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Billet de blog 19 mai 2020

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La solidarité en action ou quand une valeur n'est plus qu'un slogan publicitaire

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Monsieur le Directeur,

Aujourd'hui j'ai eu un entretien téléphonique avec mon avocate à propos du dénigrement dont j'ai été injustement victime et du non respect du cadre de la procédure de recrutement. Elle m'a informé que je ne disposais d'aucun moyen me permettant de vous contraindre à me révéler la source de l'information que vous avez illégalement obtenue à mon sujet, remettant en cause ma capacité à travailler en équipe. Ce dont, je dois bien l'avouer, j'avais déjà bien conscience. Je ne peux donc ni contacter cet ancien employeur ni le contraindre par un quelconque moyen de cesser d'agir ainsi et de nuire à ma recherche d'emploi. En ce qui concerne le fait que vous ayez enfreint certaines dispositions du Code du travail réglementant la procédure de recrutement, j'aurais la possibilité de saisir le Conseil de prud'hommes avec l'espoir d'obtenir une indemnisation pouvant se chiffrer entre 1000€ et 1500€. Ce qui ne couvrirait même pas les honoraires payés à mon avocate, si toutefois j'obtenais gain de cause. Cependant mon but n'est aucunement lucratif. Le fait de saisir le Conseil des prud'hommes me permettrait éventuellement de faire reconnaître le fait que vous ayez enfreint la loi et d'obtenir cette maigre compensation financière qui serait aussi le prix d'achat de ma résignation et de mon silence. Mais vous ne seriez aucunement contraint de cesser d'agir comme vous l'avez fait avec moi. Vous pourrez toujours impunément, malhonnêtement, déloyalement et librement continuer à enfreindre la loi lors de vos prochains recrutements.Qu'il est beau le système dans lequel nous vivons et qui permet aux employeurs d'enfreindre la loi sans craindre, ou si peu, d'être inquiétés! Qu'il est encourageant pour des chômeurs en fin de droit tel que moi de savoir que la loi s'achète, qu'acheter sa défense c'est prendre le risque de se retrouver dans une situation encore plus précaire! Qu'il est rassurant ce marché du travail au sein duquel un ancien employeur peut à sa guise compromettre le retour à l'emploi d'un chômeur en le dénigrant en tenant des propos en contradiction avec toutes les lettres de recommandation! Quelle belle image vous donnez du domaine de l'éducation populaire! Vous me méprisez en négligeant les conséquences sociale, financière et psychologique de votre attitude envers moi. Vous bafouez les valeurs de l'éducation populaire. Vous êtes indignes d'occuper de telles fonctions. Je vous rappelle le slogan de l'association: La solidarité en action. Je vous invite à lire et relire cette phrase du communiqué de presse informant de l'investiture de la nouvelle Présidente de la fédération générale: Son ambition est bien de renforcer la mise en œuvre du 5ème projet fédéral « Agir pour une société Solidaire et Inclusive » à travers la promotion de l’exercice par chacun de ses droits pour une citoyenneté active, écologique et socialeVous reniez certains de mes droits et vous vous opposez au fait que je vous demande de les respecter. Vous êtes loin, très loin de mettre en oeuvre ce 5ème projet fédéral en justifiant l'usage d'une pratique illégale parce que vous l'avez vous-mêmes subie alors que vous devriez la combattre. Vous êtes en opposition avec le projet fédéral lorsque vous me dites que cela ne vous choque absolument pas qu'un employeur ne respecte pas le cadre légal d'une procédure de recrutement et que de surcroît vous ajoutez que ce cadre légal ne sert à rien. Vous allez même jusqu'à assumer le fait de ne pas avoir respecté le Code du travail lorsque vous me dites: « Le fait de vous le dire (de me dire quel est l'employeur qui m'a dénigré), ça changera quoi ? On n'aura toujours pas respecté la loi. » Effectivement, mais si vous acceptez enfin de me révéler votre source vous commencerez à être en accord avec les valeurs de l'association. 

Sur la page d'accueil de l'association est inscrite le slogan La solidarité en action, puis une série de nombres à propos du réseau de la fédération générale : le nombre d'unions régionales, d'associations départementales, le nombre de salariés, d'adultes et d'enfants adhérents, le nombre d'enfants, d'adolescents, d'adultes accompagnés chaque année, le nombre de millions d'euros versés pour des actions de solidarités et le nombre des produits d'exploitation. Voici ce à quoi vous réduisez l'éducation populaire, à une série de nombres, à une quantification des personnes, à une mise en avant de produits d'exploitation exprimés en centaines de millions d'euros. Q'une entreprise se présente ainsi, cela paraîtrait normal. Mais vous dirigez une association d'éducation populaire! Vous devriez y rajouter le nombre d'emplois précaires dans le secteur associatif, le nombre d'employés qui ont saisi le Conseil des prud'hommes, le nombre d'arrêts maladie d'éducateurs-trices et d'animateurs-trices dus à la maltraitance et au harcèlement moral au travail, le nombre d'heures supplémentaires non rémunérées, le nombre d'emplois aidés (CAE, CUI) dont les exigences de formation ne sont pas respectées, le nombre d'éducateurs-trices et d'animateurs-trices qui aiment leur métier mais qui le quittent écœuré-e-s comme je le suis par ce secteur associatif à la dérive devenu un marché soumis au règles du néo-libéralisme.

Si je saisis le Conseil de prud'hommes ce sera seul ou accompagné par un syndicat. Mais je commence à me résoudre à consacrer mon énergie à une reconversion professionnelle et à m'investir avec d'autres éducateurs-trices et animateurs-trices à trouver un moyen de dénoncer et combattre efficacement toutes ces pratiques ineptes qui peu à peu détruisent le secteur associatif et nos valeurs humanistes. Je ne peux me résoudre à accepter que vous puissiez continuer à enfreindre impunément le droit du travail. Cela fait maintenant 20 ans que je travaille dans l'éducation populaire, en situation de précarité permanente, avec un salaire à peine plus élevé que le SMIC. Et lorsque je souhaite, malgré toutes les désillusions que j'ai pu subir, m'investir encore dans un métier qui me passionne, dans lequel je me sens utile, en accord avec mes valeurs et celles de l'association, pour lequel je bénéficie de toutes les compétences requises et de la reconnaissance de mes pairs, on invalide mes candidatures sur la base d'un écho négatif à mon sujet ou l'on me dit que je présente un profil "surdimensionné" par rapport à l'emploi auquel je postule. Vous êtes directeur de cette association depuis 4 ans, vous êtes en CDI, vous n'avez jamais eu à subir les affres de la précarité, vous ne connaissez pas la réalité du terrain, vous vous présentez en bienfaiteur en me disant que vous avez "offert" des CDI à des animateurs qui étaient en CDD depuis des années, vous considérez les directeurs-trices des centres comme votre propriété en utilisant le terme "mes" directeurs-trices. Avant d'être directeur d'association vous avez été dirigeant d'une entreprise. J'ignore ce qui vous a amené à faire le choix d'être directeur général d'une association d'éducation populaire et j'ai du mal à comprendre ce qui a pu amené le conseil d'administration de l'association à vous recruter plutôt qu'une personne d'expérience issue du secteur associatif. Mais ce choix est représentatif de ce que devient le secteur associatif ainsi que celui des services publics. Des gestionnaires sont recrutés pour les diriger, pour mettre au pas tous ces employés dont les valeurs vont à l'encontre des objectifs de rentabilité. Vous n'êtes pas acteurs d'une solidarité en action. Vous êtes des agents zélés du néo-libéralisme. Non, je n'ai pas le sens de la nuance dans ces circonstances. Je ne nuancerai pas mes propos face à la violence de vos attitudes méprisantes, de vos méthodes de gestion des "ressources humaines" inhumaines, considérant le salarié comme une valeur d'ajustement dans un bilan comptable. Vous n'avez aucune légitimité à occuper un tel emploi. Je n'ai pas eu un écho négatif quant à votre capacité à diriger une association d'éducation populaire. J'ai subi concrètement votre mépris, votre absence d'empathie, votre ignorance du Code du travail, votre mépris de mes droits, votre capacité à manipuler certaines employées de l'association pour vous absoudre de toutes vos fautes. Ce n'est pas un écho, ce sont des faits avérés. Des faits qui devraient amener votre employeur à considérer que vous n'êtes pas digne de porter les valeurs de l'éducation populaire et que vous n'avez pas les capacités à diriger cette association. Et ne venez pas me dire que je vous dénigre ou que je vous insulte! Non, contrairement à vous je vous révèle la source des vérités ci-dessus exposées: c'est vous-même, votre attitude, votre discours, vos méthodes. Je suis loyal, honnête. J'ai conscience que je me mets peut-être en danger en m'exposant à des représailles que vous seriez capables de fomenter avec les services d'un avocat dont vous avez, contrairement à moi, les moyens de payer les honoraires. 

Suivront bientôt une tribune rédigée à plusieurs mains et signée par des travailleurs sociaux (éducateurs-trice-s, animateurs-trice-s, assistant-e-s sociaux-iales, ...) ainsi que leurs témoignages. Travailleurs qui comme moi ont la volonté de faire émerger un réel débat sur l'avenir de l'éducation populaire, sur l'utilité sociale indéniable de ces métiers trop négligés et dévalorisés, sur l'introduction néfaste aux relations humaines de techniques de "management" issues du secteur entrepreneurial, sur la marchandisation de notre secteur d'activité au même titre que celui des services publics. J'espère aussi pouvoir faire porter ce débat jusqu'à l'Assemblée Nationale par un-e député-e qui aura conscience de l'impérieuse nécessité de faire prendre conscience à nos gouvernants que les travailleurs du secteur social sont des éléments indispensables, mais si mal rémunérés, de la colonne vertébrale de notre société, exerçant leur métiers par conviction, pour défendre des valeurs de solidarité alors que, par exemple, les publicitaires ne sont que des éléments superflus à l'utilité sociale insignifiante et bénéficiant pourtant de rémunérations tellement élevées qu'elles en sont insultantes, dont la seule motivation est le salaire et dont nous pourrions aisément nous dispenser sans que cela n'ait aucune conséquence sur l'ordre social et notre bien être. 

Erwann Barbier

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