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Billet de blog 1 décembre 2024

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Un fossé sépare les "pro-palestinens" d'Israël des "pro-israéliens" d'Occident

Au sein du monde juif, on peut constater l'opposition croissante entre deux types de discours ou de positionnement idéologique vis-à-vis de l'Etat israélien. Ce clivage tend à se renforcer dans le contexte du siège génocidaire de Gaza, qualifié par des journalistes occidentaux prétendument impartiaux de "riposte au 7-Octobre" ou de "guerre Israël-Hamas".

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- D'un côté, on trouve une minorité, bien présente et agissante, de citoyens juifs israéliens [1] qui critiquent ouvertement leur Etat pour sa "politique" d'annexion rampante et de nettoyage ethnique dans les territoires dits palestiniens, ou bien qui s’opposent frontalement au sionisme politique, un ethno-nationalisme dont l'un des aspects fondamentaux est la négation du droit à l’existence (ou au minimum du droit à l'autodétermination : les sionistes, qu’ils soient de gauche, de droite, fascistes ou religieux, voient dans la moindre parcelle de souveraineté accordée aux Palestiniens une remise en cause du caractère exclusivement juif de leur ethnocratie) du peuple palestinien sur ses terres ancestrales − plus de 7 millions d’hommes et de femmes (sans compter les millions de réfugiés perpétuels qui n’ont jamais pu exercer leur droit au retour en Palestine après l’épuration ethnique de 1948) jugés indignes des droits reconnus aux Juifs sur la "terre d'Israël". Démanteler le régime d'apartheid qui accorde aux colons des droits infiniment supérieurs à ceux des autochtones sur des terres illégalement occupées (les territoires conquis au-delà de la "ligne verte", la ligne de cessez-le-feu établie en 1949 à l'issue de la première guerre israélo-arabe) et qui réduit la vie des Palestiniens à une existence misérable sous la terreur des agents et bénéficiaires de cette occupation, et transformer de l'intérieur l'Etat israélien pour en faire un Etat de tous ses citoyens (les 2 millions d''Arabes israéliens" subissent depuis 1948 un traitement discriminatoire, en droit comme en pratique [2]) : voilà ce que veulent ces Juifs israéliens, qui font le lien entre leur propre sécurité et la réparation de l'injustice historique commise envers le peuple palestinien dépossédé, assujetti et visé par des violences systématiques depuis 76 ans ; cette minorité reste incontestablement attachée à son pays tout en formulant le voeu de construire un avenir en commun avec les Palestiniens dans une Palestine libérée de l'occupation militaire et coloniale.


- De l'autre côté, on a des Occidentaux qui se définissent comme Juifs et tiennent de ce fait à exprimer, sans aucune réserve, leur soutien à un Etat d'apartheid − considéré par les sionistes comme l'unique représentant du monde juif, voire l'incarnation du peuple juif − dont la nature génocidaire se révèle chaque jour un peu plus à nos yeux depuis le 7-Octobre. A l'intérieur de ce groupe des partisans actifs de l’Etat sioniste vivant à l'extérieur de ses frontières, il y a ceux qui nous parlent du "droit (sacré et illimité) d'Israël à se défendre"... sur des territoires qu’il occupe pourtant de façon totalement illégale selon de multiples résolutions de l'ONU et selon l'avis juridique rendu le 19 juillet dernier par la Cour internationale de Justice. [3] A l’émission C ce Soir (diffusée sur France 5) du lundi 25 novembre [4], l'avocat Olivier Pardo est allé encore plus loin en fustigeant la « criminalisation du droit d'Israël à se défendre » après la délivrance des mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale visant Netanyahou et son ancien ministre de la Défense (Yoav Gallant, qui, le 9 octobre 2023, désigna les Gazaouis comme des « animaux humains » ; la même expression fut employée 80 ans plus tôt par Heinrich Himmler pour désigner les « Untermenschen » slaves [5]), poursuivis comme co-auteurs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité à Gaza. Les mêmes défenseurs inconditionnels d’Israël instrumentalisent la mémoire juive de façon honteuse, voire abjecte, pour rendre imperméable à toute critique cet Etat ethnique né d'un crime (l'expulsion par les milices sionistes de 80 à 90 % de la population autochtone du territoire qui est devenu celui d'Israël) et qui se perpétue par le crime (la violation systématique des principes de distinction, de précaution et de proportionnalité, la torture généralisée de milliers de "prisonniers de sécurité" et "combattants illégaux" raflés à Gaza ou arrêtés arbitrairement en Cisjordanie, l'apartheid qui est considéré en droit international comme un crime contre l’humanité, l'utilisation de la famine comme arme de guerre...). L'avocat susmentionné a fourni une parfaite illustration de cette convocation injustifiable de la mémoire juive en accusant l'historien Vincent Lemire de préférer voir les Juifs − assimilés aux Israéliens − en « pyjama rayé » plutôt qu'en « militaires » se battant « pour leur survie ». Invité sur le même plateau deux semaines plus tôt pour débattre des violences survenues dans la capitale néerlandaise à l'occasion du match Maccabi Tel Aviv-Ajax Amsterdam (7 novembre 2024), le journaliste à France Inter Claude Askolovitch a établi une comparaison entre la critique de l’Etat d'Israël, perçue comme nécessairement haineuse et illégitime, et le passage à l’acte antisémite de type pogrom : « Ce qui rend antisémite, ou la marque de l’antisémitisme, de la critique d’Israël ou de la détestation d’Israël, c’est que par une longue histoire (...), avec les Juifs on se gêne moins. Le corps d’un Juif peut être plus profané qu’un autre, on l’a vu avec le Hamas le 7 octobre 2023, on l’avait vu avec Ilan Halimi (...). Et donc de ce point de vue-là, aussi détestable que puisse être la politique de l’Etat israélien, aussi horrible que puisse être le sort du peuple palestinien, et singulièrement le sort de la population bombardée à Gaza, quand on s’en prend non pas à des hooligans mais à des pères de famille, des gens qui rentraient à leur hôtel, des gens qui avaient juste un maillot d’un club de football, quand on s’en prend à eux en les humiliant, en les jetant à l’eau, en leur faisant abjurer, là il y a quelque-chose qui, effectivement, dans la perception [des Juifs], vient de loin, vient du Moyen-Âge, vient de l’habitude qu’on a de moins se gêner avec les Juifs. Pour autant, il y aurait la paix au Proche-Orient, ça irait beaucoup mieux. Mais là, il y a un léger petit quelque-chose qui fait qu’effectivement, la haine, la détestation, la critique, la réprobation de l’Etat d’Israël, va un petit plus loin que ce qu’on s’autorise avec d’autres Etats éminemment répréhensibles. » [6] Les marques de solidarité de Claude Askolovitch vis-à-vis du peuple palestinien s'accordent mal avec sa tentative de criminaliser la moindre critique un peu trop radicale − du point de vue du journaliste − de l'Etat-nation qui est à l'origine même de la tragédie palestinienne.


[1] Exemples de dissidents israéliens, d’après un reportage de Blast (https://www.blast-info.fr/articles/2024/quand-des-juifs-israeliens-sengagent-pour-les-palestiniens-portraits-croises-dune-minorite-invisibilisee-QGTKyxcTQVy8baqE6U4_RA) :

- « Doron Ben David, 29 ans, estime qu'un seul État Palestinien, basé sur l'égalité et la liberté sans distinction raciale ou religieuse, sans apartheid, sans point de contrôle, est la seule solution viable. "Lorsqu’en manifestation je scande Free Palestine, cela n'implique pas l'expulsion des Juifs, mais la liberté pour tous." »

- « Ofer, 26 ans, se dit rassuré de bénéficier d’une exemption lui permettant de ne pas participer aux activités de Tsahal pour des raisons de santé. "Même si j'étais apte, j’aurais catégoriquement refusé de participer au génocide en cours à Gaza." »

- Yaffa Schuster, 57 ans : « La Nakba de 1948 et l’occupation des territoires en 1967 doivent être reconnues comme des crimes, et il est essentiel de mettre en place des comités d’écoute et de réconciliation. »

- Tali Betan, 58 ans : « Le minimum que l'on puisse faire est de ne pas participer à cette barbarie, et je suis fière que [mes enfants} n'aient pas eu à le faire. Certes le 7 octobre a été épouvantable mais il y a aussi des terroristes côté israélien. Ceux qui rejettent la paix et tuent des civils palestiniens tous les jours. Israël est le seul en position de force pour mettre fin à toutes ces souffrances. »

- « Ruth, 17 ans, emporte ce soir-là un dessin orné de pastèques, emblème de soutien aux Palestiniens qu’elle a crayonné de ses propres mains. "Mes parents sont déçus de mes convictions, mais je suis sûre de moi : je suis du bon côté de l’histoire. Lorsque j’aurai des enfants, je serai fière de leur dire que j’étais engagée contre le génocide à Gaza." Au lycée, elle n’a plus d’amis depuis que des photos d’elle, prises lors de ces rassemblements, ont circulé. (...) À l'approche du baccalauréat, la lycéenne semble indifférente à l'idée d'une carrière professionnelle. Elle songe simplement à devenir activiste à temps plein pour contrer les colons qui fomentent des séditions et des projets d’agressions contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée. "Dans deux semaines je serai majeure et je n’attends que ça, de m’investir pour eux. Une fois ma mission achevée j'espère rejoindre l’Europe. Il n'y a aucun avenir en Israël tant que le respect des droits fondamentaux des Palestiniens est bafoué." »


Autres exemples, rapportés par le journaliste Oren Ziv dans le webzine israélien indépendant +972 : il s'agit cette fois de plusieurs jeunes Israéliens qui ont refusé au cours des derniers mois, pour des raisons politiques bien affichées, de faire leur service militaire :

- Yuval Moav : « Si vous me demandez pourquoi je refuse [le service militaire obligatoire] aujourd’hui, la réponse est, en fin de compte, que je refuse de participer au génocide [des Palestiniens de Gaza]. (...) Tout d’abord, je le fais par solidarité avec le peuple palestinien et dans l’espoir de faire entendre la voix des personnes dans la société israélienne qui attendent le jour où nous pourrons construire un avenir commun [avec les Palestiniens]. » (https://www.972mag.com/israeli-army-refuseniks-moav-mueller-greenberg/)

- Oryan Mueller : « Je ne sais pas quel genre de bouleversement culturel il faudrait pour qu’ils [les Israéliens] commencent à voir des témoignages provenant de Gaza dans les actualités israéliennes (...). Si vous pouvez en parler, vous devez le faire : au sujet de l’ampleur de la destruction et de la mortalité à Gaza, de l’oppression [des Palestiniens], et de la profondeur des racines de l’apartheid en Cisjordanie. Il y a une limite au nombre de [vidéos d’enfants] sans bras que vous pouvez regarder jusqu’à ce que vous réalisiez que quelque chose ne va pas. » (https://www.972mag.com/israeli-army-refuseniks-moav-mueller-greenberg/)


[2] Interdiction de tout retour pour ceux qui ont été "déplacés" en 1948, ségrégation dans le domaine foncier pour que la majorité juive puisse conserver le contrôle de la terre, liberté d'expression et de manifestation systématiquement entravée... Après le 7-Octobre, pour avoir exprimé publiquement − lors de manifestations ou sur les réseaux sociaux − leur solidarité avec les Gazaouis exterminés par les forces d'occupation, des centaines de Palestiniens d'Israël ont été arrêtés, placés sous surveillance ou incarcérés, dans certains cas sous le régime de la détention administrative (sans inculpation ni procès, par période indéfiniment reconductible) normalement "réservé" aux Palestiniens des territoires occupés (https://www.monde-diplomatique.fr/2024/09/BONZON/67474) ; et comme de nombreux sujets palestiniens de l'Etat occupant, certains des "Arabes israéliens" emprisonnés ont subi la torture : c'est ce qu'a rapporté l'organisation B’Tselem dans son enquête sur le réseau de camps de torture destinés aux milliers de détenus palestiniens dont le statut de "prisonniers de sécurité" ou de "combattants illégaux" autorise tous les abus et sévices (https://www.btselem.org/sites/default/files/publications/202408_welcome_to_hell_eng.pdf).


[3] https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/186/186-20240719-pre-01-00-fr.pdf


[4] https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/saison-5/6668597-netanyahou-un-mandat-d-arret-historique.html


[5] Discours prononcé à Posen le 4 octobre 1943 : https://clio-texte.clionautes.org/racisme-selon-himmler.html


[6] https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/saison-5/6632120-israel-gaza-le-piege-de-l-importation.html#section-about : à partir de 42 :57

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