l’a bien montrée une enquête du journaliste israélien Yaniv Kubovich, tous les civils abattus − systématiquement − par les soldats israéliens dans les "zones tampons" (appelées aussi "kill zones" ou "no-go zones") sont présentés a posteriori comme des combattants éliminés.

C’est désormais une certitude, bien soulignée par Nir Hasson : « Bien que le nombre total de victimes de guerre en Syrie, en Ukraine et au Soudan soit plus élevé dans chacun des cas, Gaza semble en première position au niveau du ratio combattants/non-combattants tués, de même qu’au niveau du taux de mortalité par rapport à la taille de la population. » Par ailleurs, en raison de la proportion de femmes et d’enfants tués, laquelle est de 56 %, la dernière "guerre contre le Hamas" est un cas unique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : d'après l'étude conduite par le Pr. Spagat, les guerres civiles en Syrie et au Soudan ont été moins meurtrières, en chiffres relatifs, pour les femmes et les enfants (respectivement 20 % et 23 %).

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