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Billet de blog 30 décembre 2022

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True crime sur le web : une overdose ?

Le storytelling prend une place de plus en plus importante sur internet, et notamment sur Youtube. Ce mode de narration, qui pourrait s’adapter à tout, semble pourtant mettre en avant un contenu pour le moins discutable et discuté : le true crime.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 4 décembre 2022, le créateur Feldup poste sur sa chaîne Youtube la troisième partie de son projet « Les HORREURS CACHÉES les plus SOMBRES de YOUTUBE ». Cette vidéo, plus que les autres, me semble poser des questions profondes sur l’impact du true crime en général sur son audience.

Qui est Feldup ?

Musicien, vidéaste, auteur de jeux en réalité alternative, Feldup, de son prénom Félix, est un jeune homme brillant. Ses vidéos sont depuis quelques années très populaires du fait de la qualité de sa narration, de l’ambiance qu’il installe et de la méconnaissance relative du grand public des sujets qu’il aborde.

Avec le format pourtant éculé de la vidéo aux plans en face caméra agrémentés d’inserts, il réussit à plonger une audience de plus en plus grande dans des univers passionnants.

Ce vidéaste, spécialisé dans les contenus horrifiques, en est à son 92ème findings, une série qui mêle légendes urbaines et récits tirés de faits réels. Ses vidéos, je les envisage comme des contes pour lesquels la voix de Feldup, l’ambiance sonore, les inserts et l’éclairage participent d’une immersion assez unique sur la plateforme entre la peur, le dégoût et le malaise.  

De ce point de vue, les vidéos de Feldup font partie intégrante du True Crime, comme des programmes du type Faites Entrer L’Accusé par exemple pour la télévision - avec une caractéristique différenciante cependant : Feldup parle peut-être plus de l’horreur comme genre, comme création humaine que des horreurs perpétrées par ses congénères.

Une approche plus culturelle, ancrée dans l’analyse de ce qui fait peur, de ce qui dans une œuvre va chatouiller nos craintes les plus profondes. Et les vidéos font mouche : elles sont très appréciées, à juste titre.

Faits divers à foison

Donc, le 4 décembre dernier, Feldup sort la dernière partie de son iceberg sur les horreurs de Youtube. La partie la plus sombre et dérangeante, de presque trois heures. J’ai vu les deux premières parties sans soucis. Évidemment, des mystères, des histoires dérangeantes et des sueurs froides sont attendues, et il n’y a aucun problème là-dessus. D’une certaine manière, cela respecte le contrat entre le créateur et le spectateur.

Par contre, pour moi, cette vidéo du 4 décembre, si elle est sans contestation possible dans la ligne éditoriale de Feldup, franchit une ligne. Il y a quelque chose dans la dose et dans le choix des sujets qui me laisse vraiment perplexe, même encore un mois après l’avoir visionnée.

C’est bien simple : j’ai l’impression d’avoir passé presque trois heures - regardées en plusieurs fois, c’est obligatoire - à voir parmi les pires atrocités que l’humanité pouvait commettre. Une seule de ses affaires est déjà dérangeante, mais l’effet d’accumulation est, je trouve, assez délétère. 

En effet, dans cette vidéo, il n’y a que très peu de partage de contenus culturels horrifiques. L’immense majorité des points abordés par Feldup concerne des affaires sordides, passant de parents extrêmement maltraitants à des youtubeurs pédocriminels.

Dans la critique médiatique, un des reproches principaux faits à la presse, écrite comme audiovisuelle, est la focalisation sur les faits divers et l’effet Grand Méchant Monde que cela occasionne. Une excellente vidéo du blog Hacking Social en parlait en 2014. 

Personnellement, pendant et après le visionnage de la vidéo, je me suis senti en insécurité. Une impression que je n’avais presque plus eu depuis que j’ai arrêté de regarder les journaux télévisés. Et cela m’interroge.

La tête dans le guidon

Évidemment, je ne veux pas viser la personne ou le créateur Feldup par cette critique de sa vidéo. Je pense que la réflexion sur le sens de ce travail lui a juste échappé. Il a, dans des interviews, partagé la difficulté de la gestation de ce projet d’iceberg, y travaillant 11h par jour parfois pour obtenir le résultat que j’aborde ici. La « plus grosse vidéo de [sa] chaîne » selon les premières secondes de la vidéo. Il faudra parler un jour de cette course à la plus grosse vidéo, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.

En outre, réalisant deux millions de vues et avec des commentaires dithyrambiques, on peut dire que du point de vue des retours, la vidéo est un succès.

Et à mon avis, tout cela est pour un créateur comme un vortex, un maelstrom d’informations, et on a vite fait d’avoir la tête dans le guidon. Ce qui peut expliquer la perplexité que je ressens face à ce contenu : j’ai beaucoup de mal à en distinguer l’objectif.

Et c’est une interrogation que je pourrais généraliser à tout le genre du true crime, mais ici, c’est l’accumulation qui me pose un souci. La plupart du temps, les créateurs true crime - Feldup compris - se concentrent sur une seule histoire et l’effet ressenti est plus proche de l’objectif initial de ce type de contenu : le frisson, jouer à se faire peur.

Plus qu’une critique, j’ai surtout des questions pour Feldup et pour les spectateurs qui auraient des éléments de réponse : quel était l’idée derrière ces presque trois heures d’horreurs non pas culturelles mais humaines ? Quel était l’objectif, et qu’en avez-vous tiré ?

Merci pour vos réponses, je vous souhaite de bonnes fêtes de fin d’année et d’avance une belle année 2023.

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