Aurélien Van Wy (avatar)

Aurélien Van Wy

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 décembre 2024

Aurélien Van Wy (avatar)

Aurélien Van Wy

Abonné·e de Mediapart

Quand des membres de Tsahal admettent qu'ils tirent presque toujours sur des civils

Quand des soldats et officiers israéliens reconnaissent que les Forces de défense d'Israël tirent le plus souvent sur des civils, dont des mineurs, ensuite présentés comme des "terroristes" et comptabilisés dans les "pertes du Hamas". Une enquête de Yaniv Kubovich pour le quotidien israélien « Haaretz » (18 décembre 2024).

Aurélien Van Wy (avatar)

Aurélien Van Wy

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette ligne n’apparaît sur aucune carte et n’existe dans aucun ordre militaire officiel. Même si les hauts responsables des Forces de défense israéliennes nient son existence, au cœur de la bande de Gaza, au nord du corridor de Netzarim, rien n’est plus réel.

« Les forces sur le terrain appellent cela la "ligne des cadavres" », a déclaré à Haaretz un commandant de la division 252. « Après les tirs, les corps ne sont pas ramassés, ce qui attire des meutes de chiens qui viennent les manger. À Gaza, les gens savent que partout où vous voyez ces chiens, c'est là qu'il ne faut pas aller. »

Le corridor de Netzarim, une bande de terre de sept kilomètres de large, s'étend du kibboutz Be'eri jusqu'à la côte méditerranéenne. L'armée israélienne a vidé cette zone de ses habitants palestiniens et démoli leurs maisons pour construire des routes et des positions militaires.

Si l'entrée des Palestiniens y est officiellement interdite, la réalité est plus brutale qu'une simple zone d'exclusion. « C'est une forme de blanchiment militaire », explique un officier supérieur de la Division 252, qui a participé à trois rotations des forces de réserve à Gaza. « Le commandant de la division a désigné cet espace comme une "zone mortelle". Quiconque y entre est abattu. »

Un officier de la Division 252 récemment démobilisé décrit le caractère arbitraire de cette frontière : « Pour la division, la zone mortelle s'étend aussi loin que le regard d'un sniper peut voir. » Mais le problème dépasse la géographie. « Nous tuons des civils qui sont ensuite comptés comme des terroristes », explique-t-il. « Les annonces du porte-parole de Tsahal sur le nombre de pertes [de l'ennemi] ont tourné à la compétition entre unités. Si la Division 99 tue 150 [personnes], l'unité suivante vise 200. »

Ces récits de meurtres indiscriminés et la classification systématique des victimes civiles comme terroristes sont apparus à plusieurs reprises dans les conversations de Haaretz avec des vétérans revenus récemment de Gaza.

« Se présenter comme l’armée la plus morale du monde absout les soldats qui savent exactement ce qu’ils font », déclare un commandant de réserve de haut rang récemment revenu du corridor de Netzarim. « Cela revient à ignorer que depuis plus d’un an, nous opérons dans un espace sans loi où la vie humaine n’a aucune valeur. Oui, nous, commandants et combattants, participons aux atrocités qui se déroulent à Gaza. Chacun doit désormais faire face à cette réalité. »

Si cet officier ne regrette pas sa mobilisation après le 7-Octobre (« nous avons mené une guerre juste »), il insiste sur le fait que l'opinion publique israélienne mérite d'avoir une vision complète de la situation. « Les gens doivent savoir à quoi ressemble vraiment cette guerre, quels actes graves commettent certains commandants et combattants à Gaza. Ils doivent être au courant des scènes inhumaines dont nous sommes témoins. » (...)

« L’ordre était clair : "Quiconque traverse le pont pour accéder au corridor [de Netzarim] reçoit une balle dans la tête" », se souvient un combattant vétéran de la division 252.

« Une fois, les gardes ont repéré quelqu'un qui s'approchait depuis le sud. Nous avons réagi comme s'il s'agissait d'un raid de militants de grande envergure. Nous avons pris position et ouvert le feu. Je parle de dizaines de balles, peut-être plus. Pendant une minute ou deux, nous avons continué à tirer sur le corps. Les gens autour de moi tiraient et riaient. »

Mais l'incident ne s'est pas arrêté là. « Nous nous sommes approchés du corps couvert de sang, l'avons photographié et avons pris le téléphone. C'était juste un garçon, peut-être âgé de 16 ans. » Un officier des services de renseignements a récupéré les objets et, quelques heures plus tard, les combattants ont appris que le garçon n'était pas un membre du Hamas, mais juste un civil.

« Ce soir-là, notre commandant de bataillon nous a félicités d’avoir tué un terroriste, en espérant que nous en tuerions dix autres demain », ajoute le combattant. « Quand quelqu’un a fait remarquer qu’il n’était pas armé et qu’il ressemblait à un civil, tout le monde l’a hué. Le commandant a dit : "Quiconque franchit la ligne est un terroriste, il n'y a pas d'exception, pas de civils. Tous sont des terroristes". » Cela m’a profondément troublé – c'est donc pour ça que j’ai quitté ma maison et me suis retrouvé à dormir dans un bâtiment infesté de souris ? Pour tirer sur des personnes désarmées ? »

Des incidents similaires continuent de se produire. Un officier du commandement de la division 252 se souvient du jour où le porte-parole de Tsahal a annoncé que ses forces avaient tué plus de 200 militants. « La procédure standard consiste à photographier les corps et à recueillir des détails lorsque cela est possible, puis à envoyer des preuves aux services de renseignement pour vérifier le statut de militant ou au moins confirmer qu'ils ont été tués par Tsahal », explique-t-il. « Sur ces 200 tués, seuls dix ont été confirmés comme étant des membres connus du Hamas. Pourtant, personne n'a remis en question l'annonce au public de la mort de centaines de militants. »

Un autre combattant raconte avoir vu quatre individus non armés marcher normalement, repérés par un drone de surveillance. Bien qu'ils ne ressemblaient en rien à des militants, un char s'est avancé et a ouvert le feu avec sa mitrailleuse. « Des centaines de balles », se souvient-il. Trois sont morts sur le coup (« cette vision me hante », dit-il), tandis que le quatrième a survécu et a levé les mains en signe de reddition.

« Nous l'avons mis dans une cage installée près de notre position, nous lui avons enlevé ses vêtements et nous l'avons laissé là », raconte le soldat. « Les soldats qui passaient par là lui crachaient dessus. C'était dégoûtant. Finalement, un interrogateur militaire est arrivé, l'a interrogé brièvement en lui tenant un pistolet sur la tempe, puis a ordonné sa libération. » L'homme essayait simplement de rejoindre ses oncles dans le Nord de Gaza . « Plus tard, les officiers nous ont félicités d'avoir tué des "terroristes". Je ne pouvais pas comprendre ce qu'ils voulaient dire », raconte le combattant.

Au bout d'un jour ou deux, les corps ont été enterrés dans le sable par un bulldozer. « Je ne sais pas si quelqu'un se souvient de leur présence à cet endroit. Les gens ne comprennent pas : ce ne sont pas seulement des Arabes [Palestiniens] qui se font tuer, cela nous tue aussi. Si on me rappelle à Gaza, je ne pense pas que j'irai. »

Lors d'un autre incident, des postes d'observation ont repéré deux personnes marchant vers Wadi Gaza, une zone désignée comme interdite. Un drone a révélé qu'elles portaient un drapeau blanc et marchaient les mains levées. Le commandant adjoint du bataillon a ordonné aux troupes de tirer pour tuer. Lorsqu'un commandant a protesté, montrant le drapeau blanc et suggérant qu'il s'agissait peut-être d'otages , sa décision a été rejetée. « Je ne sais pas ce qu'est un drapeau blanc, tirez pour tuer », a insisté le commandant adjoint, un réserviste de la Brigade 5. Les deux personnes ont fini par rebrousser chemin vers le sud, mais le commandant protestataire a été traité de lâche.

Ces frontières invisibles au nord et au sud du corridor apparaissent fréquemment dans les témoignages. Même les soldats qui ont occupé les positions d'embuscade disent qu'ils ne savaient pas toujours où ces lignes étaient tracées. « Quiconque s'approche de la ligne qui a été définie à ce moment-là est considéré comme une menace – aucune autorisation n'est nécessaire pour tirer. »

Cette méthode ne se limite pas à la Division 252. Un réserviste de la Division 99 raconte avoir vu un flux d'images de drone montrant un adulte et deux enfants franchir la ligne interdite. Ils marchaient sans armes, semblant chercher quelque chose. « Nous les avions sous surveillance totale avec le drone et les armes pointées sur eux – ils ne pouvaient rien faire », dit-il. « Soudain, nous avons entendu une énorme explosion. Un hélicoptère de combat avait tiré un missile sur eux. Qui pense qu’il est légitime de tirer un missile sur des enfants ? Et avec un hélicoptère ? C’est le mal absolu. » (...)

[https://www.haaretz.com/israel-news/2024-12-18/ty-article-magazine/.premium/idf-soldiers-expose-arbitrary-killings-and-rampant-lawlessness-in-gazas-netzarim-corridor/00000193-da7f-de86-a9f3-fefff2e50000?lts=1734788992809]

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.