« Les seuls à croire encore au monde sont les artistes : la persistance de l’œuvre d’art reflète le caractère persistant du monde. Ils ne peuvent pas se permettre d’être étrangers au monde ». (1)
H Arendt
La tentation de concevoir des œuvres de l’esprit selon des programmes et des processus pré établis a toujours existé. Peut être, si une idée de la beauté devait être sauvée, devrions nous penser que lorsque la machine tend à remplacer l’homme, peu à peu l’homme devient machine et peu à peu, sans que nous y prenions garde, se pose la question de notre propre obsolescence.
L’art m’est assez tôt paru comme la seule pratique susceptible de préserver la vérité du monde. Qu’il s’agisse de la justesse d’une émotion, de la pertinence d’une observation, de la virtuosité d’un geste, l’artiste est celui qui exemplifie un certain mode d’accès au réel, celui qui tente désespérément d’être entièrement dans ce qu’il fait.
Ainsi aucune ingénierie ne saura jamais le remplacer.
Mais l’art, la fascination que les œuvres exercent ne se situent pas exclusivement dans cela, ni dans la sublime perfection de la note juste, mais peut être bien plutôt dans l’impossibilité d’y jamais parvenir : seule la « main qui tremble » rend justice au mystère infini de la création.
Voilà pourquoi aussi la supériorité de la pratique artistique sur nombre d’autres activités consiste en une certaine qualité de son engagement, selon les critères de l’authenticité et de la beauté notamment. Ces notions bien que problématiques touchent néanmoins à une vérité du sujet dans son interaction avec le monde. Et c’est en cela que l’action artistique peut se révéler pleinement politique ou, si l’on est optimiste, que l’action politique pourrait s’inspirer de l’action artistique.
(1) Les "artistes", du moins ceux qui jouissent d'une pleine notoriété, ne sont pas des pures individualités libres de leur création. Cette vision nie le caractère profondément collectif de l’œuvre, essentiellement ouverte sur le monde d'une part et toujours inscrite dans un réseau de compétences dont sa mise sur le marché dépend et qui bien souvent l'aliène.