On y a mis un bar, un groupe électrogène, des barnums, des guirlandes, du gros son, une tireuse, des tables et des bancs, des instruments. Peut-être qu’on a dansé sur notre future ferme. En installant cette belle fête mémorable, on réalise être dans un superbe endroit et qu’il a vocation agricole.
Rien de tel qu’une perspective de terres à louer pour aller de pair avec des réunions de fond.
On appelle les réunions de fond celles qui sont structurantes, anticipées et qui participent à notre organisation collective, là où les autres réunions, que le sujet soit la quête de ferme ou un problème du quotidien se font dans l’urgence, ou du moins dans la réaction. Problème, solution. Problème, solution. Pas le temps de relever la tête du guidon.
« T’as le temps de réfléchir ? Profite, quand verras quand tu seras installée, tu ne pourras plus ». Joie.
Bref, tout ça pour dire, qu’en parallèle de nos réunions de fond sur l’argent, les statuts juridiques, nos valeurs, le territoire etc, nous avons un cas concret auquel réfléchir. Un cas concret qui consiste en un lot de terres groupées, sans bâtiment, en agriculture conventionnelle, dans notre secteur géographique choisi, et dans un cadre à tomber par terre. Est-ce qu’on s’y installe ?
Peut-être qu’il y a plus de manières de réfléchir à la question, mais on en voit deux :
-que faut-il mettre en place sur ce lieu, quels ateliers et de quelle taille pour parvenir à se rémunérer ?
-à partir de nos envies d’ateliers et de rémunérations, ce lieu a t-il la surface et les bâtiments nécessaires ?
Autrement dit, veut-on privilégier le lieu, le coup de cœur et s’adapter à celui-ici pour que l’activité soit vivable OU favoriser notre projet et chercher un lieu correspondant au maximum à nos critères ?
Comme on est des têtes de mule et qu’on ne veut renoncer à rien, on décide d’étudier un scénario hybride : à partir de nos productions de cœur, dimensionnées pour ce lieu, est-ce qu’on peut en vivre ?
Dans ce cas, on part de la surface disponible ( donc le nombre d’hectares), de la qualité des terres aussi (rendement/ha) pour calculer le nombre d’animaux que l’on peut nourrir ou la quantité de légumes ou céréales que l’on peut produire. Par exemple, pour les animaux, on utilise une unité, l’Unité Gros Bovin ou Bétail (UGB pour les intimes). Pour un UGB (une vache laitière adulte), il faut un hectare pour la nourrir. Avec la même surface, on pourrait nourrir 7 chèvres ou brebis.
Ça nous donne une idée d’un nombre d’animaux (avec leur suite, les petits qui deviendront les animaux en production), donc de la salle de traite nécessaire, la surface de stockage des fourrages, la taille du laboratoire de transformation laitière (dont la taille est calculée par rapport au pic de production de lait) et également, selon si nous voulons élever tout ce petit monde en plein air intégral ou non, nous pourrons calculer la taille de l’aire paillée (la chambre à coucher) des bêtes.
A mes yeux, toute la difficulté de ce projet est de trouver l’équilibre toustes ensemble. On a envie que ce projet aboutisse, plus ou moins vite selon les personnes, et surtout on veut qu’il soit bien pensé, et ça, ça demande du temps consacré à des réunions… de fond ! Mais, si on a un lieu en tête, on glisse lentement mais sûrement vers des réunions opérationnelles, concrètes, et qui, à mon goût, sont plus enthousiasmantes. Au risque donc, de délaisser nos réflexions sur l’humain ou nos statuts pour aller plus vite vers le moment du « faire ».
On sait que le challenge est de taille pour ce lieu, car, bien que magnifique, il est plutôt petit, et il ne sera pas évident de faire un plan d’entreprise (PE pour les intimes) viable. Un plan d’entreprise, c’est un document demandé notamment par la chambre d’agriculture dans le cadre des installations aidées qui présente la partie technique de l’exploitation, son prévisionnel sur 4-5 ans et sa vivabilité.
Les installations aidées peuvent être demandées par les porteur.ses de projet de moins de 40 ans, ayant la capacité agricole (un diplôme agricole, une validation d’acquis d’expérience ou une expérience suffisante, suivie d’une Projet Professionnel Personnalisé validé par le préfet du département d’installation) et dont le prévisionnel économique montre qu’iels peuvent se prélever l’équivalent d’un SMIC au bout de quatre ans d’activités. Il y a encore quelques années, si cet objectif n’était pas atteint, les installé.es devaient rendre l’argent (pour de vrai, contrairement à certains...), mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Pour en revenir à nos moutons, on pressent que la surface disponible sur ce lieu va être limite pour produire autant de SMIC qu’il y a de personnes dans le collectif, mais on tente. Car pour l’instant, dans notre équilibre, réfléchir à ce lieu bien concret nous aide à nous lancer dans ces intenses bouillonnements de cerveaux, dans nos réunions de fond alors si floues qu’on ne savait pas bien par où commencer.