Le colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines », coorganisé par le professeur et historien Henry Laurens, l’un des grands spécialistes du Moyen-Orient, et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep Paris), programmé les 13 et 14 novembre au Collège de France, a été annulé à la suite de la demande du ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, invoquant faussement la « rigueur scientifique » et la « neutralité des institutions ». Une intervention politique qui marque une atteinte grave à l’autonomie universitaire et à la liberté académique.
Cette annulation est survenue après un article paru dans le journal proche de l’extrême droite Le Point et une campagne menée par la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) ainsi que par des réseaux d’extrême droite, qualifiant à tort le colloque de « militant », de « grand sectarisme », de « pro-Hamas », de « modérateurs peu modérés », d’« influences étrangères » et de « promoteur de l’antisémitisme ».
Yonathan Arfi, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), est allé jusqu’à déclarer sur son compte X que même la date de ce colloque, le 13 novembre, était indécente, faisant allusion aux attentats du Bataclan et des terrasses du 13 novembre 2015 à Paris !
Depuis le 7 octobre, nous assistons à des abus de langage sans précédent. Alors que le terme « terroriste », déjà lourd de sens, d’images et de fortes connotations émotionnelles, est largement utilisé, d’autres mots tels que « pogrom », « Shoah » ou « holocauste » ont également été employés de manière excessive. Mais le plus préoccupant est l’usage récurrent du mot « antisémite », accusation brandie automatiquement à tout propos pour discréditer toute expression de solidarité envers le peuple palestinien ou toute critique adressée à Israël et à la politique génocidaire menée par Benjamin Netanyahou.
Cette instrumentalisation de l’antisémitisme à des fins politiques n’a pour objectif que d’intimider et de museler les chercheurs, historiens, professeurs, médecins, associations humanitaires et certains partis politiques. Bien évidemment, elle ne pourra pas empêcher la vérité des massacres et des tueries de masse d’émerger, mais elle nuit incontestablement à la lutte noble contre l’antisémitisme en la décrédibilisant.
Déjà en 2004, Louis Gill, économiste et professeur à l’Université du Québec à Montréal, a publié un article intitulé « Antisémitisme : l’intolérable chantage » dans la revue scientifique Bulletin d’histoire politique, vol. 13, no 2, où il décrivait l’ampleur de cette instrumentalisation en France :
« On le sait, les moindres critiques d’Israël provoquent une montée aux barricades de ses défenseurs inconditionnels, qui profèrent inévitablement à l’endroit des auteurs de ces critiques des accusations d’antisémitisme. Mais ce que nous connaissons ici, au Québec, n’est qu’un pâle reflet de ce qui se passe en France, où les accusations de haine des Juifs se doublent de mesures de chantage, d’intimidation, de poursuites judiciaires, voire de menaces de mort, dirigées tout autant contre les nombreux Juifs qui rejettent l’inadmissible identification de la totalité de la communauté juive à Israël et qui refusent d’être complices des crimes perpétrés par Israël contre la population palestinienne. » (p. 246).
Ce titre, « Antisémitisme : l’intolérable chantage », a été repris cette année même pour un livre publié aux éditions La Découverte par un collectif de neuf auteurs, mettant à jour cette dangereuse dérive : L’instrumentalisation de l’antisémitisme.
« Ce livre, écrit son directeur littéraire Hugues Jallon, est né de l’effroi devant l’utilisation de plus en plus systématique du thème de la “montée de l’antisémitisme” ou de la “nouvelle judéophobie” pour disqualifier toute critique de la politique militaire et coloniale d’Israël — une stratégie, souligne-t-il, qui n’est pas sans rappeler celle qui consistait, il y a cinquante ou soixante ans, à assimiler au “fascisme” toute critique de l’URSS stalinienne pour la faire taire. » (p. 246-247).
Au même moment où le ministre de l’Enseignement supérieur en France demande l’annulation du colloque sur « La Palestine et l’Europe », le Sénat a accueilli, le lundi 10 novembre, un colloque financé par Israël ! Selon une enquête publiée par Mediapart, le ministère des Affaires étrangères israélien s’est engagé à financer cet événement à hauteur de 72 000 euros. Apparemment, même des représentant·es du gouvernement israélien étaient également présent·es.
https://www.mediapart.fr/journal/politique/091125/le-senat-abrite-un-colloque-finance-par-israel
Deux poids, deux mesures, et une neutralité à géométrie variable : les problèmes de militantisme, de neutralité des institutions et d’influence étrangère ne se posent visiblement pas lorsqu’il s’agit d’Israël.
En cédant à la pression et en acceptant de censurer une activité scientifique, le Collège de France nuit à son statut d’institution prestigieuse et compromet bien plus que son image : il affaiblit le principe même de liberté académique et renonce à sa mission première, protéger la pensée critique et le débat intellectuel, quels qu’en soient les risques ou les désaccords.
Le Collège de France, comme tous les établissements d’enseignement et de recherche, ne doit pas devenir le relais des peurs politiques et médiatiques, ni se laisser entraîner dans l’instrumentalisation politique, mais demeurer un espace où la liberté de penser et d’exprimer demeure inviolable.
Chaque acte de censure, même minime, contribue à rendre le silence acceptable, menaçant ainsi les fondements de la démocratie.