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Billet de blog 31 octobre 2022

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Où en est « l’éco-terrorisme » en France ?

La panique morale politico-médiatique autour du militantisme écologiste s’intensifie : savamment préparée par les « attaques » d’œuvres d’art, elle est désormais montée en épingle par le gouvernement. Une réaction qui pourrait pourtant s’avérer particulièrement contre-productive.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un article signé Zineb Dryef, Le Monde recense les attaques commises contre des œuvres d’art au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Le 9 octobre, Le Massacre en Corée de Pablo Picasso se voit collé aux mains de militants d’Extinction Rébellion. Le 14 octobre, Les Tournesols de Van Gogh sont recouverts de soupe par les militants de Just Stop Oil («Arrêtez le pétrole»). Et de nombreuses autres œuvres sont la cible du militantisme écologiste en cette année 2022, déjà connue pour être exceptionnellement chaude.

Indignations et remises en cause

Illustration 1
Yannick Jadot, militant pour le beau, pour ce que ça veut dire © Yannick Jadot

Les réactions ne se font pas attendre et c’est une condamnation quasi-unanime de la part des médias mainstream à laquelle les militants doivent faire face. L’attaque des Tournesols, par exemple, n’a pas abîmé la peinture puisque protégée par une vitre, mais les commentaires font comme si. Ainsi, même Yannick Jadot, candidat à la présidentielle en avril pour les Verts, s’indigne sur twitter.

Cette réaction est partagée par de nombreuses personnalités, qualifiant l’action des militants de bête, contre-productive voire de criminelle. Des qualifications reprises telle quelle par une partie de ces personnalités concernant les actions contre les bassines, ces réserves d’eau pompées dans les nappes phréatiques pour irriguer principalement l’agriculture intensive. Et voilà que notre gouvernement, par la voix de son plus formidable ministre, vient ajouter le terme « éco-terroriste » à cette action. Une terminologie reprise sans recul critique et par, par exemple, BFM TV avec l’assentiment du ministre de l’agriculture, Marc Fesneau.

Il n’y a pas d’écoterrorisme en France

Illustration 2
Gérald Darmanin sur BFM TV annonce qu’il n’y aura pas de ZAD autour des mégabassines après avoir qualifié l’opposition au projet d’« écoterrorisme »

Jamais avare de mensonges et d’exagérations, il semblerait que Gérald Darmanin soit en pleine préparation de l’avenir de la communication autour des mouvements écologistes en France. En criminalisant l’action militante, il espère gagner l’adhésion d’une population réactionnaire, climato-aveugle ou simplement égoïstement désintéressée de l’avenir de l’humanité. Quant au reste de la population et à la jeunesse notamment, de plus en plus sensible à la question écologique, aura une perception tout à fait différente des propos du ministre. Quelque chose qu’il faut bien qualifier de propos provocateurs et irresponsables

Soyons clairs : il n’y a pas d’éco-terrorisme en France. Et ce n’est pas inventé, puisque c’est un directeur de think tank sur le renseignement cité chez France Culture qui le dit :

Illustration 3
Eric Denécé, directeur du think tank le Centre français de recherche sur le renseignement, précise qu’il n’y a pas d’éco-terrorisme en France © France Culture

En effet, empêcher la construction d’un barrage comme à Sivens ou d’un aéroport comme à Notre-Dame-Des-Landes est une action principalement non-violente qui ne terrorise que les politiques et industriels avides de projets pharaoniques. Bloquer une route, libérer des animaux, tout cela n’a pas l’objectif de terroriser la population et de la faire vivre dans la peur. Et pour cause : ces militants agissent car ils sont eux-mêmes dans l’angoisse que l’humanité n’ait aucun avenir au-delà de ce siècle. Les qualifier de terroristes dans des gesticulations gouvernementales ineptes n’a donc absolument aucun sens.

Pour le moment en tout cas.

Le risque écoterroriste

La peur de l’écoterrorisme qui vient est réelle. D’ailleurs, une fiction à ce sujet a été publiée par The Economist et traduite en France par Challenge(s) cette année. Dans cette histoire qui prend place en 2028, une partie du mouvement écologiste assassine des banquiers, fait des cyberattaques sur des centrales, incendie volontairement et commet des attentats à la bombe. Elle se termine ainsi :

Illustration 4
Une fin de déshonneur dans les poubelles de l’histoire pour The Economist et Challenge(s) © Challenge(s)

Cette fin correspond tout à fait à la ligne éditoriale des médias dominants. La réalité sera vraisemblablement toute autre. 

Notre gouvernement a été condamné par deux fois pour inaction climatique. Sa seule réaction face à un militantisme qui entend protéger quelques espoirs d’une suite à l’aventure humaine sur Terre est de le criminaliser. Et lorsqu’une action est demandée, si anecdotique soit elle, elle est automatiquement refusée.

L’épisode des jets privés cet été est un cas d’école. Alors que des criminels climatiques, très peu nombreux, polluent pour leur propre plaisir, la demande est faite d’interdire ces avions privés au bilan carbone calamiteux et à l’intérêt plus que discutable. Le gouvernement est alors parti sur une communication totalement hors-sol à propos de la liberté, tout en étant incapable de mettre en application le principe enfantin : « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres ». Ici, la liberté des autres de vivre dans un monde qui préserve la santé est en plus garantie par la Constitution via la charte de l’environnement de 2004.

Ce très léger effort d’interdire les jets, pourtant extrêmement insuffisant en soi au vu de la situation, n’a même pas été entamé. Il est clair que les générations présentes et futures pâtiront de ces décisions guidées par une idéologie dépassée et mortifère. Tout est en train de s’aggraver, pourtant aucun effort n’est fait. La moindre action pour alerter sur la catastrophe en cours ne génère que des réactions outrées sans aucune perspective concernant l’avenir de notre espèce. En cela, on peut parler de provocations de la part des pouvoirs en place quand ils parlent d’éco-terrorisme. 

Ce qui est aujourd’hui terrorisant pour les personnes conscientes des effets du réchauffement, c’est de savoir que les famines en France auront lieu avant 2050, que l’être humain est sur la voie de sa propre extinction, que les enfants qui naissent aujourd’hui verront peut-être la fin de l’ère des humains sur Terre. 

Last Action Heroes

Face à ce constat implacable, il paraît tout à fait certain que les terroristes ne sont pas ceux qu’on croit. Celles et ceux qui sont aujourd’hui désignés comme tels risquent fort de devenir les héros de demain. Ceux-ci sont d’ailleurs d’autant plus légitime dans leurs actions que nos gouvernements, même au bord du gouffre, ne tentent rien pour freiner.

En tout cas, s’ils continuent à faire l’autruche, nos dirigeants risquent fort de se voir très bientôt confrontés à de véritables mouvements éco-terroristes. Pire, s’ils continuent à être acteurs et/ou complices de catastrophes climatiques, il n’est pas dit qu’ils n'en seront pas eux-mêmes la cible privilégiée.

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