Aurélien Van Wy (avatar)

Aurélien Van Wy

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 novembre 2024

Aurélien Van Wy (avatar)

Aurélien Van Wy

Abonné·e de Mediapart

Le match de la honte a bien eu lieu

Le match de football France-Israël (organisé dans la cadre de la Ligue des nations de l’UEFA, édition 2024-2025) aurait dû être annulé pour des raisons encore plus évidentes que celles invoquées contre la présence de la Russie aux compétitions internationales.

Aurélien Van Wy (avatar)

Aurélien Van Wy

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce match de la honte a été une occasion de plus pour la Macronie et la droite de faire la preuve de leur soutien infaillible à un Etat d'apartheid dont les actions génocidaires sont perpétrées depuis 13 mois avec la complicité active (couverture diplomatique, assistance financière, livraisons d’armes, maintien des liens économiques et des relations commerciales...) de la plupart des gouvernements occidentaux, dont le nôtre ; de lier la lutte contre l'antisémitisme à la défense de la légitimité d'un Etat qui sème la terreur, la mort et la destruction, du Liban pilonné et envahi jusqu'au ghetto de Gaza en voie de liquidation, en passant par la Cisjordanie illégalement occupée où les colons suprémacistes contribuent activement, par des actes terroristes quotidiens dans les villages et hameaux palestiniens, au nettoyage ethnique de la "Judée-Samarie" ; d'associer − comme si cela allait de soi − les 500 000 Français juifs (aux opinions nécessairement très diverses, y compris au sujet d'Israël) à cette même entité prétendument représentative du monde juif et du judaïsme. Un Etat né d'un projet colonial de dépossession et d'extirpation des habitants autochtones de la "terre d'Israël". Un Etat qui a instauré une ségrégation brutale entre, d'un côté, des citoyens-colons bénéficiant de tous leurs droits et de la protection d'une armée d'occupation, et de l'autre, un peuple indésirable privé de ses droits fondamentaux et vivant sous un système d'oppression généralisée destiné à le pousser à l’exil ou à briser toute résistance − y compris et surtout pacifique − de sa part.

Un Etat qui peut toujours, à l’heure d’aujourd’hui, bénéficier de la protection et de l’assistance totales de ses parrains occidentaux, malgré la perpétration, par ses "forces de défense", de crimes internationaux dont l'ampleur exceptionnelle vient d'être rappelée devant le Conseil de Sécurité par une haute responsable de l'ONU [1]. Par ailleurs, deux rapports consécutifs d’une commission d’enquête internationale indépendante créée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont constaté la perpétration de crimes contre l’humanité à Gaza : rendu en juin et portant sur la période octobre-décembre 2023, le premier rapport a démontré en particulier que « les éléments constitutifs du crime contre l’humanité étaient réunis, à savoir des attaques généralisées ou systématiques dirigées contre la population civile de Gaza », ou encore que les « crimes contre l’humanité d’extermination, de persécution fondée sur le genre à l’encontre d’hommes et de garçons palestiniens, de transfert forcé et d’actes de torture » avaient été commis dans le cadre de cette prétendue guerre d’"auto-défense" [2] ; rendu en septembre, le second rapport se focalise notamment sur la destruction délibérée du système de santé de l’enclave assiégée (par le siège, le bombardement, l’assaut et l’évacuation forcée des hôpitaux ; le meurtre ou la détention de centaines de membres du personnel soignant ; la rupture organisée des approvisionnements en électricité, carburant et fournitures médicales), une destruction qualifiée elle aussi de « crime contre l’humanité d’extermination ». [3] Enfin, dans un rapport couvrant la période d’octobre 2023 à juillet 2024, un comité spécial créé en 1968 − peu après le début de l’occupation des territoires dits palestiniens − par une résolution de l’Assemblée générale de l’ONU estime que « les politiques et les pratiques israéliennes » mises en œuvre dans la bande de Gaza présentent « les éléments caractéristiques d’un génocide ». [4] Auparavant, deux historiens israéliens spécialistes de la Shoah et des génocides, Omer Bartov (Université Brown, Etats-Unis) [5] et Amos Goldberg (Université hébraïque de Jérusalem) [6], avaient parlé sans détour d'actes génocidaires, donc commis dans l'intention de détruire physiquement et mentalement une partie du peuple palestinien, et d'éliminer toute possibilité pour les 2 millions de Gazaouis de se reconstruire en tant que société.

[1] Joyce Msuya, sous-secrétaire générale aux affaires humanitaires, le 12 novembre à New York : « Nous avons condamné la mort, la destruction et la déshumanisation des civils de Gaza qui ont été chassés de chez eux, privés de leur sentiment d’appartenance et de leur dignité, contraints de voir les membres de leur famille tués, brûlés et enterrés vivants. Les mots “enfant blessé, pas de famille survivante” ont été écrits sur les bras d’enfants gravement atteints. (...) Nous sommes témoins d’actes qui rappellent les crimes internationaux les plus graves. M. le Président, la dernière offensive qu’Israël a lancée dans le Nord de Gaza le mois dernier représente une version intensifiée, extrême et accélérée des horreurs de l’année écoulée. (...) »

[2] https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g24/086/65/pdf/g2408665.pdf

[3] https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/262/80/pdf/n2426280.pdf. L’article 97 de ce rapport vient étayer la qualification de génocide : « La destruction délibérée des établissements de soins de santé sexuelle et procréative (...) cause des atteintes et des souffrances physiques et mentales immédiates aux femmes et aux jeunes filles et aura des effets irréversibles à long terme sur la santé mentale et les perspectives de reproduction et de fécondité du peuple palestinien en tant que groupe. » En effet, d'après la Convention de 1948, les « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe [ciblé] » font partie des cinq actes constitutifs du crime de génocide, si elles sont prises dans l'intention de détruire ce groupe humain, en tout ou en partie (https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/convention-prevention-and-punishment-crime-genocide).

[4] https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n24/271/20/pdf/n2427120.pdf

[5] Omer Bartov, dans un article de The Guardian daté du 13 août 2024, traduit en français dans la revue en ligne Orient XXI (https://orientxxi.info/magazine/un-historien-du-genocide-face-a-israel,7577) : « Certes, l’opinion publique israélienne s’est depuis longtemps accoutumée à l’occupation brutale pratiquée par l’État juif pendant 57 des 76 années de son existence. Mais l’ampleur des crimes perpétrés actuellement à Gaza par l’armée israélienne est sans précédent, tout comme l’indifférence totale de la plupart des citoyens d’Israël à l’égard des actes commis en leur nom. (...) Lors de mon séjour en Israël [en juin 2024], j’avais fini par me convaincre que, depuis au moins l’offensive contre Rafah le 6 mai 2024, il n’était plus possible de nier qu’Israël s’était rendu coupable de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’actions génocidaires systématiques. Cette attaque contre le dernier refuge de la population gazaouie − dont la plupart des membres avaient déjà été déplacés à plusieurs reprises par l’armée israélienne, qui les parquait de nouveau dans une soi-disant zone de sécurité − témoignait non seulement d’un mépris total pour les normes humanitaires, mais trahissait aussi l’objectif ultime d’Israël depuis le tout début du conflit : rendre l’entièreté de la bande de Gaza inhabitable et réduire sa population à tel état d’impuissance qu’elle se verrait vouée à l’extinction ou chercherait par tous les moyens à fuir ce territoire ravagé. Autrement dit, la rhétorique des dirigeants israéliens depuis le 7 octobre s’incarnait désormais dans la réalité ; comme l’explicite la convention des Nations unies sur le génocide de 1948, Israël agissait "dans l’intention de détruire, en tout ou en partie", la population palestinienne de Gaza "en tant que collectivité, en la massacrant, en lui infligeant de graves dommages ou en lui imposant des conditions d’existence visant à entraîner sa destruction". »

[6] En avril 2024, Amos Goldberg avait publié un article en hébreu intitulé « Oui, c’est un génocide » dans le webzine israélien Siha Mekomit (Appel Local). Il a été interviewé en octobre dernier par Le Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/29/amos-goldberg-historien-israelien-ce-qui-se-passe-a-gaza-est-un-genocide-car-gaza-n-existe-plus_6364702_3232.html) : « Une rhétorique génocidaire est apparue et a dominé dans les médias, l’opinion publique et la sphère politique. (...) Le niveau et le rythme de tueries indiscriminées touchant un nombre énorme de personnes innocentes, y compris dans des lieux définis par Israël comme des zones sûres, la destruction de maisons, d’infrastructures, de presque tous les hôpitaux et universités, les déplacements de masse, la famine organisée, l’écrasement des élites et la déshumanisation étendue des Palestiniens dessinent l’image globale d’un génocide. Donc, nous avons la destruction, l’intention et un modèle récurrent d’extrême violence contre les civils. Nous ne savons toujours pas ce que la CIJ décidera dans le dossier porté par l’Afrique du Sud contre Israël, mais si nous lisons Raphael Lemkin [1900-1959], le juriste juif polonais qui a forgé le terme et fut l’initiateur principal de l’instauration de la convention sur le génocide, c’est exactement ce qu’il avait en tête lorsqu’il parlait de génocide. »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.