Le 24 mars dernier, le gouvernement Netanyahou a disqualifié la sociologue franco-israélienne Eva Illouz, laquelle devait recevoir le Prix Israël, soit la distinction la plus prestigieuse décernée par l’Etat d’Israël dans différents domaines de la culture et des sciences. Le ministre israélien de l'Education lui a retiré le prix en raison de son "idéologie anti-israélienne" : Netanyahou et consorts n'ont pas apprécié le fait qu'elle ait signé en 2021 une pétition appelant la Cour pénale internationale à enquêter sur de possibles crimes de guerre commis par les soldats israéliens en Cisjordanie. En réponse à ce déshonneur, et d'une manière particulièrement éclatante, Eva Illouz s'est défendue de toute déloyauté envers Israël, sa politique génocidaire et sa propagande qui accompagne les pires crimes de guerre jamais commis depuis le début du XXIe s. : « Depuis 18 mois, je consacre mon énergie à écrire pour la presse internationale, soucieuse de défendre Israël. Dans les pages des journaux les plus prestigieux d'Espagne, de France et d'Allemagne, je n'ai cessé d'expliquer que le Hamas est une organisation terroriste, qu'Israël a le droit de riposter à une invasion terrestre de son territoire, que l'antisionisme est une forme d'antisémitisme et que les accusations de génocide contre Israël ne sont que la continuation de ce même discours antisémite. » [1] Malgré son soutien affiché aux « civils palestiniens innocents » qui font l'objet d'un « traitement inhumain » [2], la célèbre sociologue ne serait finalement rien d'autre qu'« une porte-voix fidèle de la propagande israélienne la plus droitière », pour reprendre les termes de la journaliste arabe israélienne Hanin Majadli. [3]
Avant cet épisode, Eva Illouz a été l’une des principales promotrices du sionisme libéral (ou "de gauche") en France, et plus largement en Europe. Elle fait partie des premiers signataires d'une tribune, publiée le 1er mars dans Le Monde, qui assimile la critique d'Israël ou du projet sioniste à une posture antisémite. Le texte a été signé par des dizaines d’autres personnalités qui se définissent comme "Français juifs de gauche", dont d'éminents historiens. [4] La principale préoccupation d’Eva Illouz n’est pas la tragédie du peuple palestinien, mais la préservation de l'image internationale et de la façade démocratique d'Israël, quitte à qualifier d'antisémitisme ou de complaisance envers le Hamas toute opinion antisioniste (réduite à un appel au démantèlement de "l'Etat des Juifs"), toute condamnation d'Israël comme Etat d'apartheid impliqué dans un génocide (« L’idée que les Juifs menacent le monde est profondément ancrée dans la culture occidentale, si profondément en fait que cette catégorisation est automatiquement évoquée lorsque l’État israélien enfreint parfois la loi, comme le font de nombreux États à travers le monde »), voire toute manifestation de solidarité avec les Palestiniens (le slogan "Palestine libre" est considéré par Eva Illouz comme un appel à l'élimination d'Israël, voire à l'anéantissement des Juifs vivant en Israël, alors que l’injonction à libérer la Palestine semble légitime dans le contexte d’une occupation militaire et coloniale entièrement illicite d'après la Cour Internationale de Justice). [5] Malgré le génocide qui se déroule en direct à Gaza depuis 18 mois, les sionistes libéraux comme Eva Illouz persistent dans leur aveuglement volontaire au sujet de la nature d'Israël. Dans Haaretz, Hanin Majadli a parfaitement analysé leur positionnement : « Après tout, Illouz aurait pu accéder à la gloire et à la célébrité instantanées en refusant tout prix décerné par un État qui a tué des dizaines de milliers de Gazaouis. Elle aurait dû refuser d'être un rouage de la machine à blanchir un pays qui a tué plus de 200 enfants en une seule nuit [la nuit du 17 au 18 mars 2025, durant laquelle Israël a rompu le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier et repris ses opérations génocidaires]. Au lieu de cela, elle a fait ce que font aujourd'hui tous ceux qui se revendiquent de la gauche sioniste : elle a regardé Israël à travers un voile d'illusions, ignorant la réalité brutale qu'il a créée. Combien de temps encore ces gens jugeront-ils Israël à l'aune de ses "bonnes intentions", lesquelles, d'une manière ou d'une autre, se soldent par une tragédie sanglante pour un autre peuple ? » [6]