J’avais presque 23 et j’étais déjà bouffé par la nostalgie. Non pas que je pensais que le passé avait été plus heureux que maintenant, mais au moins le passé n’apparaisse jamais aussi ennuyeux que le présent. On peut tricher avec ses souvenirs. Avec la réalité aussi certes, on peut penser à des choses plus cools, on peut se lancer dans des «projets» pour occuper son esprit ou même se défoncer la gueule dans la came. C’est juste que dans notre mémoire on retient l’odeur enivrante du champ d’orangers, la vie paisible verre et cigarette sur les hauteurs d’une ville médiévale de l’Adriatique ou la vue grandiose du Parthénon qui nous domine dans les rues d’Athènes après une nuit de fête. Le passé ment et c’est pour cela qu’il est si réconfortant.
Alors, comment lutter face à un ennemi si intime qu’il loge au plus profond de nos neurones, dans les biais les plus essentiels à notre survie, ce qui nous pousse à espérer pour le futur et à voir le passé sous un angle attendri, car le présent n’est jamais à la hauteur ? J’aurai pu décider de cramer ma vie par les deux bouts, de me lancer corps et âme dans un voyage sans argent, sans but, faire naître le poète romantique qui sommeille en moi et qui au détour d’un chemin fera la rencontre qui changera son existence et qui finalement donnera enfin un sens à sa vie ! Le problème est que je ne peux être ce genre de personne, car les récits sont toujours plus beaux que la réalité et que vivre, finalement, c’est faire en sorte de faire tenir dans un ensemble cohérent nos peurs, nos espoirs et nos actes pour que l’on se dise «ouais ce type est normal», mais surtout pas dépasser du cadre de cette normalité imposé, car t’es conditionné mon pote et même les lignes de fuites que tu prendras elles sont stéréotypées.
Bref, j’étais niqué, je le savais et j’avais potentiellement 60 ans à tirer.