Aymeric Dlavo (avatar)

Aymeric Dlavo

Écrivain, vidéaste, artiste, ex-prof

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 février 2023

Aymeric Dlavo (avatar)

Aymeric Dlavo

Écrivain, vidéaste, artiste, ex-prof

Abonné·e de Mediapart

La tyrannie à l’école : un exemple

Quand j’étais en quatrième, mes profs ont fait une grève surprise pour faire virer une de leurs collègues. Le dénouement d’une histoire effroyable, qui m’a profondément marqué.

Aymeric Dlavo (avatar)

Aymeric Dlavo

Écrivain, vidéaste, artiste, ex-prof

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Votre attention : ce récit, inspiré assez fort de mes souvenirs, parle de harcèlement, de suicide et d’autres choses sensibles. Sachez que cette histoire se passe dans l’Oise entre 2004 et 2006. Si vous reconnaissez Mme Salamie (nom fictif), je serai ravi d’en parler avec vous. Voici le récit :

Quand j’arrive au collège, les nouvelles vont vite et mes camarades me parlent très rapidement de cette professeure d’anglais. Une petite dame au visage bouffi, au regard perçant, toujours vêtue d’une affreuse veste couleur bordeaux à épaulettes. Nous l’appellerons Mme Salamie. Certains l’ont en classe et apparemment l’ambiance y est horrible.

Ils me racontent qu’ils ont peur, une boule au ventre avant d’aller en cours. Qu’il ne faut faire aucun bruit, ne rien regarder, ne rien aller chercher dans son sac. Les cours selon eux, c’est seulement un texte à recopier dans un silence de mort et des contrôles où la moindre erreur est sanctionnée par des dizaines de lignes à copier et des notes calamiteuses.

J’avoue, je ne les crois pas trop. Certes, je la vois dans les couloirs et, en effet, il y a quelque chose de terrifiant chez cette dame. Clairement, on peut sentir de la crainte dans les yeux de ceux qui la connaissent. Elle porte sans arrêt des dizaines de carnet de liaison sous le bras, preuve de son zèle extrême pour les punitions, et cela lui fait une silhouette difforme ajoutant à son aura terrifiante.

Mais bon, globalement, je me dis que c’est exagéré.

En cinquième, en découvrant la liste des profs, je n’en menais quand-même pas large : je l’avais en anglais. La nouvelle avait suscité une vive protestation dans la classe d’ailleurs, puisque certains l’avaient eu l’année précédente. Dans mon souvenir, une des élèves s’était même mise à pleurer en apprenant ça.

Dès la première heure avec elle, je me rends compte que tout est vrai. Chuchoter en classe : une heure de colle. Mettre ses mains sous la table : une heure de colle. Ne pas avoir de stylo : une heure de colle. Elle n’est pas sévère, elle est tyrannique. Rapidement, les notes et les sanctions injustifiées arrivent par palettes. Quelques parents se plaignent, beaucoup d’élèves aussi, mais rien ne se passe. Étonnamment, la plupart des responsables ne réagit pas.

Les rituels de Mme Salamie se précisent. Un élève doit lui porter son sac, un autre fermer les volets, un autre encore installer la rétroprojection et un dernier s’occuper du tableau. Une fois à nos places, nous devons recopier à la lettre près ce qui est projeté au tableau. Il s’agit d’une leçon d’anglais avec des exemples que nous pourrions retrouver dans un manuel par exemple. Sauf que nous devons l’apprendre par cœur et au mot près, car nous devrons la recopier de mémoire au contrôle.

Mais il y a une manie de la mégère que personne ne m’avait contée : elle prend chaque mois un élève en grippe. Et elle ne le lâche qu’après l’avoir fait craquer, après l’avoir détruit suffisamment pour qu’il ne résiste plus. Pour cet élève, le moindre craquement de chaise, le moindre bruissement de papier est le motif d’une heure de colle. Le fait de résister permet à l’atroce bonne femme d’y ajouter des exclusions. Elle prend aussi un malin plaisir à répondre aux élèves, à les insulter quand ils répliquent : ce sont des crétins, ils ne méritent que du mépris, ils sont incapables, stupides, sans intérêt, indisciplinés.

Tout le monde est au courant. Des pétitions sont lancées, des dialogues tentés, des autorités prévenues. Rien. En réunion parents-profs, une mère raconte l’état mental de son fils à Mme Salamie, celle-ci répond que c’est un fainéant. La mère s’énerve, l’insulte, la menace et est sur le point de la frapper, si bien que d’autres enseignants doivent l’éloigner. Mais rien, aucun effet.

Au fil de l’année, je vois des camarades pleurer avant, pendant ou après ses cours. On essaie de se soutenir entre nous, on en parle sans cesse en espérant que quelqu’un nous aide parmi les adultes. Rien. On tient l’année, même si je pense que nombre d’entre nous sont marqués à vie par cette expérience atroce.

L’année suivante, je suis en quatrième et j’ai un professeur d’anglais adorable. Nous entendons parler de Mme Salamie, mais nous essayons de ne pas trop nous y intéresser. Avec un peu de chance, c’est derrière nous. Sauf que cette fois, Mme Salamie est professeur d’une classe dont Mme Flore (nom inventé encore) est professeure principale.

Et elle, elle veut défendre ses élèves. De loin, j’entends que les conseils de classe sont très tendus, que Mme Salamie est de pire en pire avec cette classe pour se venger de la résistance de sa collègue. Les élèves ont décidé de devenir infects avec la prof d’anglais en réponse, l’insultant dès qu’ils le pouvaient en pensant qu’enfin, elle serait trop mal pour faire cours et irait faire un tour dans un asile ou quelque chose d’approchant.

Puis, un matin d’avril, la sonnerie retentit.

Et rien. Nous sommes en train d’attendre que les enseignants viennent nous chercher dans la cour mais personne ne se pointe. Cinq minutes, dix minutes, vingt, trente, une heure. Nous demandons ce qu’il se passe aux surveillants, qui disent ne pas savoir. La deuxième heure passe, puis c’est la récréation. Nous ne pouvons même pas prévenir nos parents, nous sommes bloqués dehors, sans enseignants. Des bruits courent, évidemment, mais rien de très sérieux, rien qui nous permettent de savoir pourquoi nous sommes laissés là. Nous sommes en avril heureusement, nous n’avons pas froid et ces heures sont plutôt agréables en réalité.

Enfin, vers 10h30, nos enseignants commencent les cours et viennent nous chercher. Au début, personne ne sait ce qu’il vient de se passer. Avec le temps, je crois avoir pu reconstituer les événements.

Apparemment, une élève allait très mal suite au harcèlement de Mme Salamie. Mme Flore avait donc fait tous les signalements nécessaires pour que sa collègue soit au moins mutée, mais rien n’avait été décidé finalement. Or, le jour d’avril en question, il semblerait que Mme Flore ait appris que son élève avait tenté de mettre fin à ses jours. Alors elle a organisé une grève, suivie par TOUS ses collègues, et refusant de faire cours tant que Mme Salamie était encore dans l’établissement.

Mme Salamie a été mutée, et nous la retrouverons au lycée en tant qu’employée de CDI. Quand Harry Potter et L’Ordre du Phénix est sorti, nous l’avons renommée Ombrages tant les ressemblances étaient frappantes entre les aventures du sorcier à lunettes et les nôtres.

Il n’empêche que cette histoire laisse beaucoup d’amertume derrière elle.

Mme Salamie n’aura jamais été sanctionnée. Aucun article ne parle d’elle. Tout a été étouffé. C’était du harcèlement moral par personne dépositaire de l’autorité publique sur des mineurs. Nos profs ont du perdre du salaire pour la faire partir, la santé mentale des élèves était dans un état catastrophique, mais rien n’a été fait pendant des années.

Quand je suis moi-même devenu prof, il m’est arrivé de me plaindre de parents clairement trop à l’écoute de leurs enfants et des versions des histoires qu’on leur livrait, avec l’élève héroïque et l’enseignant jupitérien. Finalement, cette histoire me permettait de relativiser : valait-il mieux cela, ou le silence que nous avons subi ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.