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Billet de blog 15 octobre 2022

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Cinq ans plus tard, moi aussi

Deux mots, un nouveau monde. #MeToo a été une révolution autant qu’une révélation, c’est vrai, mais pas partout ni pour tout le monde. Lorsque #MeToo a éclaté il y a cinq ans, je n’ai pas parlé. C’est désormais chose faite. Plus que jamais, la lutte continue. TW : mention de violences sexuelles et psychologiques

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Je ne sais pas si je suis légitime à en parler. Tous ces encravatés sur les plateaux télés se posent bien moins la question. Je tâcherai d’avoir la même confiance. Je ne sais pas si je suis légitime à en parler parce que lorsque #MeToo a éclaté sur les réseaux sociaux il y a cinq ans, je n’ai pas parlé. Je n’y ai pas participé : j’ai regardé, j’ai constaté, j’ai vu. 

J’ai tout vu sauf mes propres violences. J’ai cru toutes les victimes, j’ai trouvé ça si beau, mais je ne me suis pas vue. Cela faisait un an que j’étais dans ma première relation sérieuse. Je n’y voyais que du feu. Six ans après le début de cette relation, deux ans après la rupture, la vie suit son court. Les séances de psy se succèdent. Les crises d’estime et d’anxiété aussi. Quand on est victime de violences, notre temporalité est différente. Les autres ne comprennent pas toujours. Ils comprennent rarement.

Et puis on est en colère. Enfin je sais pas vous mais moi je le suis. Je le suis quand je vois le retour de bâton qu’on se prend en pleine gueule pour avoir osé parler un peu.  Pour avoir osé se prévenir. S’épauler. Pour avoir osé dire « il ne faut jamais violer ». Moi qui pensais que c’était acquis. #MeToo, à la tienne.

Il y a depuis cinq ans bien quelque chose qui a profondément changé : il n’est plus vraiment acceptable de ne pas se dire féministe. Beaucoup de femmes se reconnaissent désormais dans ce cri de ralliement. J’en fais partie, #MeToo, en fait, j’ai grandi avec. Rosa Luxemburg disait : « ceux qui ne bougent pas ne remarquent pas leurs chaines ». Je crois que nous sommes de plus en plus nombreuses à les remarquer et à les refuser.

Les dominants commencent quant à eux à saisir ce qu’ils risquent à frontalement s’opposer. Certains le font quand même, bienheureux et fiers de participer au backlash réactionnaire. Je leur dis mon mépris et quelque part ma pitié, ils ne méritent qu’une boîte de mouchoirs.

Deux mots, un nouveau monde. #MeToo a été une révolution autant qu’une révélation, c’est vrai mais pas partout, ni pour tout le monde. Ne nous leurrons pas. Ça a été une révolution et il y en a eu d’autres, du #MeTooPolitique à la #RelèveFéministe, et il en faudra encore. On continuera. On hurlera, oui, on desservira notre cause. Marrant comme ceux qui se plaignent que nous la desservions sont bien souvent ceux qui n’ont jamais rien fait pour elle.

Cinq ans après #MeToo, un masculiniste antiféministe misogyne LGBTQIAphobe handiphobe raciste accusé de viol était candidat à la présidentielle.

Cinq ans après #MeToo, un homme accusé de viol est toujours ministre de l’Intérieur.

Cinq ans après #MeToo, un député reconnaît publiquement avoir giflé sa compagne, et sa franchise et son courage sont salués par plusieurs de ses pairs.

Quand j’entends sur France Inter affirmer de sang-froid qu’il y a une différence entre déposer plainte 1 an et 10 ans après les faits, je ne peux pas m’empêcher de penser : quel niveau d’inculture totale en la matière faut-il avoir pour méconnaître à ce point le vécu d’une victime ?

Quand j’entends clamer dans l’hémicycle que la voie judiciaire est la seule permettant aux femmes victimes de mettre un terme à leur souffrance, j’hallucine. Comment peut-on à ce point ignorer la réalité ?

Si ça n’était pas déjà clair, ça l’est aujourd’hui sérieusement : nous, victimes et féministes ne pouvons compter que sur nous. Pour les autres, les violences sont une rubrique, un volet programmatique. Pour nous une tout autre chose. C’est notre histoire, notre vécu, nos démons, notre bataille. C’est le combat viscéral que l’on porte dans notre chair malgré nous et à la fois si passionnément car plus jamais on se le jure on ne permettra qu’une de nos sœurs subisse cela. Parce qu’on l’a vécu, on sait.

Vous ne supportez pas qu’on parle, on ne supporte plus vos violences et votre mépris. On continuera. Pire encore : on se croira. On le fait déjà. Oui on se parle, on se prévient, on s’écoute, on se croit. Parce que si on ne le fait pas qui le fait.

Femmes, libérez votre parole, mais ne dérangez pas. Parlez mesdames, mais ne touchez à rien. Racontez ce que vous voulez, mais ne nous demandez pas de changer.

Ils sont féministes et supportent nos combats tant que ça ne touche que nous. Dès lors que nos actions, nos discours, nos idées s’attaquent à leurs privilèges et aux racines du système de domination masculine dont ils jouissent tant, ils paniquent. Chers antiféministes, je vais vous dire une chose : vous ne nous faites pas peur. Vous ne représentez rien. On a survécu à pire que vous. L’amour et le soutien que nous avons en nous et entre nous est tellement fort. Tellement plus fort. On est tellement plus fortes que vous.

Alors voilà je rattrape le hashtag en marche, sans vouloir faire de mauvaise allusion à ceux qui depuis cinq ans n’ont pas fait grand-chose pour nous, je fais mon #MeToo cinq ans plus tard. Merci les féministes de me permettre cela. J’avais déjà commencé à le faire il y a un mois dans un billet précédent à la suite de mon dépôt de plainte. Quitte à sortir les bougies autant souffler fort. Les choses sont ce qu’elles sont : j’ai été victime de violences sexuelles et psychologiques de la part de mon premier copain durant quatre ans. Moi aussi je suis victime, moi aussi je suis féministe et moi non plus je ne veux plus de ce système. Notre colère et notre détermination restent intactes. La lutte continue.

Victimes, nous n’êtes pas seules. Féministes, vous n’êtes pas isolées. On est là, on est ensemble, on vous croit.

J’espère pouvoir rédiger dans cinq ans un billet saluant la libération de l’écoute des victimes et la fin de l’impunité des agresseurs, la mise sur la table du milliard demandé par les associations, la refonte de notre système judiciaire et la redéfinition pénale du viol.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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