Comment trouver en moi la sagesse que d’autres semblent avoir si facilement ? Prendre le temps, réfléchir, se tester, profiter.
Prendre le temps.
Pourquoi je veux tout maintenant ? Ne puis-je pas voir ce que j’ai et qui me convient ? Un groupe soudé de gens déterminés qui réfléchit à l’installation. Un boulot cool sur une ferme où je me sens bien avec un employeur amical. Une nouvelle expérience de salariat agricole. Et même un animal à bichonner.
Mais je meurs d’envie d’être installée, d’être chez moi, au milieu des autres bêtes. Je veux que nos progrès soient visibles, sentir du bout des doigts le stylo pour signer les baux et remplir le planning de pâturage.
Je crois que je dois accepter pourtant. Le processus d’installation prend du temps. Cependant, cette frustration a quelque chose de positif. Elle me guide aussi. Elle me met encore plus en mouvement, surtout pour garder le rythme régulier des réunions, des visites, des réflexions. Et mine de rien, ma frustration guide aussi le reste du collectif. Si je change, si je transforme mon impatience en sagesse, est ce qu’on respectera notre rythme de groupe (inévitablement lent donc), voire est-ce qu’on s’arrêtera d’avancer? Ou à l’opposé, est-ce que l’on avancera plus efficacement ? Le dynamisme d’un collectif est le miroir des membres qui le composent. Je me dévoue si fort à ce projet que je ne me rends peut-être pas compte que je ne suis pas le moteur que je voudrais être. Selon les jours, je peux tirer le groupe vers le haut, mais il est bien possible que la machine frustrée que je suis soit contre-productive… Finalement, cette frustration n'est peut-être en rien positive.
Plusieurs étapes se trouvent ou se trouvaient entre nous et une future installation : (Attention, cette liste est non exhaustive.)
La formation technique, l’acquisition d’expérience, la définition de son projet et de ses besoins, la recherche de foncier, le chiffrage, le plan d’investissement, une étude de marché pour les projets en circuit court, la validation du parcours du Plan de Professionnalisation Personnalisé (3P pour les intimes) pour celleux qui veulent accéder à une installation aidée, l’instruction du dossier de Dotation Jeune Agriculteur (la fameuse DJA), une promesse bancaire, le compromis de vente, des autorisations d’exploiter pour les terres auprès de de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer, la signature des baux avec les propriétaires terriens, l’inscription au guichet unique des entreprises, et pourquoi pas une demande de permis de construire, une conversion à l’agriculture biologique.
Les personnes les plus rapides que je connaisse ont pu réaliser toutes les tâches de ce paragraphe en deux ans. Pour nous, ce sera plus long. Et quelques charmantes personnes sur nos routes n’hésitent pas à nous dire que ce sera TRÈS long. Car en tant que NIMA (Non Issu.e du Milieu Agricole), on a moins d’expérience que les enfants de paysan.nes, alors l’installation, il faut plutôt l’envisager dans cinq ans mademoiselle. Avec un.e partenaire ayant un contrat en CDI ce serait mieux (la banque sera ravie). Avec un homme dans le projet aussi tant qu’on y est parce que ce serait plus rassurant et moins compliqué. Et monsieur le conseiller de la chambre, mon pied au derrière, devinez qui l’auront ?
Alors, je dois trouver une manière de patienter et de profiter de temps libres (il parait que je n’en aurais plus quand je serai installée). Et trouver une manière de prendre confiance dans notre projet.
Une idée folle en forêt. Je vais acheter des camarades à mon animal et vivre une vie d’éleveuse à petite échelle, hors installation, en l’attendant cette sacrée install’,
Expérimenter le stress, d’une nouvelle manière. Le stress de prendre soin d’animaux sous ma responsabilité. Expérimenter le doute et la prise de décision seule pour leur bien et le mien. Voir si j’arrive à dormir en ayant cela sur les épaules. Découvrir si je prends du plaisir à gérer ce petit troupeau. Ou si je dors d’un œil, comme lorsque mon patron part en vacances...
Je suis contente de mon plan mais ça ne m’empêche pas d’avoir peur de mes propres idées. Je me trouve culottée et illégitime d’avoir cette ambition. Mais je ne vois pas le mal à vouloir avancer, faire ce que j’aime. Rien n’est figé. Si je prends quelques animaux, je peux les vendre si je change d’avis. Cela ne me ferait pas plaisir mais c’est envisageable.
Et si je ne m’écoute pas, si je n’essaye pas, je ne saurais pas.
Des animaux de ferme sans ferme. Est-ce que je met la charrue avant les bœufs ? Peut-être mais c’est ce que j’ai trouvé de plus cool à faire pour ne pas manger et dormir en pensant à l’installation qui n’arrive pas encore.
Des animaux de ferme sans ferme, ça va être compliqué. Il va falloir trouver un terrain.