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Billet de blog 1 septembre 2022

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Sous nos draps le silence

Alors que l’Espagne vient d’adopter la loi du « solo si es si » (seul le oui est un oui), faisant entrer en droit la notion de consentement enthousiaste, il est grand temps d’ouvrir les yeux sur les violences que subissent de nombreuses femmes, à l’abri de nos regards. Attention : ce texte rapporte des faits de violences sexuelles et de dépôt de plainte.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Hier, j’ai déposé plainte. Je me suis rendue au commissariat de police le plus proche la boule au ventre et le sourire au coin de la bouche. « Tu vois j’en suis capable. Je le fais. Dans ta gueule. »

Après une heure d’attente assise sur une chaise étroite à regarder déambuler les brigades toutes bien pressées d'entamer leur pause méridienne, la gendarme est enfin venue me chercher. « On est entre filles, soit à l’aise ». Étonnement je l’étais. Moi mes violences et mon audace, on avait déjà bien pensé la chose. J’avais fait un signalement en ligne pour faciliter le dépôt de plainte. On ne m’avait pas recontactée. J’y suis allée quand même.

Les questions se sont enchaînées toujours dans une bienveillance que je n’aurais jamais soupçonnée. Quand on est féministe on sait malheureusement à quoi s’attendre. On connait les stats, les récits et nos droits. On a presque les répliques en tête, « au cas où on tomberait sur l’un d’eux ».

Après deux bonnes heures à creuser la tombe d’une relation de quatre ans de violences, la gendarme me fait remarquer que ce qui est compliqué, c’est que les dates sont floues. Que ce qui est compliqué, c’est qu’il y en a beaucoup. Que je n’ai pas dit non verbalement. Que parfois je n’ai pas bougé, je n’ai pas réagi. Que ce qui est compliqué, c’est que mon cas ne correspond pas à l’image du bon viol, celui qui est daté dans le temps et qui laisse des traces de bleus.

A vrai dire mon cas n’a rien de singulier. Nous sommes nombreuses à subir ou avoir subi des violences sexuelles dans le cadre d’une relation de couple. Plus de deux femmes sur dix âgées de moins de 25 ans déclarent avoir subi des violences de la part de leur partenaire ou ex-partenaire.

Le mouvement #MeToo a tout bouleversé. Mais pas le privé. Le #MeToo des petites gens peine encore à avoir lieu car au fond personne ne nous écoute. Car on ne réalise pas ou trop tard. Car ces violences-là s’installent souvent sur un lit de violences psychologiques et d’emprise rendant impossible la lucidité de la victime. Quand on en parle on gêne. On touche à quelque chose qu’il ne fallait pas effleurer. On met du désordre dans des bandes de potes. On secoue un équilibre. On passe instantanément pour une folle hystérique avide de vengeance. 

Je crois que nous sommes très nombreuses à subir ou avoir subi des pressions de la part de notre partenaire ou ex-partenaire pour avoir des rapports sexuels. A avoir subi des pratiques imposées. A avoir cédé. A n’avoir pas su ou pu dire non parce que nous n’en étions pas capables. Par effet de sidération, de blocage, de peur, d’emprise. Nous sommes beaucoup à ne pas pouvoir crier non. Et à subir quand même. On laisse trop souvent croire aux adolescentes que le contrôle et la domination sont la normalité dans les relations de couple. Qu’il faut savoir se forcer pour ne pas perdre l’autre. Foutaise. Appelez ça zone grise. Je persiste et signe : c’est du viol.

Le consentement ne peut être qu’enthousiaste. « Solo si es si ». L’Espagne l’a enfin acté. Il est tout à fait réducteur de croire que le non-respect du consentement d’autrui se cantonne à la contrainte, la force, la violence ou la surprise. Céder n’est pas et ne sera jamais consentir. J'espère que nos parlementaires auront le courage de se saisir de cette question et de faire avancer le droit en la matière.

Je sais pertinemment que mon dossier sera classé. Ils le sont toujours. Je n’ai aucun espoir là-dessus. Mais ce n’est pas parce que la justice française ne fonctionne pas pour ce qui concerne les violences sexuelles que nous devons déserter. Je ne suis pas responsable des dysfonctionnements de la Justice. Lui n’avait pas le droit de faire ça. Déposer plainte, en revanche, c’est mon droit. C’est aussi notre droit que de refuser de le faire. Vu ce que coutent les démarches, cela se comprend plus que de raison. Nous ne sommes pas toutes en mesure de déposer plainte. J’en avais la volonté et c’était le bon moment.

Puisse ce geste ouvrir la porte à mon échelle à toutes celles qui comme moi subissent ou ont subi dans le silence des chaumières la violence de leur partenaire et auraient peur de le faire. Car la violence n’apparait pas que brutalement sur des parkings, elle s'impose aussi insidieusement sous nos draps.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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