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Billet de blog 27 février 2023

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À la recherche de l'empathie

Qu'ont en commun les séismes de février en Turquie, en Syrie et au Kurdistan, les récents évènements en Palestine et les guerres au Yémen, en Syrie et en Éthiopie ? La déshumanisation des peuples du Sud.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  • Guerre en Éthiopie (Tigré) : plus de 600 000 morts en deux ans
  • Guerre en Syrie : plus de 400 000 morts depuis 2011
  • Guerre au Yémen : plus de 380 000 morts en huit ans
  • Séismes en Turquie, en Syrie et au Kurdistan : au moins 50 000 morts
  • En Palestine depuis le début de l'année 2023 : au moins 65 morts
  • Sur les routes migratoires européennes depuis 2021: plus de 5 000 morts

Ces nombres s'enchaînent comme une suite banale de chiffre, comme une donnée parmi d'autres dans le flux continu d'informations que nous traitons chaque jour. Finalement, entre ces nombres et ceux de la réforme de la retraite, quelle différence ? La différence c'est la vie, cette chose précieuse qui semble si anodine pour beaucoup ici en France lorsqu'il s'agit des peuples du Sud mais dont deux années sont si importantes lorsqu'il s'agit des Français.

Oui, la lutte contre la réforme des retraites est importante. On en parle assez depuis des semaines pour que tout le monde puisse comprendre les arguments contre cette réforme injuste. Ne revenons pas là-dessus. Mais alors pourquoi en parler ? Parce que cette réforme prouve une chose bien connue mais que je veux encore une fois dénoncer ici : la déshumanisation des populations non-blanches. Ce qui suit vaut aussi bien pour les peuples du Sud que pour les "non-Blancs" des pays du Nord, nous partageons ce destin commun de sous-humanisation : nous sommes considérés comme des êtres de moindre importance. (exemple : les violences policières qui n'émeuvent pas grand monde quand les victimes sont non-blanches)

Rien de nouveau sous le soleil du capitalisme me dira-t-on : oui, et cet article ne va rien ajouter de nouveau. Cependant il est nécessaire de rappeler l'horreur de ce monde injuste et d'exprimer une colère légitime qui bouillonne en moi depuis bien trop longtemps.

Comment ne pas avoir honte ? Comment ne pas avoir honte lorsqu'on voit une telle mobilisation contre la réforme des retraites mais rien pour dénoncer la vente d'armes françaises qui tuent des milliers de personnes au Yémen ? Et les milliers de morts en Méditerranée ? Et les milliers de morts à cause de la colonisation en Palestine, au Kurdistan, au Sahara occidental ? La liste est longue, beaucoup trop longue.

Ma douleur est profonde comme celle de mon peuple. Nous n’avons toujours pas pu pleurer les centaines de martyres suite à la mort de Jîna Amini, les bombardements au Rojava qui font des morts chaque jour, les trois kurdes assassinés à Paris en décembre et voilà que la catastrophe des séismes nous tombe dessus. Mais dans cette profonde tristesse j’ai compris une chose : l’empathie, la vraie, c’est de comprendre par ses malheurs l’étendue de celle des autres. Alors je pleure. Je pleure les morts de Palestine qui n’en finissent plus. Je pleure pour la douloureuse mort de mes frères et sœurs kurdes dans nos montagnes qui subissent les armes chimiques turques. Je pleure les personnes brûlées au napalm au Sahara occidental par des avions de chasse français. Je pleure les centaines de milliers de personnes tuées au Yémen par des armes françaises. Je pleure les centaines de milliers de morts en Éthiopie. Je pleure les morts au fond de la mer Méditerranée. Je pleure aussi pour les personnes qui devront se tuer au travail pour satisfaire les envies d’une bourgeoisie française ignoble.

Mais comment ne pas être en colère face à cette mobilisation si forte pour les retraites mais si faible pour le reste du monde ? Alors même que l'implication de la France est évidente dans tous ces cas !
Les raisons de cette différence sont bien connues : c'est le produit de la modernité capitaliste qui fait des Blancs des sur-humains et des autres des sous-humains. Nos vies n'ont pas la même valeur aux yeux du capitalisme. Mais c'est aussi notre faute, à nous autres qui gardons encore cette magnifique empathie, preuve de notre humanité.

Tout ceci est à la fois la faute de notre faiblesse, à nous autres anti-impérialistes et anti-racistes, et la conséquence de l’individualisme exacerbé et du manque d’empathie, produits de la modernité capitaliste.

Nous devons enrayer la machine féroce du libéralisme lancée à pleine allure en France depuis des années. Nous devons faire notre part du travail ici "au cœur de la bête impérialiste". C'est notre devoir vis-à-vis de nos frères et sœurs du Sud. Oui, la tâche est loin d'être facile. On nous attaque de toutes parts lorsque nous défendons des causes justes, la propagande capitaliste étant particulièrement virulente à notre encontre. Mais heureusement nous pouvons compter sur le Sud qui nous montre le chemin et nous donne la force de persévérer. Comment pourrions-nous abandonner alors qu'eux continuent dans les pires conditions ? Ils sont notre phare dans la terrible obscurité qui nous consume.

Néanmoins ce n'est pas tout. Il y a une dernière chose qui explique l'injustice de cette période en France : la symbolique des retraites.

Dans une période de mobilisation contre la réforme des retraites il y a eu l'un des séismes les plus meurtriers des dernières décennies dans des régions dévastées par la colonisation (Kurdistan) et l’impérialisme (sanctions contre la Syrie qui contraignent l'aide aux sinistrés pour ne citer que cet exemple), produits directs du capitalisme occidental ; des violences coloniales encore plus virulentes en Palestine (par un état colon protégé par la France) ; des dizaines de morts en Méditerranée (conséquence directe de l'impérialisme français) et tant d'autres horreurs. La retraite est un droit légitime de tout travailleur : le prolétariat s'est battu pour le système des retraites français obtenu après la Seconde guerre mondiale. Mais c'est aussi une concession faite par une classe bourgeoise qui pouvait se le permettre car elle s'appuyait sur un empire colonial encore immense. C'est certes une victoire prolétarienne mais elle est le produit d'un système inégal et injuste : déjà à l'époque le droit à la sécurité sociale et la retraite faisait écho aux conditions de vie déplorables des populations colonisées du Sud pour qui "retraite" et "sécurité sociale" étaient absents du vocabulaire. Aujourd'hui cette inégalité et cette injustice perdurent : on manifeste pour la retraite mais on se fiche de la Palestine, du Kurdistan, du Yémen ou de la Syrie alors que nous sommes directement responsables des horreurs commises là-bas et nous en profitons à travers l'impérialisme français. Nos systèmes de retraite et de sécurité sociale sont en partie financés par cet impérialisme. Notre mode de vie immensément plus confortable que dans le Sud global est aussi un produit de cette injustice mondiale.

L'Histoire se répète. Ne l'oublions pas.

Espérons que la lutte pour les retraites fera renaître un semblant d’empathie chez certaines personnes. Pourtant ce n’est pas bien compliqué : si vous vous dites que travailler jusqu’à 64 ans est inacceptable, pensez à celles et ceux qui ne peuvent même pas vivre jusqu'à 40 ans. Alors peut être serons-nous des milliers dans la rue pour la Palestine, pour le Kurdistan, pour le Sahara occidental et pour tous les peuples du Sud.

C’est tout ce que j’espère.

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