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Billet de blog 31 décembre 2022

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Musculation : derrière le délire viriliste

Le débat est parfois vif sur les réseaux : la musculation est-elle fondamentalement conservatrice voire réactionnaire ? Est-ce un délire viriliste, ou bien y a-t-il autre chose ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’ai commencé la musculation mi-septembre. Une n-ième tentative pour moi d’essayer de faire du sport sans l’associer à la souffrance. Le gros de la classe, toujours choisi en dernier, même maintenant, a du mal à se sentir légitime à la salle.

Remarquez, même à la piscine je ne me sentais pas légitime. Mes dernières tentatives échouées avaient eu lieu dans le grand bassin. Mais au-delà de quelques semaines, pas moyen de garder l’habitude.

Mais si au début, j’ai eu un peu de mal à me sentir à ma place dans une salle de sport, aujourd’hui, c’est un plaisir d’y aller deux fois par semaine. 

Influencé

Je suis toujours surpris du changement de ton et de projet qu’a opéré Dany Caligula ces dernières années. Passer de vulgarisateur au ton journalistique assez policé à influ-entrepreneur du livestream en passant par du documentaire un peu psyché, c’est étonnant. Il n’empêche que son évolution est inspirante pour moi sous de nombreux aspects.

Alors, quand la vidéo « Ma TRANSFORMATION PHYSIQUE en 1 AN » est sortie, j’ai été très curieux. Ce type de vidéo ne m’intéresse qu’assez peu en général, mais je savais que j’allais y trouver cette fois un discours différent et pertinent. Et je n’ai pas été déçu.

Finalement, la vidéo est très biographique, ne dit rien de très prescriptif et ne met pas tant l’accent sur l’effort que sur des conseils pratiques et sur ce qui lui a permis une transformation assez spectaculaire.

Pour moi qui réfléchissait à reprendre un sport, cette vidéo m’a clairement décidé à aller à la salle. J’avais tenté la course, la piscine, mais la motivation me quittait au bout d’un mois ou deux. Je n’avais aucun sentiment de progresser, ni vraiment de sensation agréable dans l’activité - être dans l’eau m’est plaisant, mais y faire un effort ne m’intéressait pas.

Et j’avoue que début septembre, en route pour la première fois vers la salle de sport, je pensais vivre la même chose.

Motivé

J’entamerai à la mi-janvier mon cinquième mois. Je vais faire du sport deux fois par semaine, et je pense me trouver un troisième créneau pour augmenter mon temps consacré. J’ai commencé avec des séances de 30 à 45 minutes, et aujourd’hui je complète la musculation avec du cardio pendant 20 minutes et de la marche pendant 20 minutes également après la séance. Bref, j’y suis 4 heures par semaine, et la motivation est toujours là.

Évidemment, plusieurs explications sont possibles et je pense qu’elles ont toutes leur intérêt. Déjà, psychologiquement, je vais beaucoup mieux que lors de mes précédentes tentatives. Je n’ai plus la pression que je pouvais mettre avant sur mes épaules, professionnellement par exemple. Je ne me dis plus que j’ai mieux à faire car avoir du temps pour moi est une nécessité dans mon fonctionnement et je le sais. Merci la psychothérapie.

Par ailleurs, mon rapport à la nourriture et au sport a changé. Allant mieux, je grignote moins. Enfin, grignoter, c’est un doux euphémisme, j’en parlerai dans un autre article. Ce qui est certain, c’est que même si on est loin de la perfection, mon alimentation est plus saine qu’avant.

Mon emploi du temps me permet aussi ces quatre - bientôt six - heures hebdomadaires consacrées au sport, parce que libéré d’un emploi classique. Je gère mon temps de travail comme je le souhaite, ce temps de travail est aussi ma passion, écrire, donc je peux sans souci aller à la salle le matin, alors que personne ou presque ne s’y trouve encore.

J’ai aussi un ami qui me conseille sur les machines sur lesquelles travailler, les exercices à faire, les séquences, les répétitions. Il m’a beaucoup aidé dans la jungle de ce qui est faisable, et je l’en remercie.

Pourtant, une des raisons avancées du succès de la musculation en ce moment n’est pas une de celles que j’ai cité.

Virilisme

La droite et l’extrême-droite se sont saisis de la musculation. Les créateurs des courants politiques conservateurs et réactionnaires semblent avoir une adoration pour l’esthétique du corps musclé voire bodybuildé. Cette fascination a rapidement eu pour résultat d’associer le sport et le courant politique, lui trouvant même des liens idéologiques solides.

Le culte du corps et de la force physique est en effet très prégnant dans l’idéologie nazie par exemple, et la rhétorique de « dégénérescence » de la société mise en avant par l’extrême droite en général est aussi dans leur esprit une dégénérescence du corps. Évidemment, l’idée de virilité est au pas de la porte : le corps dégénéré, c’est le corps hors-norme, le corps queer par exemple, le corps obèse aussi. La musculation est, pour certains de ces gens, une manière de se connecter à sa virilité, de la construire en s’approchant d’un stéréotype… qui est en fait souvent hors-norme lui-même d’ailleurs. Pour d’autres, c’est aussi une étape nécessaire dans leur « guerre des civilisations », autant pour pouvoir se battre que pour pouvoir séduire et se reproduire.

Bref, on aurait vite fait de corréler le succès de la musculation à un retour réactionnaire de la virilité. D’ailleurs, un article de Vincent Manilève sur les Youtubeurs et la musculation tend à aller dans ce sens, y ajoutant l’intérêt des avant/après en termes de likes et de popularité sur les réseaux. Le tout évidemment lié à la virilité et à la société de consommation, mais aussi au shônen, dont les représentants les plus connus sont Naruto et One Piece.

Soit. Ce sont des approches possibles qui ont leur intérêt. Pourtant, il me semble qu’un élément fondamental passe complètement sous les radars.

Gamifié

J’ai été plutôt surpris lors des explications de mon ami/coach sur la musculation de constater la ressemblance de ce qu’il me disait avec la fois où il m’a expliqué - où il a tenté de m’expliquer - League of Legends. Si les enjeux sont différents, la discipline nécessaire pour bien jouer un personnage dans un MOBA ressemble pas mal à celle requise pour s’entraîner à la salle. Le problème étant que je n’ai jamais vraiment accroché à ce type de jeu.

Pourtant, après quelques semaines d’entraînement, la similitude avec le jeu vidéo était absolument évidente. Et puisque je ne maîtrise pas vraiment le MOBA, je dirais que ça ressemble à du roguelite, type Hadès, Slay the Spire ou Dead Cells.

Dans ces jeux, nous maîtrisons un personnage qui doit venir à bout d’une mission. Celle-ci est souvent impossible pour un néophyte et souvent, le personnage en question n’a que très peu d'options pour la mener à bien. Pour gagner, il faudra mourir, et recommencer. En avançant de plus en plus loin dans la mission, le joueur s’améliore dans sa maîtrise et le personnage débloque des améliorations pour rendre la progression plus aisée.

En musculation, on ne meurt heureusement que très rarement, mais les notions de répétition et de régularité sont centrales. Et comme dans un rogue lite, la connaissance de la salle de sport, des outils et des machines proposées - le level design - et la progression physique et sportive - l’apprentissage du personnage - permettent d’aller de plus en plus loin et de réaliser ses objectifs - sa mission.

À la rigueur, cette description pourrait rejoindre nombre d’activités, mais la musculation est particulièrement proche du roguelite, notamment du fait du paramétrage. On peut faire plus de cardio, plus de séquences, plus de répétitions par séquence, monter en poids, changer d’exercices comme un joueur de Dead Cells - excellent jeu bordelais développé par une SCOP - change d’objets de départ, de route, de manière d’aborder un boss. Le fait de pouvoir paramétrer différemment chaque partie/séance est ludiquement bien plus fort. 

Contrairement à la nage en piscine que je faisais précédemment par exemple : j’arrivais à la piscine, je faisais des longueurs et je repartais. Je pouvais changer de nage, ou bien augmenter le nombre de longueurs. Et c’était tout. Là, quand j’arrive à la salle, pendant que je cours, je réfléchis à quels exercices je sens le mieux, à quels poids je peux affronter, à quels muscles je vais solliciter. Et fondamentalement, c’est plaisant.

Finalement, je dirais que la musculation a un bon game design

Du coup ?

Les analyses du phénomène ne s’annulent pas l’une l’autre. Par exemple, on pourrait rétorquer à mon histoire de roguelite que, d’un certain point de vue, ce genre est une émanation très claire du shônen. Que les développeurs de ces jeux sont majoritairement des hommes, avec la même obsession virile que le reste de la société. 

Peut-être que d’autres activités physiques ont une proximité aussi évidente avec le roguelite. Sûrement que d’autres types de jeux ressemblent à ce qu’est l’entraînement en salle de sport.

Cependant, il me semble qu’on manque une partie de l’analyse si on ne considère pas l’activité en elle-même et comment sa ludicité peut attirer notamment des geeks, sans forcément passer par les cases gamergate, virilisme ou fachosphère.

Merci de m’avoir lu.

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