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Billet de blog 15 avril 2019

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A contre-courant du système politique actuel, Claire Nouvian

Elle porte le parti Place Publique avec Raphaël Glucksmann. Figure politique ni chair ni poisson, Claire Nouvian est connue pour ses combats militants pour la protection des océans. Alors que les élections européennes approchent, la défenseuse des fonds marins à l’origine du livre Abysses et de l’association de protection des océans Bloom entend bien partager sa vision du système en place.

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Illustration 1
Claire Nouvian exposant les leviers d’action à développer pour préserver le monde du vivant dans son ensemble. © Axelle Bichon

Vous vous battez depuis près de vingt ans pour protéger les océans, les fonds marins et leurs résidents de la main de l’Homme. Les derniers pronostics des scientifiques concernant le réchauffement climatique et la disparition des espèces vous inquiètent-ils plus qu’avant ?
« Les tendances sont très, très, très, très, très mauvaises. Les experts sont en état de stress pré-traumatique. Quand on sait qu’on va dans le mur, que c’est quantifié et qu’en plus les tendances s’accélèrent, il y a vraiment toutes les raisons d’être dans cet état psychique que je partage (Rire nerveux). D’où le besoin, un, d’agir et deux, d’agir en accélérant sur toutes ces problématiques environnementales et sanitaires. »

De plus en plus de personnes et associations se révoltent face à la pollution de moins en moins invisible. Qu’est-ce que cela vous fait d’entendre autant de voix s’élever pour faire changer le système ?
« Quand le péril croît, les solutions émergent et ça passe par la conscience et celle-ci change. Après, est-ce vraiment suivi des faits ? Pas vraiment au regard des dernières tendances qui sont horribles. Tout augmente, que ce soit la pollution, les perturbateurs endocriniens, le Glyphosate, les pesticides, les émissions de carbone… La conscience a évolué plus vite récemment que les cycles de production donc il faut espérer maintenant qu’il s’agisse de nos consciences, des gens dans la rue, des citoyens, des ONG, des systèmes politiques, que tous poussent dans un même sens pour mettre au pas l’économie et les productions. L’idée étant de répondre à nos impératifs écologistes et sanitaires, c’est
notre santé quand même ( !). »

Selon vous, qu’est-ce qui a entrainé ce déclic récent concernant la préservation de l’environnement ? « C’est une accumulation d’aberrations de notre système révélée grâce au travail remarquable effectué par plein d’ONG, par des citoyens parfois regroupés dans des petites structures et par les journalistes d’investigation. D’avoir les chiffres sur le Glyphosate, le cancer des paysans cumulés à leur précarité économique hallucinante, ces derniers cumulés au rapport du GIAC sur le climat qui indique bien qu’on va droit dans le mur, ajoutés aux sécheresses, aux inondations, à cette précarité généralisée. C’est cet ensemble de travaux d’investigations et scientifiques qui a fini par faire basculer les dominos de la conscience. Reste à agir maintenant. »

Trois ans après l’interdiction du chalutage en eau profonde votée par l’Union Européenne qui marque la première victoire de Bloom, une grande bataille dans la lutte contre la pêche électrique a été remportée en février dernier par Bloom, association que vous avez fondée en 2005 face aux lobbyistes industriels. Une fierté ?
« Une bonne chose de faite. On a gagné le 16 janvier 2018 le vote au Parlement et on a gagné le trilogue le 13 février dernier. Mais c’est terriblement long. Interdite en Europe en 1998, la pêche électrique a été ouverte en 2006 sous forme de dérogations aux pays qui l’utilisent, notamment les Néerlandais (inventeurs de la pêche électrique nldr). Nous nous battons avec Bloom depuis 2016 pour y mettre un terme et c’est seulement en février dernier que nous avons obtenu gain de cause concernant la fin de la pêche électrique qui sera mise en œuvre en 2021. Sur les processus législatifs, c’est à se tirer une balle. Le Parlement européen, c’est un peu House of Cards. »

Les pétitions et associations telles que L214 auraient-elles donc un impact véritable sur les politiques en place ?
« J’adore L214, je suis méga fan. Au-delà des pétitions, son travail d’investigation est incroyable. Sa force est tirée du fait qu’elle agisse de manière infiltrée. A travers ses enquêtes et vidéos, elle nous montre la réalité sordide, inacceptable, inhumaine, brutale des systèmes de productions industrielles de nourriture sur du vivant. Lorsqu’elles sont exceptionnellement bien signées, les pétitions ont un impact dans le sens où elles mettent la pression sur les systèmes politique. Elles amènent également les médias traditionnels à s’intéresser à ces sujets. »

N’y a-t-il pas une méconnaissance du fonctionnement de l’Europe à travers ses institutions ? La cause du désintérêt pour l’Europe et le repli nationaliste seraient-ils dus au manque d’information sur les institutions ?
« Le problème tient de la complexité et de la longueur des processus législatifs. Pour donner un exemple concret : il y avait eu un règlement pour arrêter la découpe d’ailerons de requins – ce qui est complètement fou - l’Europe avait interdit cette pratique mais avait aussi donné des dérogations aux 200 bateaux espagnols et portugais qui font de la découpe d’ailerons de requins. Il y a une béance dans le droit et pour mettre fin à ses dérogations, il a fallu sept ans ! Il en aura fallu huit pour interdire le chalutage profond en Europe. La lutte pour arrêter la pêche électrique a été tout aussi chronophage. Entre temps, il faut tenir en haleine les journalistes qui suivent les votes du Parlement mais pas forcément les groupes techniques du Conseil. »

Mais en fait, c’est tout le système qui est à revoir ? Les médias, la politique…
« Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, on a aussi des médias exceptionnels avec des sujets d’investigations pour lesquels se battent des journalistes attachée à leur mission d’informer. Heureusement qu’on a ce levier. Avec Bloom, on a gagné grâce à eux. Chaque fois que l’on remporte un vote, c’est parce qu’ils ont fait échos à nos données et à nos préoccupations. Après, d’un point de vue politique, je pense que les médias passent trop de temps sur les petites tambouilles. Mon rêve serait qu’une consultation soit lancée sur le renouveau politique après les élections européennes. Ce qui me choque est qu’il est écrit noir sur blanc dans leur code de déontologie que leur mission est de nous protéger. Cela s’appelle l’intérêt général. Les représentants politiques doivent nous mettre à l’abri des intérêts privés qui vont venir influencer la décision publique ; In fine, s’il y avait une mesure à faire passer, ce serait l’indépendance de la justice alliée à la possibilité de sanctionner les différents codes de déontologie. Avec ça, on change tout le système. »

Pourquoi Place Publique alors ?
« La démocratie c’est lent et cette lenteur est à multiplier par 28 d’où l’importance du mandat que l’on donne aux élus. Il y a eu une trahison du mandat donné au PSE et de la gauche en général qui devait faire du social et de l’écologie aussi, au moins de temps en temps (ironie). Maintenant, il faudrait que nos votes (sous-entendu ceux de Place Publique) mettent cet écosystème sous tension. Je crois au pouvoir citoyen. Il y a des solutions locales qui existent qui marchent et qu’il faut que l’on fasse changer d’échelle. (…) L’Europe n’est jamais que le reflet du gouvernement qu’on y envoie. Si on choisit un pays aussi important que la France avec un gouvernement national vraiment ambitieux comme celui de la Suède, notre champion en matière environnementale, à ce moment-là tout pourrait changer. Car on a besoin de la France, au même titre que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou encore le Portugal – les gros blocs européens - pour faire bouger les majorités. Première marche : les Européennes ensuite il adviendra de reconquérir cet espace politique pour qu’il soit à notre image. Car ce qui est décidé à des échelons européens est souvent mis en œuvre au plus près localement. On n’a pas le choix de toute façon non ? Il ne reste pas beaucoup de temps. Place Publique, c’est le lieu où l’on doit essayer d’avoir un rapport à la politique qui est plus sain. Tout le système est à revoir mais ça ne se fera pas en deux minutes mais c’est ça l’enjeu. Il y a urgence à être dans un rapport de service et d’être proche d’un mandat citoyen. Le premier truc à faire est d’avoir un parti sans pervers sexuels, sans prédateurs. »

Axelle BICHON

A lire aussi sur L’Œilleton -> http://loeilleton.fr/?p=698

Plus d'infos : https://www.bloomassociation.org/parlement-enterre-peche-electrique/?fbclid=IwAR32tlc2JhrnfJrFxfjUue4Nv6Y1W3bLF2STQuXtrLe5kSOYv5Ogt26A3OU

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