Trois ans après le plan national de lutte contre l’endométriose, voici à présent le plan national de lutte contre l’infertilité. On reprochait au plan de lutte contre l’endométriose de ne pas proposer de mesures pour les employeurs, et le vote du 15 février (sur le projet de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail) enfonce le clou.
Pour rappel, l’endométriose est une maladie touchant 10% des femmes en âge de procréer et elle est responsable de 40% des cas d’infertilité. Les symptômes, d’une grande violence, sont un réel handicap dans la vie des femmes. Ils peuvent les paralyser de douleur pendant leurs règles, leur ovulation, ou pendant les rapports sexuels. Ou causer de sérieux problèmes digestifs, des carences, une fatigue colossale - entre autres dizaines de problèmes de santé. Cette maladie est longtemps passé inaperçue, car il était considéré comme normal d’avoir mal pendant ces règles - alors que non.
Les femmes atteintes ont été historiquement décrédibilisées, et donc négligées médicalement, mais aussi par leurs employeurs.
Au-delà même de faire souffrir l’enfer aux femmes atteintes, et de les empêcher de vivre, les symptômes mettent en danger leur situation économique et financière. Je prends l’exemple de Sarah, jeune femme de 28 ans, qui lors de l’aggravation soudaine des symptômes de son endométriose, s’est retrouvée dans l’incapacité de se nourrir correctement, de marcher, de penser avec lucidité deux semaines sur quatre, passant les deux autres semaines à récupérer.
En tant que cadre, elle avait à charge le management de son équipe, toute la gestion de son organisation et ses projets. Comment, comment peut-on gérer tout ça avec l’esprit embrumé par la douleur, les carences et les anémies à répétition ?
Comment peut-on même s’attendre à ce que Sarah en ait quoi que ce soit à faire des petits problèmes - à la con - de son équipe ou de l’entreprise ? Evidemment, elle a demandé du télétravail, on lui a refusé, elle a demandé des arrêts-maladies à son médecin, qui ne l’a pas cru. Evidemment qu’elle a essayé de ralentir le rythme et de respecter ses horaires pour prendre soin d’elle, et on le lui a reproché.
Le directeur, son N+1, est un homme de près de 60 ans, qui sans être méchant est de l’ancienne école, celle qui ne parle pas de « ce genre de choses ». Et puis il y a beaucoup de travail, on n’a pas que ça à faire à être malade. La pression est grande, et Sarah vise une augmentation conséquente pour compenser tout l’argent qu’elle investi dans le diagnostic de sa maladie, dans l’adaptation de son alimentation et dans toutes les consultations de spécialistes qui l’aident à survivre. Ce n’est pas le moment de dire qu’on est malade, ce n’est pas le moment de montrer de la faiblesse. Si on ne le remarque pas dans son travail, c’est le principal. En plus, c’est un truc très personnel, elle ne va pas parler de sa santé utérine au boulot.
Admettre que ça ne va pas à cause de problèmes de femmes donne le sentiment aux femmes d’anéantir un siècle de combat féministe. On a le sentiment d’admettre qu’en effet, les femmes sont faibles par nature. Pour beaucoup, quand on revendique l’égalité des genres au travail , cela passe nécessairement par l’effacement des genres, et donc faire oublier au monde qu’on est une femme.
Comme Alice, qui n’a pas osé parler de sa fausse-couche, et qui s’est pris réflexions sur réflexions pendant des jours, parce qu’elle était « négligente, à côté de ses pompes et peu investie ». Elle m’explique : « la fausse-couche c’est un échec, ça te donne le sentiment que tu n’es pas assez forte pour porter un bébé, alors que t’es censée être faite pour ça. J’ai pas envie qu’on pense que je ne suis pas assez forte pour porter un bébé, un projet, que je ne suis pas responsable et qu’on m’associe à l’échec ». Triste monde dans lequel une femme traversant un deuil ne peut trouver le soutient des gens qu’elle côtoie le plus.
Aujourd’hui, la loi prévoie deux jours d’arrêt-maladie pour une fausse-couche, mais toujours rien pour les douleurs liées à une autre pathologie féminine.
Pour Alice, l’évènement est ponctuel mais les effets s’étirent dans le temps, et pour Sarah, c’est un mal quotidien. Sans même parler de pathologies lourdes ou de tristes événements, qu’en est-il des femmes aux règles douloureuses ? Le Sénat vient de voter contre la mise en place de congés spécifiques pour les règles douloureuses, craignant « une discrimination à l’embauche ».
Le reflet parfait des politiques de ces dernières années : au lieu de prendre un sujet à bras-le-corps et de changer le fonctionnement d’un système défectueux, on crée des lois et des conditions qui forcent les citoyens et citoyennes à se tordre dans tous les sens pour survivre. Et je parle bien de survie, car vivre impliquerait une forme de confort, et on en est loin. Ainsi, au lieu d’aider les entreprises à intégrer la femme dans son fonctionnement, dimension omise lors de la création, on se dit que les employeurs sont juste trop bêtes et arriérés pour ne pas discriminer les femmes. On lâche l’affaire, en somme.
Quant aux salariées, quelles solutions ont-elles ? Sans aménagement du temps de travail, Sarah aimerait démissionner, mais à quoi bon ? Démissionner, c’est se retrouver sans chômage et vivre sur ses économies bien entamées, sans garantie qu’elle puisse un jour retourner travailler, car il n'existe pas de traitement curatif de l’endométriose à ce jour. Poser un arrêt-maladie ? Si tant est que son médecin finisse par reconnaitre sa détresse, en acceptant de recevoir qu’une partie de son salaire, alors que ses économies fondent à vue d’oeil, et toujours sans garantie d’être capable à terme, de supporter une journée de travail classique.
Ainsi, de nombreuses femmes ont fait une demande Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), ou ont demandé que leur endométriose soit reconnue comme Affection Longue Durée (ALD), ce qui obligera les employeurs à aménager leur temps de travail.
Mais combien de temps doivent-elles attendre ?
Sur Instagram, Amélie explique dans un commentaire que cela fait trois ans qu’elle attend sa RQTH. De son côté, après avoir monté un dossier béton avec plusieurs spécialistes, Aurélie a réussi à être "reconnue ALD" - mais après 20 ans de douleurs d’endométriose.
Comment vit-on en attendant ? Même en arrêt maladie, le stress est important, car c’est un temps mort dans sa carrière, un temps de paralysie totale. L’impression de prendre du retard sur les autres, l’impression que de toute façon aucun employeur n’acceptera jamais de nous reprendre avec de l’endométriose, ou que notre incapacité à procréer finira bien par se voir. Et ça encore aujourd’hui, c’est la honte au travail.
Pourtant, des mesures simples pourraient être prises pour garder ses femmes à leur poste ou dans leur entreprise. Dans le cas de Sarah, son entreprise aurait pu:
- Etre attentive à la santé de ses salariés,
- Lui proposer du télétravail pour les jours où physiquement, elle n’était pas assez forte, mais était assez lucide pour travailler à distance,
- L’encourager, sans culpabiliser, à poser ses congés et ses RTT plutôt que de lui payer,
- Arrêter de mettre des réunions après 17h,
- Arrêter de négocier avec elle quand elle pose des jours au dernier moment, comme pour l’en dissuader,
- Ne plus l’appeler en dehors des heures de travail,
- Ne pas lui reprocher ses absences à cause des rendez-vous médicaux,
- Rendre la charge de travail économiquement juste : c’est déjà dur pour un individu en bonne santé de faire le travail de deux personnes alors, pour les femmes atteintes d’endométriose, ce n’est juste pas faisable.
- Alléger les process : la charge mentale est telle quand on est malade, qu’une énième réunion, note ou mail à envoyer, qui alourdit encore les process, peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase,
- Et bien évidemment, la laisser tranquille le jour où la nature a voulu qu’elle saigne pour entrer dans un nouveau cycle de fertilité.
A noter que toutes ces mesures participent, à la base, au bien-être en entreprise de tous les salariés, tout genre, et tout âge confondus. Le cas des femmes et des hommes dont la santé est touchée ne fait que souligner l’urgence de créer des cultures d’entreprise qui prennent soin de la santé de leurs salarié·es.
En déployant de vraies mesures au niveau de l’entreprise, le plan national de lutte contre l’endométriose ou de lutte contre l’infertilité seraient intégrés dans le quotidien des hommes est des femmes, et ne resterait pas une vague action de l’Etat. J’aime bien voir Emmanuel Macron se plaindre du faible taux de natalité, alors même que dans son pays, notre pays, les femmes n’ont pas légalement le droit d’être considérées comme des femmes. Des femmes qui grâce à une machinerie bien huilée, maintiennent des corps capables de donner la vie, quand toutes les conditions sont réunies. Bien qu’en 2024, ni le processus ni les conditions ne soient légalement protégés.